2- L'édification de la moralité par
l'éducation
Il est nécessaire de reconnaître à
l'éducation son apport immense quant à la culture des valeurs
sociales. En effet, le triomphe de l'humanité mise en question n'est pas
forcement d'ordre spéculatif encore moins théorique. Il est
d'ordre éducatif puisqu'il ne s'agit pas de critiquer les conduites
sociales mais de connaître le moyen docile, le plus sûr pour les
cultiver épurées. La question qui se pose alors est celle de
l'outil adéquat susceptible de façonner la nature humaine dans
l'intérêt de l'humanité. De fait, tout ce que l'on
désire ou attend d'autrui en
150 Emmanuel Kant, Réflexions sur
l'éducation, Op. cit. p. 18.
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termes de conduites morales est englobé dans
l'éducation. C'est à travers elle que la Raison conçoit
tous les biens.
Cette réalité est liée à
la nature de l'homme lui-même. Sa nature est telle qu'il est censé
acquérir tout et même ce qui le dépasse. L'acquisition de
la vertu, d'un « sens des valeurs »151 peut dès
lors se décrire comme une naissance continuelle à soi, rendue
possible par l'éducation. Car comme nous pouvons le comprendre dans le
flux de la vie, accuser une personne moralement, cela suppose un manque de
reconnaissance. Cette tendance naturelle semble être une manifestation
propre à l'espèce humaine :
Ce désir peut être si puissant que, dans
leur âpre quête de reconnaissance (...) Tant que nous ne
l'admettrons pas, les idéaux et le comportement de peuples entiers (...)
nous demeureront incompréhensibles152.
On peut convenir avec Isaiah Berlin que ce
désir de reconnaissance est ce qui porte les peuples. Il ne pourrait
trouver toute sa consistance que dans l'éducation et même sa
promotion. Elle permet en tout être humain le respect de
l'humanité au sein des rapports humains. C'est en prenant en compte
cette reconnaissance que nous pouvons prétendre à une
véritable édification de cette dernière. S'élever
à la moralité semble subordonner à l'éducation. Par
cette exigence de nous-mêmes à l'égard de nos semblables,
l'on peut pressentir qu'en causant injustement du tort à autrui, c'est
immédiatement à l'humanité que celui-ci est
fait153. De cette manière, elle dispose à comprendre
ce qui excelle, c'est-à-dire la dignité humaine. Les défis
de moralité reposent sur la reconnaissance de cette dignité
humaine.
Les rudiments de l'éducation de base
donnés au sein de la cellule familiale sont susceptibles de contribuer
à des conduites sociales morales. Plus précisément, elle
conduit à la vertu. Le respect des parents, le droit
d'aînesse,
151 Robert Spaemann, Notions fondamentales
de morale, trad. de l'anglais par Stéphane Robillard,
Paris, Flammarion, 1999, pp. 90-92.
152 Isaiah Berlin, Éloge de la
liberté, trad. de l'anglais par Jacqueline Carnaud et
Jacqueline Lahana, (Paris, Calmann-Levy, « coll. Agora », 1990), pp.
202-209.
153 Thomas de Koninck et Gilbert Larochelle,
La nouvelle ignorance et le problème de la
culture, Paris, PUF, 2000, p. 105.
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l'esprit de serviabilité, la tolérance,
le respect de la loi et de l'autorité sont tous contenues dans
l'éducation. Elle développe l'intérêt qui s'attache
à ces idées de la moralité. On ne pourrait que
reconnaître la cellule familiale que comme le lieu par excellence de
vulgarisation des libertés fondamentales154. D'un autre point
de vue, la famille a une large part de responsabilité dans la culture
des valeurs. Méthodiquement, la culture des bons principes demeure
profitable. Dans ce sens, John Locke écrit ceci :
Lorsque vous aurait établi votre
autorité, en faisant comprendre à votre fils qu'il dépend
de vous et que vous être son maître (...) dans son esprit ce
sentiment de vrai respect qu'il faudra avoir soin d'entretenir dans la suite,
et de conserver dans ses deux éléments l'amour et la crainte,
deux grands principes par lesquels vous aurez toujours prise sur lui, de
façon à diriger son esprit dans le chemin de la vertu et de
l'honneur155.
Ainsi, le mérite des principes dans
l'éducation implique d'abord la mise en place de l'autorité
parentale. Selon John Locke, l'éducation, au fond commence dans le cadre
de vie qu'est la famille. Pour lui, lorsque cette dernière est de mise
dans la cellule familiale, l'on peut parvenir à disposer l'enfant
à deux principes : l'amour et la crainte. La conservation et l'entretien
de ces principes ont pour avantage la prise sur l'enfant. Ensuite, cette
maîtrise permet de forger son esprit pour l'excellence.
L'éducation est considérée comme
l'art et l'instrument de renforcement des dispositions morales et humaines.
Elle répond aux exigences liées aux rapports extérieurs
entre les hommes. En outre, l'éducation participe au renforcement des
capacités sentimentales de l'homme. Elle lui permet de se surpasser.
Elle joue un rôle important dans la stimulation de la mémoire ou
de la réflexion. L'éducation pousse naturellement l'homme
à l'humilité. En cela, elle construit son édification. Ces
dispositions ne sont rendues possibles que par une éducation
154 Kadi Dago, L'éducation aux
valeurs des Droits de l'Homme, in African Education Developpement
Issue, no 2, 2010, p. 7.
155 John Locke, Quelques pensées sur
l'éducation, Op. cit., p. 102.
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constante ne souffrant d'aucune contradiction, puisque
devenue pour « l'homme aussi bien élevé chose aussi
naturelle que l'acte de respirer »156.
De cette manière, l'édification de la
moralité par l'éducation résiderait en des principes
moraux susceptibles d'accompagner les manières d'agir. Les principes
moraux jugés utiles et profitables aux hommes en société
en sont les seuls admis. En plus, toutes les valeurs s'inscrivant dans
l'intérêt supérieur des peuples tendent à
régler désormais les rapports entre les hommes. Ce sont entre
autre la liberté, l'égalité, la justice, la
tolérance, la cohésion sociale, la paix. Elles disposent les
hommes à distinguer le bien du mal et à rechercher sans cesse ce
qui peut les unir. L'adoption de toutes ces valeurs comme normes de conduites,
cadre pratiquement d'une certaine manière avec les principes de la
moralité, puisque « l'espèce humaine semble aussi peu aller
à sa destinée sensible (...) mais auquel la raison met pour
condition d'en être digne par la moralité
»157.
En effet, le respect de ces valeurs contenues par
l'éducation est susceptible d'édifier la moralité parce
qu'aucune valeur n'est humainement concevable sans
éducation158. Elle distingue l'homme de l'animal, parce
qu'elle offre à l'humain la maîtrise de ses instincts et par
delà l'usage de la Raison. On autorise tel principe et on interdit tel
autre. Cela s'observe dans l'organisation même de la
société humaine. L'admission de la séparation des
pouvoirs159 implique l'observation de principaux moraux et humains
dans l'intérêt des peuples160. Elle leur garantie
éventuellement, la liberté politique. Selon Montesquieu, en
adoptant le principe de la séparation des pouvoirs, cela permet de jeter
les bases du libéralisme, cette doctrine politique protégeant la
liberté des citoyens par la limitation des pouvoirs de
l'État.
156 John Locke, Quelques pensées sur
l'éducation, Op. cit., p. 54.
157 Emmanuel Kant, Anthropologie du point de
vue pragmatique, Op. cit. cit., 121.
158 Emmanuel Kant, Anthropologie du point de
vue pragmatique, Op. cit. cit., p. 12.
159 Pour Montesquieu, c'est l'équilibre des
pouvoirs, assuré par la séparation des puissances
législatrice, exécutrice et judiciaire ; la liberté est
garantie par cet équilibre.
160 Charles-Louis Montesquieu, De l'esprit
des lois, Paris, Garnier Flammarion, 1980, p. 140.
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À la question comment atténuer
efficacement les maux, Emmanuel Kant pense que la sagesse
seule des hommes peut en donner la possibilité. Pour lui,
le plus sûr moyen de parer à l'indignation, ce comportement contre
lequel réagit la conscience morale, il faut le savoir rationnel. C'est
d'ailleurs ce qu'il soutient en ces termes : « le moyen le plus sûr
et le plus facilement efficace d'adoucir les maux, c'est une pensée
qu'on peut bien demander d'un un homme raisonnable (...) n'est pas la fortune
mais la sagesse »161. Dans le cadre de l'édification de
la moralité, la sagesse dont parle Emmanuel Kant, même s'il ne
l'avoue, est liée à l'éducation qui, seule peut renforcer
davantage la capacité d'action et de rehausser l'homme à cette
connaissance exacte et approfondie des biens du monde.
En plus, l'édification de l'humanité
résiderait en ce que chaque citoyen y trouverait dans
l'établissement des lois l'expression d'une volonté politique
à assurer à chacun sa liberté. L'édification de
l'espèce humaine revêt parfaitement sa consistance dans la mesure
où sa signification humaine est promue à travers le respect des
lois. Car comme le souligne Emmanuel Kant :
L'éducation du genre humain pris dans la
totalité de son espèce, c'est-à-dire collectivement
(universorum) non celle de tous les individus (singulorum) ou la multitude ne
donne pas un système mais seulement un agrégat colligé, la
tendance persévérante à une constitution civile
fondée par principe de la liberté et de contrainte légale
tout à la fois162.
Dans ce cas, Emmanuel consolide davantage le point de
vue selon lequel l'éducation du genre humain répond
fondamentalement à un souci d'édification de l'espèce
humaine. Puisque l'éducation des hommes au sens large du terme ne
concerne pas quelques individus. C'est une mise en oeuvre des moyens propres
pouvant permettre le développement sous toutes les formes des hommes
vivants en société. Cela implique de même que le rôle
primordial que jouerait l'éducation serait donc d'inculquer aux citoyens
le respect de la législation. Cette dernière est
161 Emmanuel Kant, Anthropologie du point de
vue pragmatique, Op. cit., pp. 71-72.
162 Emmanuel Kant, Anthropologie du point de
vue pragmatique, Op. cit., p. 122.
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redevable à la raison humaine. Finalement
l'édification de la moralité par l'éducation passerait,
par la formation de l'esprit libre, qui tient simultanément intelligence
et volonté, car toute la puissance du vouloir se manifeste dans la
formation de l'intelligence163.
En somme, l'éducation conduit à
l'édification de la moralité. Elle permet à l'homme de
témoigner de conduites, socialement admissibles. Elle avantage l'homme
en renforçant la promptitude et la nécessité des valeurs
qui ordonnent l'existence humaine. Elle se traduit par l'exigence de la
reconnaissance de la dignité humaine d'autrui. Aussi, elle dispose les
hommes à la culture des valeurs susceptibles de porter dignement
l'humanité dans la manifestation de ses formes diverses et
variées. Elle forge, par conséquent la nature humaine à
l'avantage des rapports humains. En outre, elle inculque des principes moraux
pour le plus grand bien de l'humanité. L'instruction et la discipline
sont de ce point de vue les supports vitaux, les moyens de réalisation,
qui portent l'humanité vers les hauteurs du
perfectionnement.
163ALAIN.-
Propos sur l'éducation, Paris, PUF, 2012, p.
52.
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