2- Le respect des valeurs sociales
Le respect désigne l'attitude par laquelle l'on
reconnaît en son semblable la fin en soi. En effet, il serait
presqu'imaginable de concevoir des sociétés humaines sans
considération et respect. Une chose est de tisser volontiers des
amitiés, de concevoir des rapports sociaux, mais faudrait-il encore que
le respect y soit. Le respect se pose comme le facteur déterminant des
relations humaines, élevant avec dignité l'être humain
à l'ensemble des caractères qui l'associe à
l'humanité135.
De cette manière, il renvoie, de même
à une manière de se conduire par laquelle on témoigne du
bon sens. Il apparaît comme une conduite adéquate qui favorise une
meilleure compréhension de l'espèce humaine. Par le respect,
l'homme manifeste davantage l'humanité. Le respect, d'un point de vue
sociétal, est ce qui rend possible les relations interpersonnelles.
Aussi il accompagne l'existence et la considération des valeurs sociales
établies pour le bon fonctionnement de la société. Par
respect, les êtres humains fondent en raison la nécessité
de se soumettre et d'honorer les valeurs sociales. La chaîne des valeurs
est également perpétuée, mais sous le sceau du respect. Il
est consolidé dans les moeurs par
l'éducation136.
Le non-respect des valeurs sociales
révèle toute leur importance dans la mesure où les hommes
tombent, sans elles dans les pratiques indécentes et
démesurées. De fait, on ne saurait nier le rôle constructif
de l'éducation qui est de favoriser aux individus les mêmes
chances d'épanouissement sociétal. Par elle,
135 Lopez Emmanuel Oscar Koffi, La
problématique de l'éducation dans la philosophie de Hannah
Arendt, Op. cit., p. 66.
136 Friedrich Schleiermacher,
Conférences sur l'éthique, la politique et
l'esthétique, Op.cit., p. 344.
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les individus tendent à trouver la juste mesure
des choses. En bref, ils adoptent des conduites humaines
conséquentes137. Comment l'éducation conduit-elle au
respect des valeurs sociales ? Dans son exercice, l'activité
éducative est considérée par Emmanuel Kant comme une
affaire générationnelle. C'est le labeur de toutes les
générations :
L'éducation est un art dont la pratique a
besoin d'être perfectionnée par plusieurs
générations. Chaque génération, munie des
connaissances des précédentes est toujours plus en mesure
d'arriver à une éducation qui développe dans une juste
proportion et conformément à leur but toutes nos dispositions
naturelles, et qui conduit ainsi toute l'espèce humaine à sa
destination138.
Dans cette démarche artistique de
l'éducation chez les différentes générations, on
assiste à une transmission du respect des normes sociales. Le respect
devient la ligne directrice à partir de laquelle se commande l'agir des
hommes. Chaque génération porte, la responsabilité de
faire en sorte que les dispositions naturelles de l'homme coïncident avec
la culture des valeurs humaines et morales. Elles reposent sur des principes
objectifs dans l'intérêt de l'humanité. Cette approche
kantienne de l'éducation se saisit de l'humanité dans son essence
et de sa force d'un point de vue universel. Elle implique la mise en commun des
efforts de tous les hommes pour réaliser la perfection du genre
humain.
Dès lors, parler de respect des valeurs
sociales dans la société, cela suppose que l'on ait reçu
efficacement une éducation portée en grande partie par le
respect. Dans le contexte sociétal, les hommes ayant subi la rigueur de
la discipline s'illustrent par de bonnes conduites qui attestent leur
compétence dans l'exercice de la profession. L'excellence, plus qu'un
acquis est le résultat d'une sérieuse éducation
intellectuelle : « Ainsi les jeunes gens élevés avec soin
apprennent tous »139. De ce point de vue, les conduites
sociales dignes de respect et de considération portent en
elles-mêmes, les marques d'une éducation bien
137 Odilon M'bonné Dadji,
Traité de pédagogie, Abidjan, CERAP,
2007, p. 34.
138 Emmanuel Kant, Réflexions sur
l'éducation, Op. cit., p. 8. 139Jean-Jacques
Rousseau, Émile ou De l'éducation, Op.
cit., p. 215.
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reçue. Elles confirment la maturité des
auteurs puisqu'elles relèvent de la perspicacité et de
l'intelligence humaine. En somme, il est possible de retenir que la mise
à profit de l'éducation est ce qui permet le respect des valeurs
humaines et de cultiver des conduites sociales dignes.
En outre, la mise à profit de
l'éducation génère des hommes, des citoyens tous
respectueux des lois en vigueur, des libertés individuelles et
collectives car reconnaissent-ils qu'elles sont l'expression de
l'humanité. Cette reconnaissance est la preuve que les valeurs sociales
sont suffisamment promues dans l'éducation. Elle repose sur les normes
sociales : la liberté, l'égalité, la justice et la paix.
Que représentent ces notions dans la vie des hommes ? Toute
société humaine se construit nécessairement autour de
valeurs. De nos jours, nous assistons à une fréquence de notions
au sein des États modernes. De cette façon, elles traduisent des
formulations de la raison commune aux êtres humains, en même temps
qu'elles ordonnent leur vie.
En plus, la présence de ces notions est
d'autant plus justifiée qu'elles apparaissent comme les piliers de ces
États. Elles le sont dans la mesure où toute entreprise humaine
en déphasage avec qu'elles est sujette à des sanctions ou
condamnations. Dès lors, on comprend que leur promotion dans
l'éducation confirmerait une fois de plus leur nécessité
permanente dans la survie des sociétés. Le caractère
humain de ces valeurs, est qu'elles élèvent dignement
l'humanité vers sa plénitude. Elles permettent de chercher et de
faire des progrès vers le perfectionnement de l'humanité. Par
l'éducation, l'homme parvient à s'améliorer
socialement140.
Dans la réalité humaine, les valeurs
sociales constituent des idéaux principaux auxquels tient l'organisation
des États. Ils sont articlés dans ce qu'on pourrait appeler les
Droits de l'Homme. Ils ont en substance ces significations : l'universalisme,
l'individualisme et l'abstraction141. Dans le premier cas, il
s'agit
140 Emmanuel Kant, Critique de la raison
pratique, Op. cit., p. 291.
141 Jean-Jacques Israël, Droit des
libertés fondamentales, Paris, Cedex, Librairie
Générale de Droit et de Jurisprudence, 1998, p. 89.
142 John Stuart Mill,
Considérations sur le gouvernement
représentatif, trad. de l'anglais par Patrick Savidan,
Paris, Gallimard, 2009, p. 250.
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de la liberté liée à la
définition de toute personne humaine. Ainsi, nul n'a le droit de priver
un homme de ce droit. Le deuxième cas, c'est l'individu qui est
privilégié comme la suprême valeur, en tant que
détenteur et responsable devant la législation. Dans le
troisième cas, ces idéaux apparaissent comme des principes. En ce
sens, ils revêtent un caractère divin en raison de leur
perfectibilité. Que peut-on savoir de plus ?
Par ailleurs, on pourrait comprendre que ces
idéaux principaux renfermant les Droits de l'Homme sont susceptibles de
participer à l'évolution et à l'élévation
des sociétés humaines au Bien Suprême. L'expérience
quotidienne montre que le respect des Droits de l'Homme contribue à la
stabilité des États. Les pays auxquels est reconnu le
qualificatif de « Pays développés » veillent au strict
respect des Droits de l'Homme car les considèrent-ils comme les
principes fondamentaux qui accompagnent leurs
développements142. Cet attachement aux Droits de l'Homme
s'expliquerait aussi par le fait qu'ils ont une signification profonde dans la
vie des hommes. Ils englobent les conditions dues à chaque individu en
vertu de sa qualité d'être humain. Ce qui signifie bien que
l'éducation en donne la possibilité.
De plus, aucune organisation sociale de peuples aussi
crédible que durable n'est envisageable sans une prise en compte
réelle des valeurs des Droits de l'Homme : la
liberté, l'égalité, la justice, la sécurité,
la dignité humaine. Il est tout aussi vrai que parler de respect des
valeurs sociales, c'est reconnaître en soi que
la vie en société les exige. Cette tendance vient, pour ainsi
dire, trouver sa justification dans les valeurs sociales. Elles portent la
marque de lois universelles. Elles relèvent du pouvoir de tout
être humain.
Dans ce cas, ces valeurs humaines, portées par
l'altérité ont partie liée avec l'histoire. Cela peut
être compris dans la mesure où l'existence humaine offre toujours,
de par les expériences du passé, la possibilité d'en tirer
les meilleurs
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profits. Et le respect se construit ostensiblement
dans une tension vers l'accomplissement social et même moral. En ce sens,
Jürgen Habermas remarque que :
La façon dont les Droits de l'homme se sont
imposés par étapes successives dans les États
constitutionnels modernes offre un exemple qui permet de le démontrer.
Une fois que des normes fondamentales, comme le droit à la
liberté d'expression ou le droit à la participation à des
élections générales, libres et sécrètes,
sont perçues et reconnues en principe143.
Le contenu des normes sociales lui-même, porte
rétrospectivement à la conscience des concernés, et cela
signifierait que, à travers l'éducation, ces normes sociales ne
pourront que s'arracher davantage de teneur et de sens. Par là, les
individus ont tendance à incarner de par leurs conduites sociales ces
normes fondées en raison qui deviennent la « raison d'être
». En d'autres mots, ces « idées existantes » ordonnent
la vie des hommes.
Devant le caractère humaniste du respect, il
importe de préciser qu'il joue un rôle principal dans
l'appropriation de ces normes sociales ou des valeurs humaines. La culture du
respect permise par l'éducation semble les conditionner dans leur
observation. En privilégiant le respect des valeurs qui exprime la
rationalité et qui désigne un ordre essentiellement humain,
l'éducation élève à la pensée qu'elle forge.
En conséquence, elle construit l'homme, en qui se développe la
poursuite des fins. Dans ce sens, Emmanuel Kant reconnaît le souci de
bonnes conduites des enfants, qui habite les parents dans la première
jeunesse. À cet effet, il observe que :
Les parents cherchent principalement à faire
apprendre à leurs enfants une foule de choses diverses,
ils poursuivent à l'habilité
dans l'emploi des moyens en vue de toutes sortes de fins à
volonté (...), cette préoccupation est
si grande qu'ils négligent communément de leur former et de leur
rectifier le jugement sur la valeur des choses qu'ils pourraient avoir à
se proposer pour fins144.
143Jürgen Habermas,
De l'éthique de la discussion, Op. cit., p.
43.
144 Emmanuel Kant, Fondements de la
métaphysique des moeurs, Op. cit., p. 126.
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En se préoccupant essentiellement de
l'habileté de leurs enfants, les parents s'évertuent à
leur enseigner une multitude de chose. L'emploi des moyens porte la marque
distinctive d'une volonté de voir les enfants se proposer des fins
immédiates. L'importance de cette préoccupation pousse les
parents à négliger de perfectionner le jugement moral. Pourtant,
selon Emmanuel Kant, les parents en se déterminant à
éduquer leurs enfants, doivent tenir compte de la dimension morale afin
que se développe de façon digne et conséquente la
poursuite des fins humanistes portées vers l'avenir.
De ce devoir si grand des parents, résulte
aussi nécessairement le droit de prendre en main « Handhabung
» et de former « Bildung » l'enfant aussi longtemps que
possible, jusqu'à ce qu'il soit capable d'un usage personnel de son
corps, ainsi que de son entendement. Cette éducation prend en compte les
points de vue pragmatique et moral145. Le premier point de vue
concerne la conservation du corps et sa formation, ainsi que de son
entendement. Le second en effet, renvoie à une obligation de
reconnaissance des enfants à l'endroit de leurs parents après
l'éducation achevée.
En définitive, l'existence humaine se construit
fondamentalement autour de valeurs ou de normes dont le respect conditionne et
ordonne le triomphe constant de l'humanité. Elles ont une signification
profonde dans la vie des hommes au point qu'aucune société ne
peut s'en passer au risque de disparition. Le respect de ces valeurs sociales
est redevable à l'éducation, puisque par elle, l'exigence de ces
valeurs est développée dans les manières d'agir.
Cependant, la fin de l'éducation est-elle la moralité dans la
société ?
145 Emmanuel Kant, Doctrine du droit,
Op. cit., p. 224.
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