TROISIÈME PARTIE :
LA MORALITÉ ET SON RAPPORT À
L'ÉDUCATION DANS LA SOCIÉTÉ
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L'éducation a une racine latine :
educatio ; qui désigne l'instruction, la
formation de l'esprit. C'est aussi le processus par lequel une ou plusieurs
fonctions se développent progressivement, et graduellement, par
l'exercice. Elles se perfectionnent ainsi124. L'éducation se
présente, par conséquent comme une science par laquelle l'homme
est produit comme humain. Avec ses formes diverses et variées, assorties
de méthodes relatives, l'éducation se caractérise par une
constante dont la fonction d'humanisation et de moralisation dans la
société est justifiée.
En effet, l'éducation dans sa pratique se
présente comme un ensemble de dispositions destiné à
forger les capacités physiques, intellectuelles, morales et spirituelles
de l'homme pour une existence intelligente et intelligible. De plus, en tant
que science de l'homme, elle comporte les conditions d'évolution ou
d'émergence des sociétés humaines, ainsi que les
progrès au sens plein du terme. Si tels sont les intérêts
divers de l'éducation, son caractère scientifique semble
être affirmé. Dans la mesure où chaque domaine requiert des
dispositions méthodiques, rigoureuses, graduelles ou progressives,
consacrant l'amélioration des conduites humaines en
société. Pour tout dire, l'éducation est indispensable
pour l'affirmation digne de l'humanité.
En considérant l'éducation sous cet
angle, il est donné de comprendre que les conduites sociales dignes des
êtres humains y tirent leurs sources. Elles offrent la possibilité
d'acquérir les idées rattachées à la consistance de
la moralité. D'où la possibilité de considérer
l'existence d'un rapport entre elles. Car, bien que vue sous plusieurs
formes125, l'éducation paraît comporter les conditions
de réalisation effective et digne de l'espèce humaine. Ainsi, la
moralité semble trouver sa justification dans son rapport à
l'éducation en vertu de la finalité éthique et humaine
qu'elle poursuit.
124 Jacqueline Russ, Dictionnaire de
Philosophie, Op. cit., p. 82.
125 Lopez Emmanuel Oscar Koffi, La
problématique de l'éducation dans la philosophie de Hannah
Arendt, . Thèse de Doctorat d'État en Philosophie,
Université Félix Houphouët-Boigny- Abidjan, 2014, p.
69.
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CHAPITRE I : LA CONSISTANCE DE L'ÉDUCATION
L'homme est tel qu'on ne pourrait concevoir absolument
toutes valeurs sociales que par rapport à ce dernier. En effet, la
capacité manifeste à admettre unanimement telle pratique et
à rejeter telle autre dans l'intérêt de la
société, est liée à sa nature éprise de
perfection et de liberté. Cette tendance naturelle se pose alors comme
ce qui, en lui-même pousse sans cesse à recouvrir
l'humanité. C'est pourquoi, l'éducation, dans une certaine mesure
est considérée comme une réalité qui conditionne
cette humanité. Par elle, l'homme développe naturellement le
besoin de s'humaniser pour être davantage épanoui. Elle semble
être la source d'enchantement de l'humanité.
L'expression de ce besoin de s'humaniser va se
traduire concrètement par l'observation de bonnes conduites
inculquées par l'éducation. On note que l'éducation de
cette manière pousse l'homme vers sa plénitude dans la mesure
où elle privilégie la culture des valeurs. C'est donc dire que
l'éducation, dans sa consistance est capable de favoriser des hommes
véritablement dignes et humains. Par conséquent,
l'éducation regroupe de nombreux profits pour l'espèce humaine :
recouvrement de l'humanité, la généresence des hommes et
le respect des normes sociales. Ces acquis corroborent, pourrait-on dire, la
consistance de l'éducation. Ils le sont puisque l'humanité en est
honorée. De fait, l'éducation est-elle en rapport avec la
construction de l'humanité ?
1- L'éducation et la construction de
l'humanité
De tous les secteurs liés à
l'émergence des peuples, celui de l'éducation occupe une place de
choix dans leur vie. En effet, la reconnaissance de cette place serait due
à la consistance indéniable que lui attribuent les
sociétés humaines. Cette force de l'éducation est
largement répandue au cours de l'histoire. Comme preuve, toute
société humaine ne peut parvenir à un niveau de
développement considérable que par l'éducation. Elle
s'étend à tous les secteurs d'activités. Il suit, de ce
point de vue, qu'elle est édifiante.
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Si l'éducation se pose comme une science des
êtres raisonnables, alors n'est-ce pas la preuve qu'elle participe
à la construction de l'humanité ? La culture de toutes les
valeurs humainement concevables est subordonnée à la transmission
des valeurs de l'éducation. L'admission de l»éducation dans
sa vocation se présente comme la science par laquelle l'homme parvient
à la réalisation de l'humanité. En ce sens, Jean-Jacques
Rousseau reconnaît le continuum que constitue l'éducation puisque
pour lui :
Nous naissons faibles, nous avons besoin de forces ;
nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d'assistance ; nous
naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n'avons pas
à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands nous est
donné par l'éducation126.
L'éducation montre toute son
indispensabilité dans la construction et la réalisation de
l'espèce humaine. Elle apparaît comme ce par quoi l'homme est, et
ce qu'il devient. La construction de l'humanité apparaît
évidente par le biais de
l'éducation, révélant son
efficacité par le développement des
facultés intellectuelles, physiques et morales chez les êtres
raisonnables au cours de l'existence. Elle constitue une capacité et un
besoin de l'homme en société.
Le fait de parler de valeurs humaines comme la
moralité, relativement aux conduites humaines, ne pourrait s'arroger de
la consistance que dans le domaine de l'éducation. Même si
l'actualité de nos sociétés modernes affiche par endroit
autant de négativités, il apparaît néanmoins
préjudiciable de nier à la base toute éducation. En ce
sens, l'on ne peut parler de construction que par rapport à la science
de l'homme. Elle contribue à la construction de l'humanité. Dans
le contexte sociétal, l'éducation se présente comme le
processus dans lequel l'humanité se forme. Dans la mesure où la
poursuite des valeurs de toutes sortes y est contenue.
De cette manière, la fonction de
l'éducation, est d'abord et avant tout celle de développer, peu
à peu, toutes les qualités naturelles de l'humanité en
l'homme.
126Jean-Jacques Rousseau,
Émile ou De l'éducation, Op. cit., p.
83.
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Le rapport de la moralité avec
l'éducation pourrait s'expliquer par le fait qu'aucun progrès
quel qu'il soit ne peut se réaliser sans éducation. Ce qui
signifie que la voie la mieux indiquée pour construire toutes les
valeurs humaines, est celle de l'éducation. Elle se pose comme le
substratum de tout développement humain remarquable des peuples. Des
puissances de ce monde comme l'Europe et les États-Unis n'ont pu se
hisser à ce piédestal que par la reconnaissance de
l'éducation, à laquelle pouvoir a été
accordé.
Son pouvoir s'est avéré d'autant plus
efficace et profitable que les dirigeants en sont arrivés à
restaurer l'autorité des corps enseignants. Elle a été
admise comme gage de réussite sociale : « Ce faisant on ne tente
rien d'autre qu'une restauration : on n'établira une fois de plus
l'autorité dans l'enseignement »127. L'éducation
conditionne la conception et la culture de toutes les valeurs désirables
: morale, physique et intellectuelle. De plus, concevoir l'éducation,
c'est aussi envisager son rapport à la construction de l'humanité
pour les êtres raisonnables. Cela reviendrait à signifier que la
reconnaissance de l'homme comme être doué de raison et de
liberté semble fonder davantage toutes ses représentations. Les
valeurs humaines à cultiver, par exemple, expliquent les conditions de
triomphe de l'humanité.
Davantage, la reconnaissance de ce rapport implique
que par l'éducation, l'homme a la capacité de s'élever
à la moralité, et partant à toutes les valeurs humaines
concevables. Par le fait de la raison, la nécessité du bien est
forgée. Pour preuve, la distinction des choses de la nature est
redevable à la raison dont le développement rationnel et
conséquent est assuré par l'éducation, qui aiguise nos
facultés sensorielles :
Sitôt que nous avons, pour ainsi dire, la
conscience de nos sensations, nous sommes disposés à rechercher
ou à fuir les objets qui les produisent, d'abord selon qu'elles nous
sont agréables ou déplaisantes, puis selon la convenance ou
disconvenance que nous
127 Hannah Arendt, La crise de la
culture, trad. de l'anglais par Patrick-Levry, Paris, Gallimard,
1972, p. 236.
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trouvons entre nous et ces objets, et enfin selon les
jugements que nous en portons sur l'idée du bonheur ou de la perfection
que la raison nous donne128.
Il faut dire dans ce cas avec Jean-Jacques Rousseau
que le mérite de la raison dans l'éducation est remarquable. Elle
constitue une faculté qui, au moyen de l'éducation, consolide en
l'homme la distinction du bien et du mal. La raison participe au progrès
de la civilisation et de l'humanité. L'homme doit la cultiver sans cesse
en toute chose pour parer aux transgressions morales. En plus, elle permet
d'amoindrir les dérives sociales. La capacité des hommes à
surmonter les différences, existant dans les moeurs et leurs talents,
est fondamentalement redevable à leur éducation qu'à autre
chose. Elle forme leurs esprits de sorte que les notions de fraternité,
d'altruisme, de coopération, de vivre-ensemble finissent par
intégrées leurs moeurs.
Elle développe la raison et enseigne comment il
faut vivre en bonne intelligence avec les semblables. Ce qui signifie que c'est
un processus qui nécessite l'usage de la raison. En effet, Ernest
Cassirer souligne que c'est :
« L'art qui doit devenir raisonné, s'il
doit développer la nature humaine de telle sorte que celle-ci atteigne
sa destination »129 . Pour lui, l'éducation, doit
comporter une dimension rationnelle. Elle l'exige, non pas en raison de
l'incapacité de l'homme, mais pour que la nature humaine parvienne
à son accomplissement. Effectivement, la faculté
régulatrice qu'est la raison, est très importante dans
l'éducation. Ici, le développement de la raison semble être
la condition de l'éducation, dans la mesure où l'accès
à l'humanité en dépend socialement.
Quant à lui, Emmanuel Kant, dans cet
élan de formulation assigne quatre objectifs à l'éducation
: la discipline, la culture, la civilisation et la moralisation130.
Elles forment l'humanité dans toutes ses phases diverses et
128Jean-Jacques Rousseau,
Émile ou De l'éducation, Op. cit., p.
84.
129 Ernest Cassirer, Rousseau, Kant, Goethe,
trad. de l'allemand par Jean Lacoste, Berlin, Tours, 1991, p.
79.
130 Emanuel Kant, Réflexions sur
l'éducation, trad. de l'allemand par Alexis Philonenko,
Paris, Vrin, 1996, pp. 5256.
131 John Locke, Quelques pensées sur
l'éducation, trad. de l'anglais par Gabiel Compayré,
Paris, Vrin, 1966, p. 34.
132 Emmanuel Kant, Réflexions sur
l'éducation, Op. cit., p. 6.
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variées, et poussent avec docilité les
hommes à se soumettre aux prescriptions de la raison. Cependant, en quoi
consiste la construction de l'humanité ?
Parler de construction de l'humanité, renvoie
dans une certaine mesure à l'ensemble des acquis de l'éducation.
En effet, cette construction de l'humanité pourrait s'expliquer par les
résultats satisfaisants que procure l'application des rudiments de
l'éducation aux hommes. Grâce à l'éducation l'home
acquiert la capacité de s'ennoblir. Cette faculté chez l'homme,
repose essentiellement sur l'adoucissement des moeurs, que seule procure
l'éducation. Dès lors, comment justifierait-on les manquements
dans les conduites humaines ? D'après, John Locke, il est important de
comprendre que selon l'expérience quotidienne, les mauvaises conduites
sociales ne sont pas à attribuer à autre chose, mais à
l'éducation. Ainsi, il écrit ceci : « l'éloge ou le
blâme » d'un comportement humain est toujours imputable à
l'éducation. C'est la faute de leur éducation
»131.
Dans ce sens, aucune satisfaction ne pourrait
être obtenue en termes de moralité que par une éducation
axée sur la formation du caractère par les éducateurs.
Pour cette raison, il faut du courage et une certaine disposition d'esprit, qui
sont un devoir moral à la charge des pédagogues dans la
société toute entière. C'est de cette manière que
l'on peut comprendre le caractère constructif de l'humanité par
l'éducation. En outre, selon Emmanuel Kant :
L'homme ne peut devenir homme que par
l'éducation. Il n'est que ce qu'elle le fait. Il est à remarquer
qu'il ne peut recevoir cette éducation que d'autres hommes, qui l'aient
également reçue. Aussi le manque de discipline et d'instruction
chez quelques hommes, en fait de très mauvais maîtres pour leurs
élèves132.
En considérant que le devenir de l'homme
réside dans l'éducation, c'est montrer que sans elle, il est
impossible de concevoir la discipline et la culture chez celui-ci. Comme
l'explique Emmanuel Kant, la discipline empêche que l'homme soit
détourné de sa destination, qui est celle de l'humanité.
Celle-ci ne peut être sauvegardée que par des hommes qui,
eux-mêmes, en ont subi la
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rigueur. Par la discipline, il est possible de
soumettre l'homme aux lois de l'humanité. Quant à la culture,
elle comporte la partie positive de l'éducation. C'est exactement ce qui
est remarquable dans les rapports interpersonnels quand une éducation a
été faite avec soin. La bonne volonté est ainsi manifeste
et humaine.
Si l'on admet que l'éducation a rapport
à la construction de l'humanité, c'est qu'elle sert à
former les esprits humains à la discipline, à les habituer
à se plier devant de la raison. Elle doit combattre l'ignorance sous
toutes ses formes133. Dans ce même ordre d'idées, il
est certain, en effet, que l'appartenance de l'éducation à
l'espèce humaine est justifiée au point qu'il semble difficile
d'en tirer autant de profits chez d'autres êtres vivants en dehors des
hommes. L'éducation est considérée comme vectrice de
principes conduisant à la vertu. Le rôle que peut accomplir en
cela, l'éducation, est compréhensible du fait qu'elle permet de
fonder en raison tout ce qui, humainement, est admissible. L'homme doit
développer ses simples dispositions naturelles au bien, qui apparaissent
sans la moindre marque distinctive de la moralité.
C'est ainsi qu'il en va également pour la
transformation des valeurs en vertus. Ce processus légitime implique le
devoir de cultiver l'ensemble de toutes les bonnes conduites,
c'est-à-dire des conduites au sens désirable et recommandable.
Car c'est seulement par la transformation des valeurs humaines en vertus que
peut naître quoi que ce soit qui, dans les manifestations de
l'humanité, appartienne au concept du Bien
suprême134.
En définitive, l'éducation constitue un
ensemble de dispositions pratiques qui consacrent les développements
physique, intellectuel et moral des êtres raisonnables. Elle se
présente comme le processus légitime par lequel l'homme parvient
à son accomplissement. Elle participe au progrès de
l'humanité et favorise des relations intelligentes et humaines. Elle
contient, à ce titre,
133 John Locke, Quelques pensées sur
l'éducation, Op. cit., 38.
134 Friedrich Schleiermacher,
Conférences sur l'éthique, la politique et
l'esthétique, Op.cit., p. 231.
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l'humanité dans toute sa grandeur, et ce, dans
un rapport à sa construction. Elle semble témoigner, par
conséquent, de la construction de l'humanité par laquelle le
monde prospère. S'il est vrai que l'éducation contribue à
la construction de l'humanité, consacre-t-elle le respect des valeurs
sociales ?
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