2- La moralité et son rapport à la
contrainte
La moralité se présente comme le
contraire des attitudes malveillantes et intéressées. En effet,
concevoir la moralité et son rapport à la contrainte,
impliquerait l'idée selon laquelle tout être digne de ce nom, est
capable d'une absolue nécessité. L'homme en vertu de la raison,
est le seul capable d'une obligation morale. À ce titre, il est
censé agir avec inclination, tout en édifiant l'humanité
spécifique à l'espèce humaine. Quand il agit moralement,
la satisfaction est ce qu'il éprouve. Puisqu'il pense s'être
acquitté de son devoir dans la mesure du possible. Cette
possibilité s'inscrirait dans l'obligation morale qui se rattache
à cette idée de contrainte.
Dans ces conditions, la moralité, loin
d'astreindre l'épanouissement de l'homme, concourt à favoriser,
l'édification des êtres raisonnables. Elle renforce
105 Cette définition est donnée par
Ferdinand Alquié dans la Préface de la Critique de
la raison pratique, (Paris, PUF, 1963), pp. 22-23.
106 Emmanuel Kant, Fondements de la
métaphysique des moeurs, Op. cit., p. 168.
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les liens de fraternité, d'amitié et de
solidarité. En se considérant défini par la
liberté, l'être raisonnable doit pouvoir trouver de
l'intérêt à bien se conduire. La contrainte de ce fait ne
signifierait pas une obligation extérieure. Mais elle s'expliquerait par
la restauration de la dignité humaine, qui exige le respect. Demeurant
intérieure, Emmanuel Kant la justifie :
La conscience d'une libre soumission de la
volonté à la loi, mais accompagnée pourtant d'une
contrainte inévitable exercée sur tous nos penchants par notre
propre raison est donc le respect pour la loi. La loi, qui exige et inspire
aussi ce respect, n'est autre, comme on le voit, que la loi morale (car seule
celle-ci) a le privilège d'exclure tous les penchants de l'influence
immédiates qu'elle exerce sur la volonté107
.
La possibilité par laquelle l'homme peut
comprendre la moralité et son rapport à la contrainte, est la
conscience d'une libre soumission de la volonté à la loi.
L'accomplissement de la moralité qui se formule en respect de
manière extérieure, est le fait de la contrainte
intérieure à laquelle aucun être raisonnable
n'échappe. Loin de paraître comme une influence extérieure,
la contrainte exercée est dû à notre propre raison. Elle
constitue le principe qui ordonne immédiatement la volonté.
Ainsi, toute conduite indignant la personne humaine, constitue une simple
volonté malveillante et irrationnelle, par laquelle un individu ignore
volontiers la moralité.
De même, les conduites sociales objectivement
pratiques suivant cette représentation de la moralité et son
rapport à la contrainte, considèrent le devoir. Pour cette
raison, la contrainte prendrait la forme de devoir. Puisque l'exclusion des
mauvais penchants est rendue possible par l'accomplissement de cette
contrainte. Par conséquent, la représentation que l'être
raisonnable peut faire, doit être comprise comme « la contrainte
pratique, c'est-à-dire d'actions auxquelles nous devons nous
déterminer, quelle que peine que cela nous coûte
»108. En prenant de la peine à l'accomplissent de cette
contrainte intérieure, l'homme ne
107 Emmanuel Kant, Critique de la raison
pratique, Op. cit., p. 259.
108 Emmanuel Kant, Critique de la raison
pratique, Op. cit., 259.
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fait qu'honoré l'humanité dans sa
perfection. Il témoigne de la raison qui structure les rapports
humains.
Si l'être raisonnable ne s'humanise davantage
que par l'accomplissement de son devoir, alors comment le reconnaitre et
s'assurer de l'avoir accompli ?
Emmanuel Kant répond à cette question de
la manière suivante : « En d'autres termes la connaissance de ce
qui est devoir s'offre d'elle-même (...) surtout s'il s'agit d'un
avantage qui s'étende à toute l'existence »109.
La reconnaissance du devoir, réside dans son accomplissement,
susceptible de tenir à l'universel. Le devoir de manière
conséquente, constituerait la source par excellence de la
moralité dans la mesure où la loi morale qui l'incite en nous
conduit à la reconnaissance de cet accomplissement qu'est la culture du
bien. L'être raisonnable, doit avoir des conduites portées par
l'impératif catégorique : « Agis uniquement d'après
la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une
loi universelle »110.
La conduite de l'homme doit s'inscrire dans
l'objectivité. Il importe de souligner que cette adresse de la
moralité sous forme de contrainte exige que l'homme agisse certes, mais
qu'il soit conséquent avec lui-même. Cela rendrait les
échanges interpersonnels dignes comme le pense Emmanuel Kant. Dans ce
même ordre d'idées, il est possible de comprendre que, même
si la vie pour les êtres raisonnables consiste à vivre, il est
nécessaire de bien agir car, en cela, se trouve la source de maximes
universalisables111.
Cependant, comment s'explique la réalisation de
maximes universelles chez l'être raisonnable ? La réalisation de
maximes universalisables, selon Emmanuel Kant passe par le sentiment. Ce
dernier apparaît sous la forme d'un intérêt moral dont sont
capables tous les êtres humains. Ce qui renverrait à l'idée
que le développement constant de ce sentiment de l'intérêt
moral est légitime. Elle aiguise et confère du sens au devoir
à accomplir :
109 Emmanuel Kant, Critique de la raison
pratique, Op. cit., p. 185.
110 Emmanuel Kant, Fondements de la
métaphysique des moeurs, Op. cit., pp. 139-140.
111 Ibidem., p. 142
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L'intérêt moral est un sentiment
indépendant des sens, et qui a uniquement sa source dans la pure
pratique. Sur le concept d'un intérêt se fonde à son tour
celui d'une maxime. Une maxime n'est donc moralement bonne, que quand elle
repose sur l'intérêt que l'on prend à la pratique de la
loi.112
L'intérêt moral trouve lui-même sa
source dans la raison pure pratique. Il permet en particulier de comprendre le
fondement de la maxime universelle. La pratique de la moralité
résulte d'une transformation de la contrainte en intérêt
moral et, qui à son tour s'accomplit en devoir. D'où pouvons-nous
noter le rapport de la moralité à la contrainte. La conduite de
l'homme serait de trouver toujours de l'intérêt moral à
édifier l'humanité. Leur désir de reconnaissance et leur
affirmation devraient les mener à la liberté, la justice,
lesquelles permettraient la restauration de la dignité.
L'accomplissement du devoir demande la volonté
bonne. Elle consiste à affermir la conscience du devoir qui se veut
contraignant. En ce sens, Ralph Walker fait cette précision : « Une
personne peut accomplir un acte qui est un devoir sans que cette action ait la
moindre « valeur morale » parce que le motif n'est pas le devoir
»113. Tout cela est essentiel dans la compréhension de
la moralité dans son rapport à la contrainte. Le devoir,
découlant de ce rapport raisonnable doit être emprunt d'humanisme
et de bienveillance. Ce qui signifierait que la reconnaissance de cette
contrainte morale relève de la compétence humaine. Elle vient
marquer l'idée selon laquelle il n'y a que les êtres raisonnables
qui aient la faculté d'agir d'après la représentation des
lois, c'est-à-dire d'après les principes, et par
conséquent qui aient une volonté.
On peut noter ainsi que, toute action en
déphasage avec les principes de la moralité, doit conduire
à la peine pour le sujet moral. Doit se produire, dès lors «
un inconfort »114 encore plus si cette dernière est
publique. C'est une ombre qui devrait nous suivre. Par ailleurs, une telle
affirmation pourrait se justifier dans la
112 Emmanuel Kant, Critique de la raison
pratique, Op. cit., p. 257.
113 Ralph Walker, Kant, Op.
cit., p. 49.
114 Julien Corriveau, Le jugement de la
conscience morale dans la philosophie pratique d'Emmanuel Kant,
Mémoire de maîtrise en Philosophie, Montréal,
Université de Montréal, 2011, p. 12.
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mesure où il y va de « la moralité
des êtres raisonnables, qui seule comprend la mesure d'après
laquelle uniquement ils peuvent espérer, par la main d'un sage Auteur du
monde avoir part au bonheur »115. Le bonheur des êtres
raisonnables réside dans la compréhension de la moralité,
qui conditionne, par conséquent leur part. Car cette part au bonheur
prend en compte leur moralité qui doit porter la marque distinctive de
la contrainte : l'intérêt moral. On ne pourrait penser la
moralité indépendamment de la liberté et de la contrainte
qui sont du pouvoir de chaque être
raisonnable116.
Le rapport de la moralité à la
contrainte implique que l'homme est libre d'agir comme il l'entend : libre de
s'asseoir, de se tenir debout, de marcher, de courir, de ralentir etc. Mais la
conscience de ce rapport suggère que l'individu agisse bien. C'est ainsi
qu'il se rend digne d'actions morales, de conduites sociales susceptibles
d'honorer l'humanité. L'être raisonnable ne ferait que se
distinguer des autres êtres vivants de la nature. Puisque la
représentation des lois d'après laquelle il agit, constitue toute
sa dignité d'homme. De ce fait, on parle de paix du coeur
lorsqu'il n'y a pas de faillite au devoir. La conscience est
commandée par le devoir sous l'égide de la raison.
De même, le fait de bien agir,
légitimerait la satisfaction chez le sujet moral. Elle se fonde sur le
principe que, ce qui nous humanise est honoré : la moralité. Si
la tranquillité consiste surtout à être en paix avec
soi-même, et avec les autres, il en est de même pour
l'intérêt moral que l'on prend à l'accomplissement de la
loi117. Son effet sublime intervient lorsque l'homme, de par ses
conduites morales agit dans le plus grand intérêt du monde. En
respectant la dignité de son semblable, il l'humanise. C'est pourquoi,
dans cette projection humaniste, la qualité d'être humain voudrait
constamment qu'il « suivre la voie
115 Emmanuel Kant, Critique de la raison
pratique, Op. cit., p. 257.
116 Ibidem.
117 Emmanuel Kant, Critique de la raison
pratique, Op. cit., p. 259.
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que la raison lui indique comme la meilleure quoique
ses appétits l'inclinent d'un autre côté
»118.
En considérant le rapport de la moralité
à la contrainte dans l'entendement humain, les rapports
extérieurs entre les hommes se révéleraient davantage
dignes des hommes. Dans leur ensemble, les conduites sociales seraient sous la
forme d'un mélange harmonieux. En effet, ce qui est exigé, c'est
le sentiment moral, qui est proprement
l'intérêt moral, et qui doit nous inciter à la culture du
bien. Le souci de l'intelligibilité et de convenance des actions
paraît tout à fait compréhensible puisque ; en tant que
dépositaire de la conscience
morale119, l'homme se doit d'oeuvrer
pour l'édification de l'être humain. L'être raisonnable se
trouve soumis à une nature humaine qui impose d'agir avec la conscience
de respect pour l'homme en tout temps120.
Tout individu pourrait, en lui-même trouver
l'expression de la détermination de la volonté qui le fonde, et
l'affirmation d'une conscience. Le sentiment moral est l'élément
déterminant, capable de nous guider « dans la communauté des
individus, puisqu'une conscience se développant d'emblée de
façon isolée ne nous est pas donnée et ne saurait non plus
être pour nous un objet d'intuition »121. En
conséquence, la contrainte morale exige qu'il témoigne de
conduites l'associant dignement à la vie communautaire. La
reconnaissance de la moralité en rapport avec la contrainte,
signifierait que les bonnes raisons de bien agir 122, se trouvent en
l'homme lui-même. C'est ainsi qu'il apparaît comme le seul
être digne de la conscience morale.
La possession de cette faculté nous persuade
que la personne humaine est sacrée. À ce titre, la conscience
morale juge la moralité du traitement particulier que nous
réservons à l'être humain, possédant
indéniablement une valeur absolue.
118 John Locke, Quelques pensées sur
l'éducation, trad. de l'anglais par Gabiel Compayré,
Paris, Vrin, 1966, p. 34.
119 Jürgen Habermas, Morale et
communication, trad. de l'allemand par Christian
Bouchindhomme, Paris, GF-Flammarion,
1999, p. 131.
120 Emmanuel Kant, Doctrine du droit,
trad. de l'allemand par Alexis Philonenko,
Paris, Vrin, 2011, p. 185.
121 Friedrich Schleiermacher,
Conférences sur l'éthique, la politique et
l'esthétique, Op.cit., p. 257.
122 Emmanuel Kant, Fondements de la
métaphysique des moeurs, Op. cit., p. 101.
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De par nos conduites quotidiennes, il importe que nous
témoignions de maximes universalisables. Cette importance pourrait se
justifier dans la mesure où la culture de la raison suppose des
conduites dignes et moralement convenables. La conscience morale,
détermine également notre qualité morale. Le
développement de cette dernière fonde la légitimité
de la moralité dans son rapport à la contrainte. Il explique le
fait réflexif et motivationnel de la conscience dans l'accomplissement
du bien.
De plus, l'existence de la raison comme faculté
gouvernant, légitime une tension vers l'universalité par des
maximes d'actions caractérisées par la recherche du plus grand
bien du monde. La moralité suggère que tout être
raisonnable doit se conduire avec la conscience que l'accomplissement du devoir
est une contrainte. Elle recommande nécessairement un
intérêt moral que tout homme est censé découvrir, en
vertu de la qualité d'être humain. Cette digne
représentation de la moralité constitue le fondement de
l'humanité puisque dans la pensée d'Emmanuel Kant, elle est la
mesure dans laquelle l'humanité peut triompher. De même, parce que
l'évolution de l'humanité semble tenir au
règne des fins profitables. En somme, cette
compréhension de la moralité est essentiellement portée
par la transformation des valeurs en vertus.
Quant à l'analyse de la moralité et le
fondement de l'humanité, elle montre que l'homme, être doué
de raison et de liberté, doit témoigner de la moralité
dans toutes ses actions. En se souciant de la moralité de nos actes,
nous prenons part à l'intérêt moral. Il constitue le
sentiment moral qui atteste notre humanité. La moralité se
présente sous la forme d'une conscience morale qui habite en chacun de
nous123. En vertu de la raison, tout homme doit accomplir son devoir
en lequel réside le triomphe digne de l'humanité. Cette
capacité doit se traduire par des actions de bonne volonté
caractérisées par l'effort et la persévérance dans
l'accomplissement du bien moral.
123 Julien Corriveau, Le jugement de la
conscience morale dans la philosophie pratique d'Emmanuel Kant,
Op. cit., p. 8.
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La moralité dans la nature de l'homme
suggérerait la compréhension selon laquelle l'homme comporte une
dimension morale inhérente à sa nature. Il se
révèle comme un être dont la volonté est
caractérisée par l'autonomie. Elle se présente sous la
forme d'une condition objective sous laquelle il doit être pensé
en tant qu'être raisonnable. Elle est, par conséquent, favorable
à la moralité. Par là, nous avons pu noter que la
liberté, l'autonomie définissent l'homme et sa
responsabilité s'impose dans le monde. Elle réside dans les
accomplissements de ses actes. De fait, il construit l'humanité et
témoigne de la moralité, puisqu'elle ordonne l'accomplissement du
devoir.
En outre, le développement sur la
moralité entre liberté et contrainte nous révèle
que différentes acceptions de la moralité sont faites. Mais
l'homme est censé fonder la moralité sur des principes
rationnels, capables d'élever et d'honorer l'humanité en
même temps. C'est une compréhension qui enseigne à traiter
l'humanité avec beaucoup de respect et de considération. Par
contre, fondée sur des principes empiriques, l'hétéronomie
s'oppose à la moralité. L'hétéronomie signifierait
l'ensemble des principes portés par la quête du bonheur personnel,
source d'indignation pour l'homme.
Dès lors, si le triomphe de l'humanité
réside dans la moralité, qui doit être au fondement de
toutes nos actions, Emmanuel Kant ne nous dit pas comment l'humanité
peut triompher constamment. Par quel moyen en rapport avec la moralité,
l'humanité peut-elle triompher dans la société
?
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