5. Contestation des étudiant.e.s
Epitech propose sur le portail étudiant.e.s un forum
interne divisé en catégories, où les étudiant.e.s
peuvent parler entre eux mais aussi poser des questions à
l'administration. C'est ce qu'a fait un élève suite à
l'introduction du statut d'auto-entrepreneur.e, dont voici un extrait :
« je souhaiterais vous poser une question concernant la
décision de faire passer tous les AERs auto-entrepreneurs. Lors de la
formation des assistants à la mi-septembre, Sébastien nous a dit
qu'il s'agissait ici d'une démarche visant à « rendre un peu
plus légal » l'emploi d'élèves au sein de
l'école. Or niveau légalité c'est loin d'être
l'idéal, j'ai déjà pu répertorier 2
caractères frauduleux de la démarche dont un nous incriminant
nous, auto-entrepreneurs :
- le fait de « forcer » les personnes voulant
travailler pour vous à devenir auto-entrepreneur (je parle bien
évidemment des AERs) n'est pas légal, si l'URSSAF venait à
me demander pourquoi j'ai créé une auto-entreprise, je ne saurais
quoi répondre sans mettre l'école dans une situation
délicate.
- le fait que nous ayons un seul client risque de nous porter
du tort, à la longue (un an, si ce n'est moins...) nous pourrions
être soupçonnés de « salariat déguisé
», et c'est nous qui en paierons les frais.
je cite : « De facto, certains auto-entrepreneurs
travaillent quasi-exclusivement pour un seul et même client, dans des
conditions identiques à celles de salariés : méfiez-vous
de ces pratiques abusives car les auto-entrepreneurs en sont
toujours les perdants. »
Cela fait déjà deux bémols, et je pense
que nous en découvrirons d'autres avec le temps. Ma question est la
suivante : cette décision de nous faire passer auto-entrepreneur a
t-elle était faite en connaissance de cause de ces problèmes ?
Auquel cas vous devez, je l'espère, avoir prévu
l'éventualité où l'école serait accusée de
déguiser ses employés en auto-entrepreneurs afin de faire des
économies grâce aux cotisations sociales.
Je pense qu'il ne s'agit pas là d'un problème
à prendre à la légère, en plus d'être
risqué pour nous, le statut d'auto-entrepreneur est pour le moins
désavantageux (pas d'assurance-chômage, pas de cotisations
supplémentaires retraite, pas de mutuelle, pas de protection en cas de
rupture des relations...).
N'y a t-il donc aucun moyen légal de faire travailler
des élèves au sein de l'école sans leur faire prendre tant
de risques ? »
Ce message, directement adressé à la direction
d'Epitech, déclenche des discussions entre élèves, l'un
d'eux disant « Je pense qu'ils aiment ne pas payer de taxes à
l'Etat », ce à quoi le directeur de l'école répond
:
« Qui aime payer des taxes ? Mais la difficulté est
bien plus complexe qu'il n'y semble.
Au final, nous n'avons peut-être aucun moyen 100%
légal d'employer des étudiants de l'école.
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Enfin, notre avocate y travail (certes pas rapidement).
Peut-être un montage avec une asso/fondation ... Enfin c'est en cours ...
»
Il faut garder à l'esprit que le directeur est un
« geek » également, et qu'il est bien plus proche des
élèves que n'importe quel.le autre directeur.ice d'école,
certain.e.s élèves le tutoient même. D'autres
élèves font part des mêmes craintes que Cyril : « Il
n'est pas le seul a se poser ce genre de questions, les assistants/permanents
labos divers et variés aussi. » Un élève prend la
défense de l'école, mais il sera le seul, les
élèves pensant plutôt que « La démarche de
« recrutement » des assistants pédagogiques de l'école
me semble difficile à défendre. C'est une situation connue dans
beaucoup d'entreprises, un entrepreneur est beaucoup plus souple qu'un
employé sous CDI : pas d'assurance maladie, pas de congés, pas de
primes, souplesse absolue. » Un autre élève dit qu'au cas
où l'Urssaf viendrait à découvrir le salariat
déguisé, « Epitech risque d'être amené à
devoir nous intégrer en tant que salariés, et à nous payer
les sommes dues sur la différence entre notre salaire horaire actuel et
le smic (ce qui, lorsqu'on regarde pour les AER par exemple le temps
obligatoirement passé à l'école, représente une
énorme différence). » Ce qui laisse clairement penser que
les salaires sont inférieurs au smic pour certain.e.s. Le directeur
réapparaît brièvement sur le forum pour dire simplement
« Je t'assure que nous y travaillons. Nous sommes en attente depuis
mi-décembre d'une étude demandée à notre avocate.
La chose est plus complexe qu'il n'y parait. Nicolas. » Un mois plus tard,
il poste un autre message, en réponse aux étudiant.e.s qui
s'impatientent :
« Je comprends parfaitement la situation.
Néanmoins je n'ai toujours pas de retour de l'avocate à ce sujet.
Quelques bribes seulement. Je vous assure que cette situation ne me plaît
pas plus qu'à vous et que nous sommes le plus actif possible sur le
sujet. Par contre, je ne comprends pas un point dans l'immédiat, pour
moi, vous êtes payés normalement (c'est ce qu'on me dit) ?Donc le
problème n'est qu'une question de forme. Epitech seule porte
l'éventuel risque d'une requalification qui pourrait entraîner
d'avoir à payer un arriéré de charges. Mais pour vous je
ne comprends pas trop la difficulté ? »
Cette dernière phrase déclenche une vague
d'indignation de la part des étudiant.e.s :
« Des difficultés, pour nous, il y en a plusieurs
... Tout d'abord, être dans un statut dont personne ne peut nous garantir
la légalité. Comment se fait-il, ainsi qu'il a déjà
été dit dans ce thread, que ce changement nous aie
été imposé alors que le cadre légal n'était
pas clairement défini ? Comment se fait-il que nous soyons
traités comme des prestataires d'un côté (Obligation de
fournir des factures, d'adopter un statut d'entreprise) et d'un autre
côté comme des employés (templates de factures
imposés à la ligne près sous peine de refus arbitraire de
paiement, contraintes de paiement de la compta qui ne devraient pas concerner
des prestas mais apparemment nous concernent) ? » Cet élève
se plaint également des délais de paiement qui sont devenus
aléatoires depuis que le statut d'auto-entrepreneur.e a
été introduit.
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Un autre élève s'inquiète pour les risques
juridiques :
« Quid des accidents du travail ? Quid de
l'étudiant un peu trop stressé en piscine et dont les parents
portent plainte pour harcèlement ? Quid des problématiques
d'autorisation d'enseigner (certes, les assistants ne font pas de cours, mais
tu sais comme moi que c'est parfois une frontière trouble) ? Les
prestations des assistants sont-elles soumises à des obligations de
moyens ou de résultats ? [...]Le fait est qu'un prestataire a, par
nature, une responsabilité plus grande qu'un employé. Nous
prenons plus de risques. » Il mentionne également les
problèmes administratifs rencontrés « les assistants ayant
oublié de déclarer des revenus, ou les ayant mal
déclarés car ils n'ont aucune idée de ce que veut dire ce
bout de papier envoyé par l'URSSAF. Ou les assistants découvrant
après coup le montant des charges qu'ils doivent payer, bien au
delà de leurs estimations. Certes, ils auraient sûrement dû
aller chercher l'info. Mais le fait est que tous ces gens sont devenus AE en
suivant à la lettre des documents édités par Epitech, ont
utilisé les templates de factures Epitech, bref, se sont laissés
totalement porter par l'école pour devenir AE et gérer leur
statut. Et un jour ils ont découvert avec stupeur qu'on ne leur avait
pas mâché tout le travail mais juste une partie, et surtout, qu'on
ne le leur avait pas dit clairement. »
D'autres élèves s'impatientent « Pourquoi
ne pas avoir trouvé de réponse avant de faire passer plusieurs
dizaines de personnes sous le statut d'auto-entrepreneur ? J'ai l'impression
que le problème est traité à l'envers. » Un autre
relate même des déclarations de l'avocate sur le travail non
déclaré « Sans vouloir faire de mauvais esprit : c'est la
même avocate dont Sébastien Benoit nous a affirmé (en
formation assistants, le vendredi 16 septembre, après avoir publiquement
reconnu que l'école avait eu recours au travail au noir de façon
répétée pendant plusieurs années) qu'elle avait
recommandé cette solution ? » Ce à quoi le directeur
répond que « C'est son travail. Et la situation est très
complexe. Nous devrions avoir sa note prochainement. Globalement elle dit que
seuls les stages et les auto-entrepreneur sont possibles. Pour elle, nous ne
pouvons rien faire d'autre. » Il ne me semble pas pourtant que la
situation soit si complexe, et je ne vois pas ce qui empêcherait
l'école d'employer en contrat à durée
déterminée ou indéterminée à temps partiel
ou plein ses étudiant.e.s.
Tous les témoignages, comme celui qui suit, montrent
clairement les conditions difficiles de travail et de vie des
étudiant.e.s « salarié.e.s » à Epitech :
« Ma propre facture est datée du 01/01/2012. Nous
sommes le 3 [février]. je n'ai toujours pas été
payé. Par contre l'urssaf a été payée, ainsi que
mon loyer et mes factures, parce qu'à ce niveau je n'ai pas vraiment le
choix. Je risque de faire descendre de beaucoup les stats de l'école au
niveau des salaires de sortie. [...] L'impression que j'en ai (et qui est
partagée par de nombreux autres assistants au vu des réactions
dans ce thread) est que le passage sur ce nouveau système a
été mis en place uniquement pour éviter a l'école
de payer
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les taxes patronales, avec un dédain clair et
évident pour les assistants et leurs besoins. » Un autre
étudiant fait part du même problème dans une ville
différente
A ce jour, aucune réponse n'a été
apportée à la colère des étudiant.e.s et
l'école utilise toujours le statut d'auto-entrepreneur.e. Il m'a alors
semblé intéressant de contacter (par email) Cyril, qui est
à l'origine de la contestation semble totalement découragé
:
« La plupart des gens travaillant pour l'école
ferment les yeux vis à vis de ce genre d'entourloupe, y'a que les
grandes gueules comme moi qui se manifestent, et au final je travaille plus
pour eux. Pour ce qui est du post sur le forum, ça fait presque 1 an
qu'on doit avoir une réponse « la semaine prochaine », j'ai
abandonné l'idée de voir un jour les dirigeants de l'école
régler ce problème, c'est un sujet maintenant
étouffé et qui ne bouleverse en rien le travail quotidien des
AERs. C'est une grosse arnaque, mais bon les dirigeants de l'école
s'abstiennent bien d'évoquer le sujet. La réussite de mon cursus
et l'obtention de mon diplôme sont ma priorité, je ne souhaite
plus me battre contre l'école, j'ai assez donné. »
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