Formation en informatique. Ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech.( Télécharger le fichier original )par Clémentine Pirlot Université Paris VII Diderot - Master II Sociologie et Anthropologie option genre et developpement 2013 |
2. Statut d'autoentrepreneur.e : quelques réflexions et interrogationsEpitech emploie des étudiant.e.s depuis sa création, et jusqu'à récemment tout se faisait de manière non déclarée, c'est à dire que les élèves n'avaient aucun contrat de travail, ce qui signifie aucune protection, l'école ne payait aucune charge patronale et la rémunération se faisait sous forme de remboursement/déduction partielle des frais de scolarité. Martin, que je connaissais et qui m'a aidée à aborder le terrain d'Epitech, a été astek à Bordeaux pendant sa scolarité, et déclare avoir été payé 15€ de l'heure à l'époque et parle d'un système de volontariat, c'est-à-dire que l'école envoyait un email disant que tant d'assistant.e.s étaient nécessaires pour telle piscine/projet/soutenance, et celles/ceux qui le souhaitaient s'inscrivaient pour travailler. Le ratio, à l'époque de Martin (il y a un ou deux ans), était d'un astek pour dix élèves, mais le discours officiel de l'école aujourd'hui montre une diminution drastique du nombre d'assistant.e : « Le ratio étudiants/assistants souhaité est de 30, avec au minimum 1 assistant par salle. Ainsi les régions ayant des locaux dont les salles sont petites ont besoin de plus d'assistants puisque dans une salle ne pouvant contenir que 15 élèves on ne peut pas avoir un demi assistant. » Depuis 2010, un nouveau statut a été créé par le gouvernement, appelé « auto-entrepreneur.e » qui permet, en une démarche plus simple qu'une création d'entreprise, de se mettre à son compte et de proposer des services à des entreprises ou des particuliers. Epitech a alors décidé d'utiliser ce statut pour tou.te.s les étudiant.e.s qui travaillaient au sein de l'école, tout en sachant que ce statut n'étais pas légal, ce que l'avocate de l'école aurait décrit aux étudiant.e.s comme « illégal mais moins qu'avant », d'après Martin. En effet, la brochure de promotion de l'auto-entrepreunariat préconise de faire « attention avant d'adhérer au régime auto-entrepreneur, [car] il convient de vérifier que ce régime est adapté à votre situation. En effet certaines professions ne peuvent pas, par exemple, être exercées sous le régime auto-entrepreneur. Tel est le cas notamment des activités exercées dans le cadre d'un lien de subordination pour lesquelles seul le salariat doit être retenu. » Il est en effet illégal de faire passer une personne sous le statut d'auto-entrepreneur.e pour un poste « fixe » qui impose un lieu de travail, des horaires précis ainsi qu'un format et des délais pour présenter la facture, ce qu'Epitech impose désormais à tou.te.s ses étudiant.e.s asteks, AER, koalas et autres. 49 Une enquête de l'Insee sur les auto-entrepreneur.e.s constate que « trois ans après avoir démarré leur activité, neuf auto-entrepreneurs sur dix dégagent un revenu inférieur au Smic. Sur les 328.000 personnes qui ont créé une auto-entreprise en 2009, seulement un quart a pu dégager un revenu positif de façon continue sur les trois ans.» « Les revenus non salariaux des auto-entrepreneurs (4.300 euros en 2009) sont trois fois plus faibles que ceux des entrepreneurs classiques (14.100 euros). » De nombreux articles mettent en garde contre les abus que peut entraîner ce statut : « L'auto-entrepreneur ne bénéficie pas des allocations de chômage en cas d'échec. Le salariat déguisé est un risque important notamment si l'auto-entrepreneur n'a qu'un seul client, qui l'emploie dans un lien de subordination juridique permanent (et démontrable).19 » Les gains sont considérables pour les employeur.e.s qui pratiquent le salariat déguisé en auto-entrepreneuriat, cela « permet à l'employeur de faire des économies (pas de cotisations sociales à payer...) alors que le « faux» auto-entrepreneur prend tous les risques : pas d'assurance-chômage, pas de cotisations supplémentaires retraite, pas de mutuelle, pas de protection en cas de rupture des relations. [...] l'employeur peut être condamné pour délit de travail dissimulé ou abus de vulnérabilité.20 » Martin m'affirme que de moins en moins d'étudiant.e.s souhaitent être astek depuis le changement de statut pour plusieurs raisons : le ratio astek/élèves ne fait qu'augmenter, ne laissant pas aux asteks une seconde de répit, le volontariat tend à disparaître au profit d'un minimum d'heures imposées, et surtout, d'après Martin, la rémunération des asteks serait passée avec le statut d'auto-entrepreneur.e de 15 à 7,5€ de l'heure, ce qui découragerait fortement les élèves. Voici les déclarations de Marie, après avoir commencé à travailler au bocal : « Je suis passée en statut d'auto-entrepreneur mais maintenant nous sommes sous convention de stage et on est payé 1700€ brut par mois en auto-entrepreneur, en tant que stagiaire notre revenu net par mois ne change pas. Je ne peux pas te donner un revenu horaire car nos horaires varient trop. Le régime bocal et le régime astek sont différents nous n'avons jamais été payés 15 € de l'heure. » Tout semble assez opaque quant aux pratiques et rémunérations des différentes catégories d'employé.e.s d'Epitech, Marie nous dit qu'elle est en stage et en auto-entrepreneure, je ne saisis pas tous les détails mais sa rémunération semble être conséquente (1700€ brut) même si, avec le statut d'auto-entrepreneure, Marie ne paie ses cotisations sociales à l'Urssaf qu'une fois par an ou par trimestre, ce qui revient à une somme conséquente à laisser absolument de côté pour les cotisations. On peut donc supposer que les bocalien.ne.s se situent parmi les mieux payé.e.s des étudiant.e.s à Epitech. 19 http://lentreprise.lexpress.fr/statut-auto-entrepreneur/auto-entrepreneur-20-limites-a-connaitre-avant-de-choisir-ce-statut_29918.html?p=2 20 http://lentreprise.lexpress.fr/statut-auto-entrepreneur/faire-travailler-un-auto-entrepreneur-risque-de-requalification-en-contrat-de-travail_28702.html 50 |
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