3. La culture geek à Epitech
Dans la communication externe d'Epitech (site internet,
brochures, page facebook) la culture geek n'est pas mentionnée, si ce
n'est dans les évènements en lien avec le jeu vidéo, mais
elle n'est toutefois pas absente de l'esprit de l'école, comme en
témoignent les enquêté.e.s pour qui la culture geek a plus
ou moins d'importance à Epitech. Pour Sam, la référence
constante au chiffre 42, qui vient du livre de science fiction Le Guide du
Voyageur Galactique de Douglas Adams, et qui serait la réponse
à la « Grande Question sur la Vie, l'Univers et le Reste »,
est une des manières d'invoquer la culture geek : « à
Epitech tout est en fonction de 42. Au début je faisais pas attention en
fait mais après j'ai compris que c'était à cause de
ça. Apparemment il y aurait 42 escaliers dans le bâtiment ils se
sont amusés mais bon ça ça fait partie de la culture geek.
» Cependant, il estime que l'on peut suivre une scolarité
complète sans connaître toute la culture geek « A
Epitech, si on n'a pas de culture geek c'est pas grave dès l'instant
où on trouve toujours ce dont on a besoin au bon moment. Si jamais j'ai
besoin d'apprendre un langage programmation et que je connais le site du
zéro c'est suffisant. 42 on s'en moque un peu. C'est inutile. Par contre
si tu es geek à 100 % et que tu aimes tout ce qui est informatique tu
apprendras tout. » Dounia, qui n'était pas du tout
familière avec la culture geek avant d'arriver à Epitech, a
été surprise que pour beaucoup d'élèves Epitech ne
soit pas qu'une école, mais semble être une communauté de
geeks :
« franchement quand on vit dans ce monde là
et... Surtout quand on ne l'est pas en fait moi j'aime bien ce que je fais mais
l'ambiance, les gens c'est différent. En fait pour eux il y a que
ça que du code. Et genre comme on est pas obligé de venir tout le
temps à l'école on essaie de compenser avec d'autres choses.
J'essaye de sortir avec mes amis parce que vraiment si on reste dans ce monde
là pendant un an on devient vraiment fou. Ils ne font que coder du matin
au soir, si ils codent pas ils jouent, je te promets. Genre quand le jeu diablo
trois est sorti tout le monde parlait de ça mais moi j'ai jamais
joué je joue jamais. En fait ils vont dormir, ils habitent pas loin de
l'école quasiment tous, c'est vraiment leur vie c'est que du code, ils
sortent pas il dorment, ils reviennent le lendemain ils codent ils jouent, ils
dorment ils reviennent. Franchement il faut venir pour voir. Moi j'aimerais
bien en fait me sentir bien dans ça mais heureusement il y a quelques
personnes qui sont pas du tout comme ça. Moi j'aimais bien
l'informatique mais c'était pas vraiment informatique, juste comme tout
le monde. Moi j'entendais dire tout le temps dire ouais eux c'est des geeks.
Mais quand on vit dedans on voit bien ce que les gens veulent dire.
»
Aux yeux de Dounia, seulement quelques personnes dans sa
promotion ne « vivent » pas geek, la majorité passant toutes
les journées à l'école, à travailler ou à
jouer. Dounia utilise le terme « eux » pour parler des geeks, elle ne
se considère donc pas dans cette communauté.
Marie a un avis similaire, bien qu'elle considère que cela
ne concerne pas la majorité des élèves :
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« À Epitech il y a certains cas comme
ça il font que du code mais après à côté ils
n'ont pas de vie sociale. Un truc de fou. À Epitech ils sont pas
forcément boutonneux parce qu'ils ont passé la puberté ils
ont pas forcément tous des lunettes non plus mais ils ont un certain
manque de vie sociale en fait ceux qui sont venus à Epitech c'est parce
qu'ils adorent l'informatique ils savent déjà coder et parfois
ils ont fait que ça dans leur vie en dehors de l'école ils ont
fait que ça et c'est peut-être pour pallier à une sorte de
timidité. Moi pour le monde extérieur je suis geek mais par
rapport à eux non, je suis entre les deux. »
L'expérience de Mélanie à Bordeaux est dans
la même veine :
« Pour moi la culture geek je vais prendre un exemple
en fait c'est les gens qui sont dans mon groupe d'EIP c'est-à-dire que
quand on a dû trouver un projet pour l'EIP moi j'avais pas d'idée
et je me suis dit j'ai pas envie d'être avec des gens que je connais pas
donc il y a un projet qui a été lancé à Bordeaux
mais c'était que ce que j'appelle-moi des geeks c'est-à-dire que
quand on fait des soirées jamais ils viennent le peu de fois qu'ils
viennent ils se mettent sur une chaise au fond le avec leur verre de jus
d'orange tu te sens limite mal à l'aise pour eux parce que tu te dis
qu'ils ne passent pas une bonne soirée. Ils jouent tout le temps et ils
restent tout le temps entre eux. Ceux qui sont dans mon groupe ils ont pas
voulu partir à l'étranger ils sont restés à
Paris,ils ont pris une colocation et ils font que jouer. Ils travaillent au
dernier moment et ce disent oh il me reste 2h ça a intérêt
à fonctionner et quand ça fonctionne pas t'es dans la merde. Et
c'est impossible de les mettre à bosser. La nuit tu vas sur Skype ils
sont connectés c'est parce qu'ils sont en train de jouer Warcraft ou des
choses comme ça. »
Il est intéressant de remarquer que les trois personnes
à insister sur ces « geeks » qui ne font que coder et jouer
sont des filles, les garçons n'ayant pas mentionné de tels
comportements. Pour Mélanie, ne pas connaître la culture geek peut
avoir un impact sur la socialisation et même sur la scolarité
« Ça peut être important parce que
souvent il y a eu des soirées Epitech c'était les soirées
de jeux en réseau et quand toi tu n'es pas très très bonne
en général on te veut pas mais c'est plutôt bon enfant.
Après c'est la façon de parler surtout parce que quand tu n'es
pas une geek tu t'intéresses pas. Mais ça peut être
important parce qu'il y a des choses qui sont cultes et des fois par exemple
Star Wars ou des choses comme ça tout le monde aime à Epitech. Et
moi j'avais jamais regardé Star Wars et ça m'intéressait
pas et en examen de C++ (langage de programmation) en troisième
année la première question, dès que tu as fait une
question ça s'arrête là le premier exercice est une
question avant de commencer c'était qui a dit « je suis
ton père », moi je fais c'est quoi cette connerie donc
j'ai répondu faux et là tout le monde s'est foutu de ma gueule et
j'ai eu 0 en plus à l'examen de la première session à
cause de ça. Je suis une des seuls de France à avoir eu faux
à cette question mais il y a des choses ça paraît tellement
naturel pour eux. »
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David nous offre une réflexion intéressante,
selon lui, la plupart des gens qui entrent à Epitech aujourd'hui ne
seraient pas vraiment geek ni passionné.e.s d'informatique comme les
promotions précédentes, mais pour celles/ceux qui
n'abandonneraient pas en première année, Epitech se chargerait de
leur donner la passion et donc probablement de leur apprendre la culture geek,
dans une sorte de « curriculum caché » :
« maintenant il y a de plus en plus de personnes qui
rentrent comme cette année les premières années ils sont
pas si geek que ça en fait. En fait ça s'ouvre parce que
justement l'industrie et le domaine a besoin de beaucoup de monde dont il y a
beaucoup de gens qui sont intéressés parce que le taux de
chômage est très faible. En fait j'en avais parlé avec
quelqu'un de la com, les mecs ils disaient tu rentres pas passionné tu
rentres intéressé et tu en ressors passionné, expert. La
première année soit tu accroches soit tu adhères pas du
tout et tu t'en vas. Je crois qu'on était 400 en première
année dans la promo et là on doit être dans les environs de
200 ou 250. »
Baptiste semble confirmer cette vision, car pour lui, les
anciennes promotions étaient composées de « vrais »
geeks mais les nouvelles seraient plutôt composées de « faux
» geeks :
« L'époque où il y a beaucoup de geeks
et de vrais comme la promo 2012 ou 2011, les vrais férus d'informatique
qui pouvaient y passer des heures et des heures et qui en même temps
gardaient quand même une vie sociale eux ils s'en sont très bien
sortis j'ai pas mal de potes ou de connaissances, je vois leurs notes je vois
leurs motivations je vois ce qu'ils font je fais vous êtes des dieux
quoi. Mais là on voit maintenant la promo 2016 et même 2015
à partir de là... On passe dans une salle et on voit des mecs en
train de fumer une chicha en plein cours, en train de regarder des
vidéos et pas en train de bosser alors que c'était quelques mois
après leur piscine ils étaient en fin de premier semestre et pour
eux maintenant geek c'est jeu vidéo et facebook alors que c'est pas du
tout ça à la base c'est quand même l'informatique mais faut
avoir une bonne culture geek c'est quand même ça, connaître
les noms les gens qui ont créé, qui ont modélisé
l'informatique d'aujourd'hui et les jeux vidéos d'aujourd'hui, l'univers
science-fiction d'aujourd'hui genre Star Trek, j'ai des profs qui nous en
parlent tout le temps. Le guide du voyageur galactique par exemple maintenant
ils ne connaissent pas il y en a qui n'apprennent même pas alors que
c'est pourtant la culture de l'école, pourquoi c'est 42 parce que
voilà merde c'est 42 c'est la grande réponse. Il y en a qui ne
cherchent même pas à comprendre c'est ça qui est horrible
alors que ça fait partie de l'histoire de l'école. »
Pour Louis, en revanche, tou.te.s les étudiant.e.s
d'Epitech sont des geeks, mais ne se revendiquent pas en tant que tels : «
A Epitech on est forcément un geek. Dans le bon sens parce que les
gens d'Epitech refusent de dire qu'il sont geek parce que justement les vrai
mecs d'Epitech ils ne se considèrent pas comme geek à cause du
fait que les gens disent que un geek c'est juste quelqu'un qui passe la
journée à glander devant une machine alors qu'à Epitech
ils bossent vraiment. De ce fait pour eux ils ne sont pas des geeks.
»
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Matthieu, lui, a été surpris de l'importance de
la culture geek à Epitech : « j'en avais jamais entendu parler
avant de venir ici du 42. Il y a que Epitech qui prend des
références de films pour faire son bordel. En tout cas j'avais
pas entendu d'autres écoles qui faisaient ça. »
Anissa ne connaissait également rien de la culture geek,
et se positionne même en opposition à cette culture
« il y a souvent des références ou des
trucs que moi je ne savais pas. Par exemple 42 moi j'étais c'est quoi 42
? Bon maintenant quand on sort le 42 je vois c'est quoi mais j'ai toujours pas
regardé, j'ai toujours rien fait. Donc je fais ah oui bien sûr 42
! Normalement je crois que c'est la réponse universelle. Un truc bizarre
comme ça je pense que c'est de la fiction je me suis dit bon mais je me
casse pas la tête et puis voilà. De toute manière je refuse
d'être une geek. Je suis en informatique mais je garde toujours mon petit
côté de petite « kikou lol », la fille qui aime un peu
la mode, qui aime sortir, qui aime vivre, pas trop geek quoi. Je me
définis pas comme étant geek. »
Chloé, qui se définissait comme geek, est la
seule à évoquer un « nous » plutôt qu'un «
eux » : « C'est un plus. C'est sympa, on se retrouve en fait dans
cette école. Nous quand on va à Epitech on vient étudier
l'informatique et on sait que la culture est omniprésente on se dit, on
se sent à sa place en fait. » Pour elle, la culture geek est
donc indissociable de l'esprit d'Epitech, qui représente une sorte de
repaire de geeks, un lieu où elles et ils pourraient se retrouver.
Résultats et conclusions
La définition de la culture geek et la perception de
son importance à Epitech varient donc selon les
enquêté.e.s. Trois garçons (Guillaume, Baptiste et Louis)
distinguent les vrais geeks, les anciens, des générations
suivantes, où la culture geek serait réduite selon eux à
l'internet et aux réseaux sociaux. Pour Matthieu, la culture geek est
associée au masculin, puisqu'il décrit une personne geek comme
« un gars ». Peu d'enqueté.e.s se sont identifié.e.s
comme geek, Chloé est la seule à l'avoir clairement dit, bien que
d'autres concèdent que tout dépend de quel point de vue on se
place (Marie). Le « eux » et le « nous » n'est pas
utilisé de la même façon, pour Chloé le « nous
» représente les geeks, tandis que pour Dounia et Mélanie,
c'est le « eux » qui renvoient aux geeks. Les garçons semblent
définir de manière plus détaillée la culture geek,
tandis que les filles insistent plus sur l'aspect
stéréotypé de la culture geek (jouer aux jeux
vidéos et coder sans arrêt, ne pas avoir de vie sociale...). Si
l'on considère les groupes de mobilité, on ne remarque pas de
différence flagrante, puisque les deux groupes sont
représentés dans les diverses opinions. L'aspect genré
prime donc ici sur le parcours social personnel.
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