Le juge de l'excès de pouvoir au Congo( Télécharger le fichier original )par Edson Wencelah TONI KOUMBA Ecole Nationale dà¢â‚¬â„¢Administration et de Magistrature - Diplôme de là¢â‚¬â„¢ENAM (Option Magistrature, cycle Supérieur) 2011 |
B)-Un juge concurrencé par des organes non juridictionnels de règlement des litiges administratifs.Dans son cour de contentieux administratif, le Professeur B.BOUMAKANI affirme que : « Tous les litiges administratifs ne relèvent pas de la compétence du seul juge administratif ou tout simplement d'autres juridictions étatiques (...) Signe des temps, le constituant ou le législateur multiplie les cas dans lesquels la solution du litige administratif ne passe pas, ou pas en premier lieu, par le recours au juge »168(*). C'est ainsi que dans la recherche des solutions aux litiges qui les opposent à l'administration, certains citoyens préfèrent recourir à des organes administratifs non juridictionnels (1). L'émergence de ces organes vient fortement concurrencer l'oeuvre du juge de l'excès de pouvoir d'où la nécessité d'évaluer son rendement de ces cinq dernières années (2). 1-L'émergence des organes non juridictionnels de règlement des litiges administratifs. Lorsqu'il est lésé du fait d'un acte administratif, le citoyen mis à part le recours à un juge aux fins d'annulation de cet acte, peut rechercher la solution du litige en faisant recours à des organes non juridictionnels. Il peut ainsi recourir soit à l'administration elle-même (a) soit à un organe public non juridictionnel et extérieur à l'administration tel que le médiateur de la république (b). a- Le règlement par l'administration elle-même : le recours administratif. Les litiges administratifs peuvent être réglés par l'administration elle-même soit d'office, soit à la demande des administrés. L'article 410 du CPCCAF dispose : « Toutefois, avant de se pourvoir en annulation d'une décision administrative, les intéressés peuvent présenter, dans un délai de 2 mois, un recours administratif hiérarchique ou gracieux tendant à faire rapporter ladite décision (...) ». Par le terme « rapporter », le législateur reconnaît le pouvoir de l'administration d'abroger ou de retirer elle-même l'acte querellé et de mettre ainsi fin au litige. Les administrés qui sont lésés du fait d'un acte administratif, qui ont subi un préjudice du fait de l'administration, peuvent former des recours administratifs en s'adressant soit à l'autorité qui a pris la décision contestée (recours gracieux), soit à son supérieur hiérarchique (recours hiérarchique), soit aux autorités de tutelle, lorsqu'il s'agit d'une personne publique autre que l'Etat (recours de tutelle). Il peut invoquer à l'appui de son recours non seulement des moyens de droit, mais également des moyens de fait. Il convient de retenir que même si le recours pour excès de pouvoir et le recours hiérarchique tirent leurs origines des mêmes textes de loi, celui des 7-14 octobre 1790 disposant : « Les réclamations d'incompétence à l'égard des corps administratifs sont portées devant le roi, chef de l'administration générale », au Congo, le premier, quoique présentant plus de garantie, est cependant délaissé au profit du second. En effet, aujourd'hui une personnification aiguë de l'administration par ses autorités convaincues que « le roi (l'administration) ne peut mal faire »169(*) entraîne chez ces derniers une acrimonie contre les particuliers ayant intenté un procès contre leurs décisions. Les administrés perçoivent l'administration comme « une construction extérieure et ses représentants comme des éléments imposés auxquels il faut accepter de se soumettre »170(*). Dans la recherche d'une solution au litige qui les oppose à elle, ils préfèrent recourir à des solutions internes où l'administration est juge et partie. Cette attitude réduit considérablement le rendement du juge. A côté de ce mode de règlement interne à l'administration, l'administré peut recourir au médiateur de la République. b-Le recours à une autorité administrative indépendante : le Médiateur de la République. L'article 165 de la constitution du 20 janvier 2002 dispose : « Toute personne, physique ou morale, qui estime, à l'occasion d'une affaire la concernant, qu'un organisme public n'a pas fonctionné conformément à la mission de service public qui lui est dévolue, peut, par une requête individuelle, saisir le médiateur de la République ». Le médiateur est une autorité administrative indépendante chargée de simplifier et d'harmoniser les rapports entre l'administration et les administrés ; c'est une sorte d'intercesseur entre les citoyens et l'administration. Selon la loi du 31 octobre 1998, le médiateur est nommé pour trois ans renouvelables par un décret pris en conseil des ministres, sa saisine est directe. Lorsqu'il est saisi par un administré lésé du fait d'un acte administratif, le médiateur peut, s'il estime la réclamation justifiée, faire toute recommandation qu'il juge utile et proposer une solution à l'administration concernée. Mais « le médiateur ne rend pas la justice administrative, il la sert »171(*). Son efficacité connait des entraves car ses pouvoirs ne sont pour l'essentiel que de persuasion et de pression, même si la publicité de son rapport et ses recommandations les dotent d'une certaine force. Notons aussi que la plainte au médiateur ne proroge pas les délais du recours contentieux de sorte qu'en cas d'échec de son intervention, la voie juridictionnelle risque d'être fermée. Qu'il s'agisse de l'administration elle-même ou du Médiateur, l'action de ces autorités n'entraîne pas une véritable sanction contre la violation de l'ordre légal. Seul le juge de l'excès de pouvoir peut par l'annulation de l'acte rappeler à l'administration l'obligation qui lui est faite par le législateur de se soumettre à la règle de droit. Pourtant, de plus en plus l'activité du juge est concurrencée par ces organes extra judiciaires ; ce qui empiète sur le rendement de ce dernier. Aussi avons-nous jugé nécessaire d'évaluer son rendement. 2-Les évaluations dans le rendement du juge de l'excès de pouvoir. L'activité contentieuse de la chambre administrative de la Cour Suprême intéresse à titre premier le contentieux de l'excès de pouvoir et moins fréquemment, celui du pourvoi en cassation, le recours pour excès de pouvoir « est en réalité ce qui constitue l'essentiel de l'activité menée au sein de la chambre administrative de la Cour Suprême »172(*). Pourtant, en vingt ans (1962-1982), cette Chambre n'a rendu, en tout et pour tout, que treize (13) arrêts sur le recours en annulation. Il est vrai, comme l'affirme le Président A.ILOKI, que : « C'est après les guerres civiles successives des années 1993, 1997 et 1998 que le contentieux administratif s'est développé considérablement »173(*). En réalité, ce n'est pas tant l'effet des guerres répétitives, mais plutôt l'avènement du nouveau constitutionnalisme des années 1992 et plus encore les exigences des institutions internationales qui conditionnaient leur aide au développement pour les Etats du tiers monde par leur soumission au droit. Sur ce point, le Président ILOKI estime que : « Chaque Etat [le Congo en particulier] se trouve donc placé dans l'obligation de se conformer non seulement à sa propre législation au sens le plus large de ce terme, mais également aux grands principes communément admis qui régissent la vie administrative des nations »174(*). Quoiqu'il en soit, lorsqu'on examine les statistiques du rendement de cette Chambre ces cinq (5) dernières années, on peut affirmer que le rendement de ce juge s'est considérablement amélioré. Pour s'en convaincre, il conviendra de faire une représentation de son rendement entre 2005 et 2010 par un tableau et des diagrammes. Tableau 1: Rendement du juge de l'excès de pouvoir entre 2005 et 2010.
D'après ce premier diagramme, nous avons pris un échantillon de cinq années dans l'ensemble de l'activité du juge de l'excès de pouvoir de 2005 à 2010. Au cours de ces cinq années, le juge a rendu en moyenne six (6) arrêts par an, son activité a atteint son pic en 2007 (comme nous le montre la courbe en vert) où, il a rendu quatorze (14) arrêts, autrement dit un nombre supérieur à celui des vingt années susmentionnées (1962-1982). Les arrêts déclarés irrecevables (représentés par une courbe bleu) avec une moyenne de quatre par an, ont atteint leur pic en 2007 également. La plupart des arrêts déclarés irrecevables sont fondés sur le non respect des règles de forme. Quant aux arrêts déclarés recevables, leur nombre oscille entre un (1) et quatre (4) par an, le pic ayant été atteint en 2007. On peut donc conclure que dans la majorité des recours pour excès de pouvoir entre 2005 et 2010, les recours déclarés recevables représentent près de la moitié. En effet sur un total de 45 arrêts portant sur le recours en annulation, on compte 21 arrêts déclarés recevables contre 24 déclarés irrecevables. Mais, il convient aussi d'évaluer l'ensemble de l'activité du juge administratif suprême au cours de ces années. Pour cela, nous avons à travers un autre diagramme comparé les arrêts rendus en matière de recours pour excès de pouvoir et les arrêts rendus en matière de cassation. C'est en 2005 (19 arrêts rendus dont 10 sur le recours pour excès de pouvoir ) et en 2007 (18 arrêts rendus dont 14 sur le recours pour excès de pouvoir) que l'activité du juge administratif suprême a eu un rendement sans précédent. C'est en 2006 et 2010 que son rendement a baissé, il n'a rendu que dix (10) arrêts. Les arrêts rendus en matière de cassation sont les moins nombreux ; ils n'ont presque jamais dépassé les arrêts rendus en matière de recours pour excès de pouvoir, sauf en 2009 et 2010 (courbe rouge). En conclusion, on peut affirmer sans ambage qu'au sein de la chambre administrative de la Cour Suprême, l'activité portant sur le contentieux de l'excès de pouvoir est plus intense que celle relative au pourvoi en cassation. De même qu'on peut aussi affirmer, que son rendement dans la connaissance du contentieux de l'excès de pouvoir a connu une croissance sans précédent. En effet, entre 1962 et 1982 ( soit vingt ans) les statistiques de l'activité juridictionnelle de cette Chambre en matière d'excès de pouvoir ne réprésentaient que treize (13) arrêts portant sur l'annulation d'actes administratifs. Or au regard des statistiques de ces cinq dernières années, il apparaît clairement que le juge de l'excès de pouvoir est « actuellement plus hardi qu'il ne l'était à l'époque de cet aperçu statistique »175(*). Ces évolutions considérables dans l'activité du juge congolais peuvent être comparées à celles du juge marocain. En ce sens, le Professeur M.A.BENABDALLAH, affirmait que : « Quantitativement et qualitativement, ce progrès concerne non seulement le nombre de recours au juge de l'excès de pouvoir qui a augmenté de manière remarquable par rapport au passé, mais surtout le fait que le juge administratif a commencé à réaliser des avancées et des nouveautés que naguère l'on n'aurait jamais pu imaginer tant la timidité et la réserve qu'il affichait à l'égard de l'administration caractérisaient le plus clair de son comportement »176(*). Si les difficultés susmentionnées sont propres au juge administratif suprême, il convient de relever que les juges ayant une compétence exceptionnelle dans l'annulation de certains actes administratifs rencontrent aussi des difficultés dont l'examen est nécessaire. * 168BOUMAKANI (B), op cit p.5 * 169BIDJANG (N), Les administrations dans les Etats au sud du Sahara, Douala 2002 p.25 * 170 MOUDOUDOU (P), Tendances du Droit Administratif dans les pays d'Afrique noire francophone. Annales de l'Univ M.N'GOUABI 2009 p.16 * 171BOUMAKANI (B), op cit p.5 * 172 ILOKI (A), La place du Droit et de la justice dans l'Administration p.9 * 173 idem * 174 ILOKI (A), op cit p.7 * 175 ILOKI (A), op cit p.7 * 176 BENABDALLAH (M.A), L'évolution du recours pour excès de pouvoir au Maroc, Annales de 2006 p.2 |
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