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La rationalité comme fondement du bonheur

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par Pasteur MUGISHO
Philosophat Isidore Bakanja (Bukavu) R.D.Congo - Graduat en Philosophie et Sciences Humaines 2016
  

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Conclusion partielle

Dans cette première partie de notre travail, nous avions voulu chercher ce que les hommes appellent bien. Aristote, tout au départ, nous montre qu'il existe plusieurs biens selon les genres de vie qu'on mène dans la société. Nous les avions classé dans un ordre hiérarchique selon leurs valeurs pour permettre à tout le monde de distinguer ces biens pour en faire bon usage. Nous avons découvert, par nos recherches, qu'Aristote souligne l'indignité du premier type des biens, l'insuffisance du second et fait l'éloge du troisième type comme souverain bien.

Le bien dans la vie de jouissance matérielle se rapporte aux plaisirs du corps. Etant, naturellement, des besoins du corps, tout homme y est porté instinctivement à l'instar de l'animal. Ce bien est donc indigne. Dans la vie politique et active, ce sont les honneurs et la gloire qui sont considérés comme des biens. Mais ces biens servent des moyens pour un bien supérieur et sont des déviations de l'idéal d'une vie politique et active vraies. Ces deux types de biens sont de valeurs différentes car le bien de la vie active est supérieur à celui des jouissances matérielles. La contemplation est le troisième bien. Elle est une activité conforme à la vertu la plus haute qu'on identifie au souverain bien, au bien par excellence.

Si, d'après Aristote, la contemplation est l'activité qui permet d'atteindre le bonheur, comment pouvons-nous déterminer cette activité ? Nous voulons en d'autres termes nous interroger sur les principes qui régissent cette activité intellectuelle. La réponse à cette interrogation constitue le chapitre qui suit.

CHAPITRE DEUXIEME : LES PRINCIPES DE L'ACTIVITE RATIONNELLE

Ce qui distingue la culture intellectuelle du sens commun c'est la faculté d'élever une question posée au niveau d'un principe... W. Heisenberg*

Préambule

En philosophie morale l'étude de l'activité humaine consiste à chercher les causes, les caractéristiques et la finalité des actions. Chercher les causes c'est aller à la source d'une ou de toutes les actions que pose l'homme et découvrir le moteur intérieur ou extérieur de l'agent. Dans physique III et V, Aristote montre que les actions sont principalement des processus. Or tout processus implique un début, une pleine réalisation et une fin. Connues comme telles, les actions humaines ont une fin, celle de passer d'un état inférieur à un état supérieur supposé meilleur. Ce passage peut être quantitatif ou qualitatif c'est-à-dire un avoir plus, un savoir plus, un valoir plus, un pouvoir plus, un être plus, un devenir d'avantage soi-même en rapport avec son milieu de vie et son époque. Tout cela, c'est autant de biens qui sont l'idéal d'une activité humaine bien menée. Cet idéal, fin ultime de toute action humaine, nous l'avons précédemment nommé bonheur dans le sens qu'il est supérieur à tous les autres biens dans l'ordre naturel des biens.

Les caractéristiques des actions humaines, quant à elles, nous permettent de distinguer, parmi ces actions, les bonnes des mauvaises. Elles sont des conditions de possibilité et de nécessité de ces actions. Elles déterminent les manières concrètes par lesquelles ces actions se réalisent. Aristote appelle ces caractéristiques : principes éthiques. Et ce qui est principe des biens recherchés doit être, selon lui, quelque chose de profondément respectable et de divin24(*). Ces principes peuvent être psychologiques, physiques ou éthiques et permettent d'identifier et de distinguer non seulement les bonnes actions des mauvaises mais aussi les rationnelles des non rationnelles. Distinguer les actions bonnes des mauvaises n'est pas une recherche assez formelle et pour cela nous laissons cette tâche au bon sens de chacun. Ce qui nous reste c'est de distinguer l'activité rationnelle de ce qui ne l'est pas en se basant sur les principes éthiques qui la fondent. Pour réaliser cette tâche, nous devons passer à l'étude des principes : seuls et simples moyens de classifier et de déterminer ce que sont les actes humains rationnels en tant qu'ils ouvrent sur le bonheur. Le bonheur en tant que tel n'est pas aussi recherché par des actions isolées mais par un ensemble d'actes humains coordonnés appelés activité. Cette activité doit être non seulement humaine mais aussi rationnelle.

La principale question de ce chapitre cherche à savoir ce que sont les principes de l'activité rationnelle. L'hypothèse la plus évidente nous présente la volonté et la liberté comme principes fondamentaux qui régissent l'agir rationnel. Dans ce chapitre, il ne s'agit pas seulement de citer ces principes mais aussi d'analyser ce qu'ils sont réellement et de chercher d'autres qui leur sont secondaires dans la détermination de l'agir rationnel.

II.1. LA VOLONTE

Elle est, selon André Lalande, la « forme de l'activité personnelle qui comporte, sous sa forme complète, la représentation de l'acte à produire, un arrêt de la tendance à cet acte, la conception des raisons pour l'accomplir ou ne pas l'accomplir, le sentiment de la valeur de ces raisons, la décision d'agir comme elles l'indiquent et l'aboutissement à l'exécution ou à l'abstention définitive ».25(*) Nous en déduisons simplement qu'elle est une faculté de se déterminer librement par une décision conforme à son intention et se manifestant dans l'agir.

Dans ses traités de morale, Aristote aborde le principe de volonté dans les actions humaines en différenciant le volontaire de l'involontaire26(*). « On peut regarder comme involontaires, dit-il, toutes les choses qui se font ou par force majeure ou par ignorance »27(*). Sont faites par force majeure, les actions dont la cause est extérieure de telle sorte que l'être qui agit ou celui qui subit l'action ne contribue en rien à cette cause. On accepte de faire ou de subir des telles actions uniquement par nécessité. Les actions faites par ignorance sont celles qui causent de la peine soit à l'agent soit celui qui subit l'action et entrainent correction ou repentir lors de la reconnaissance28(*). Quant à l'acte volontaire, il est, selon Aristote, « l'acte dont le principe est dans l'agent lui-même, qui sait en détail toutes les conditions que son action renferme ». C'est agir avec plein droit, exprès, avec un bon coeur et en assumant ses responsabilités29(*). Pour Aristote l'agir volontaire comme principe d'une activité rationnelle implique la coordination des trois moments qui se succèdent temporellement : le souhait, la délibération et le choix définitif.

A l'origine de toute action il y a un souhait de ce que l'on voudrait réaliser : c'est le premier moment de cette activité. Le souhait porte sur le but ou le télos. Le souhait raisonné a pour objet le but envisagé. Mais quel but ? Selon les analyses d'Aristote, on peut souhaiter aussi bien l'impossible que le possible. Ainsi, on peut souhaiter, par exemple, ne jamais mourir comme on peut souhaiter être en bonne santé. Aristote ajoute que le but qu'envisage l'individu dans l'exécution volontaire, s'il est toujours axé sur le bien, peut, néanmoins, être soit un bien réel soit un bien illusoire.30(*) Pour ce qui concerne l'agent, l'activité rationnelle n'est souhaitée que par celui qui l'admire. L'agent souhaite autant de choses mais délibère seulement sur ce dont il a le pouvoir de réaliser.

Le deuxième moment est celui de la délibération sur les moyens utilisables et la possibilité de réaliser le but envisagé. C'est le moment de l'examen des conditions de possibilité de la réussite ou de l'échec de l'activité. D'une part, on délibère sur ce qui dépend de nous et que nous pouvons réaliser ; d'autre part, on ne délibère pas sur les fins elles-mêmes mais seulement sur les moyens d'atteindre ces fins. La délibération consiste à chercher les moyens convenables de réaliser une fin préalablement posée par le souhait. L'embarras qui surgit souvent lors de la délibération est la pluralité des voies qui s'ouvrent mais dont aucune ne nous assure une issue parfaite. La délibération consistera, dans ce cas, à combiner les moyens les plus efficaces possibles en vue des fins réellement réalisables.

Le choix décisif est, enfin, le troisième moment de l'action volontaire. Le choix n'est pas la délibération. Le choix vient seconder la délibération lorsqu'elle se heurte à la pluralité des voies ou des moyens à utiliser. Le choix décisif est encore appelé décision réfléchie. La décision réfléchie est certainement quelque chose de volontaire mais elle n'est pas la volonté elle-même. La décision réfléchie n'est pas non plus appétit, ni emportement par ce qu'on aime ; elle est plutôt le contraire de tout cela31(*). C'est pourquoi, en paraphrasant Aristote, nous pouvons la définir comme : une résolution préméditée et accompagnée des raisons d'agir et des pensées discursives qui indiquent le choix porté sur certaines choses préférables à certaines autres32(*). La décision réfléchie est celle qui détermine les actions mêmes de l'agent, permet d'apprécier les qualités morales et d'attribuer à l'agent la responsabilité de ses actes. Pour Aristote, elle ne peut être que le propre de l'homme vertueux et tempérants et non des êtres sans raison. Ce qui fait que l'homme qui s'adonne à l'activité rationnelle doit nécessairement être vertueux et tempérant pour la mener à bonne fin.

Sous l'inspiration apparente d'Aristote, Gilbert MURY et Timmy ORIOL [philosophe et professeur de philosophie] présentent l'activité rationnelle comme une structure assez complexe dans le cas où elle est soumise à la volonté. L'activité rationnelle doit donc obéir à un processus détaillé de l'acte volontaire. Ce processus part de la conception d'un plan d'action à la délibération, de la délibération à la décision et de la décision à l'exécution. Ce processus ainsi détaillé semble être une actualisation de celui élaboré par Aristote comprenant seulement le souhait, la délibération et le choix. En considérant que l'activité de l'homme peut avoir des causes externes et internes, ces philosophes proposent avant tout une définition plus reformulée de la volonté et la considèrent comme « une forme supérieure de l'activité intentionnelle qui utilise les forces, les mécanismes et les savoirs de la personne pour promouvoir, soit par l'exécution d'un acte, soit par la résistance à l'impulsion, une fin librement choisie dont elle a reconnu la valeur 33(*)».

Cette définition est complexe. Il vaut mieux l'analyser pour comprendre l'impact de la faculté de la volonté sur l'activité rationnelle. Une double fonction de la volonté se remarque d'emblée dans cette définition : celle de permettre l'exécution d'un acte et celle de résister à une impulsion. C'est en ceci que consiste toute l'activité de la volonté : d'une part, ouvrir la route aux mécanismes physiques, psychiques et intellectuels pour agir et d'autre part, leur barrer la route en cas de nécessité. Cet exercice implique donc un processus qui comprend les étapes suivantes : la conception d'un plan d'action, la délibération, la décision et l'exécution.

* *Werner Heisenberg, La nature dans la physique contemporaine, traduit de l'allemand par Ugné Karvelis, Gallimard, Paris, 19962, p.172.

24 Aristote, Ethique à Nicomaque. Op.cit. p.70.

* 25 A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, vol. 2, N-Z, Quadrige, Paris, 1999, p. 1218.

* 26 Aristote, Ethique à Nicomaque, op.cit., p.106. Les mots volontaire et involontaire avec Aristote, ne sont pas encore des mots techniques comme ils véhiculent toute une philosophie aujourd'hui (celle de la volonté). Ils ont plutôt des sens précis et limités : « agir de son plein droit, faire ou ne pas faire exprès, agir ou ne pas agir de bon coeur, être ou ne pas être responsable de son acte ».

* 27 Aristote, Ethique à Nicomaque, op.cit., p.106.

* 28 Idem, p. 112.

* 29Idem, p. 106 et p. 112.

* 30 Idem, p.117.

* 31 Aristote, Ethique à Nicomaque, op.cit p.113.

* 32 Idem, pp. 116-117.

* 33 Gilbert MURY et Timmy ORIOL, L'action. Traité de philosophie, Librairie Marcel Didier, Paris, 1964, p.176.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius