La chefferie traditionnelle Bene a l'ère de la libéralisation politique au Cameroun et de ses ressorts: le cas de l'arrondissement de Nkol-Metet( Télécharger le fichier original )par Sylvain Charles AMOUGOU MVENG Université Yaoundé II SOA - DEA Sciences politiques 2009 |
Section 2 : La place des Chefs et des Chefferies dans l'activité de la libéralisation politiqueL'année 1996 marque un tournant décisif dans la vie sociopolitique camerounaise. Elle consacre en fait l'inscription de la gouvernance du Cameroun dans le processus de la décentralisation147(*). Contrairement à d'autres localités du Cameroun, où la décentralisation n'est pas encore effective, à Nkol-Metet, la décentralisation est inaugurée en 1996 par l'avènement de la Commune de Nkol-Metet qui s'inscrit, dans ce processus des foyers des Régions et des Communes. (Cf. Article 55 alinéa 1 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la loi du 02 juin 1972). La particularité de l'avènement de la Commune à Nkol-Metet est l'élection d'un Chef traditionnel Sa Majesté Oyono Owono Joseph, comme le tout premier Maire de la Commune de Nkol-Metet. La confiance faite au Chef traditionnel trouve une de ses raisons dans le fait que les Chefs traditionnels, tant dans le processus de la déconcentration que dans celui de la décentralisation sont davantage plus proches des populations qu'ils connaissent mieux et les réalités de leur terroir. Autrement dit, la décentralisation consacre les Chefs traditionnels comme de véritables entrepreneurs politiques et cela se manifeste dans les faits par leur militantisme ostentatoire. Par exemple, à Soa si lors de la rencontre de sondage avec les populations de ce village pour la succession148(*)de leur Chef décédé, Sa Majesté Mbala Zangana avait décliné ses préférences partisanes. Son ordre du jour portait sur la succession du Chef et l'élection présidentielle d'octobre 2011. S'agissant des élections présidentielles, Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin voulait savoir si toutes les personnes en âge de voter dans ce village étaient inscrites sur les listes électorales, afin d'apporter au Président Paul Biya un soutien sans faille. Il le dira en langue locale : « Mayi me yeme nge mot ase ane ntiliban a be listes, amu bia bese bia yiane tebe a mvus nti Biya.Amu a y'aneke Janle ve tyin jia149(*) ». Il nous échoit dans la présente section, d'expliciter l'engagement politique des Chefs dans les compétitions municipales et législatives à l'ère de la libéralisation politique et ensuite aborder sur un ton pragmatico-prospectif la mobilisation des Chefs dans les processus politiques et économiques de la décentralisation. Paragraphe 1 : L'engagement politique des Chefs dans les compétitions politiques municipales et législativesNkol-Metet constitue l'un des bastions politiques pour le parti au pouvoir au Cameroun ; le RDPC. Par exemple à la dernière élection présidentielle du 09 octobre 2011, le candidat de ce parti Monsieur Paul Biya est venu en tête avec 95,46% des suffrages exprimés en sa faveur (Source : Rapport Elecam octobre 2011). Il convient aussi de rappeler que toutes les charges électorales dans cette unité administrative ont toujours été briguées par les partisans de cette formation politique. Les tableaux ci-dessous corroborent notre argumentaire. Tableau 14: Les Maires de Nkol-Metet depuis l'avènement de la Mairie en 1996
Source: Enquêtes Tableau 15: Les députés du Nyong et So'o Natifs de Nkol-Metet depuis 1992
Source: Enquêtes A Nkol-Metet, les Chefs traditionnels ne sont pas restés en marges de cette activité militante, au contraire, ils affichent ouvertement leur appartenance politique. Ces faits ne reflètent pas un particularisme Bene ; c'est plutôt un des effets induits du multipartisme. Mouiche (2005a) le faisait déjà remarquer dans son étude empirique dans certaines Chefferies de l'Ouest quand il affirma : « La majorité des autorités traditionnelles s'est engagée à soutenir les candidats du Rdpc, comme ils le firent souvent pendant l'ère du monolithisme » (Mouiche, 2005a :3). Les Chefs traditionnels ont donc, dans ce nouveau contexte politique trouver de nouveaux espaces d'expression dans la vie politique ; c'est pourquoi, crânement et sans complexes ils se sont engagés à Nkol-Metet dans les échéances électorales. Ce fut le cas de Sa Majesté Oyono Owono Joseph dans le cadre des élections municipales de 1996 et de 2002 et de Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé dans le cadre des élections législatives de 2002 et de 2007. A- Sa Majesté Oyono Owono Joseph : de la cooptation à la déception Selon Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé, l'émergence de Sa Majesté Oyono Owono Joseph comme le tout premier Maire de Nkol-Metet, est fortement lié à son capital culturel. Il affirme : « Sa Majesté Oyono Owono Joseph est le tout premier Ingénieur Agronome de l'Arrondissement de Nkol-Metet, il est également un Officier d'Etat-Civil chevronné. Ce qui lui fit gagner l'élection municipale de 1996, c'est sa grande générosité. En effet, lorsqu'il était travailleur à Douala, les ressortissants de Nkol-Metet bénéficiaient de ses largesses tant sur le plan alimentaire que financier, ce qui lui valu une grande popularité d'où son surnom de Boula Mba » (Source : Ondoua Menyié, 57 ans, entretien du 01/02/2012). Dans le même ordre d'idées, pour Amougou Ada Albert, trois facteurs ont contribué à l'élection de Sa Majesté Oyono Owono Joseph : « Sa formation d'Ingénieur Agronome, sa disponibilité150(*), sa connaissance des besoins du peuple lié a sa fonction de Chef traditionnel ». (Source Amougou Ada Albert représentant du Chef d'Obout, entretien du 12-02-2012). Au demeurant, dans le cadre de ce paragraphe les années 1996 et 2002 constituent les balises de notre raisonnement. C'est dans ce sillage que notre argumentaire sera focalisé sur deux points : le premier point consacre l'année 1996 comme l'année du succès électorale Sa Majesté Oyono Owono Joseph, le deuxième point examine plutôt les causes de sa déchéance aux élections municipales de 2002. 1- Les élections municipales de 1996 : un non lieu de la compétition électorale Sa Majesté Oyono Owono Joseph est entré en politique en 1996. Ce dernier a été coopté par les militants du RDPC grâce à son capital social, mais grâce à sa disponibilité, car en 1996, il est déjà un retraité depuis deux ans, et ne s'occupe que des ses fonctions de Chef traditionnel de son village Awäe. D'un point de vue strictement politique, Sa Majesté Oyono Owono Joseph a bénéficié de la non tenue des primaires au sein du parti RDPC. En d'autres termes, Sa Majesté Oyono Owono Joseph a été dispensé de la compétition interne au sein de son parti. Sa liste ne fut que purement et simplement validée par le Comité Central du RDPC. Le RDPC étant le parti majeur à Nkol-Metet et que ces élections étaient les premières élections post monopartisme à Nkol-Metet. La victoire de Sa Majesté Oyono Owono Joseph en était devenue une évidence. Les primaires organisées au sein du parti RDPC en vue des élections municipales de 2002 et d'autres facteurs entrés en jeu, n'ont pas favorisé la réélection de Sa Majesté Oyono Owono Joseph. 2- 2002 et les raisons de la déchéance de Sa Majesté Oyono Owono Joseph Selon Sa Majesté Oyono Owono Joseph, les causes de son échec se trouvent être dans l'investissement du champ politique à Nkol-Metet, des hommes qui voudraient vivre pour la politique au détriment de ceux qui vivent de la politique (Max Weber 1968). Ce qui s'est justifié par l'achat des consciences et l'achat des voix aux élections municipales de 2002. Nous allons ici principalement évoquer deux raisons de l'échec de Sa Majesté Oyono Owono Joseph : une raison politique, des causes liées à la défection de ses capitaux sociaux et économiques S'agissant des causes politiques la tenue des élections primaires a entraîné l'échec d'Oyono Owono Joseph qui affrontait pour la première fois la compétition électorale, son principal challenger Omgbwa Assembe Inspecteur des Impôts avait acquis une certaine popularité, car pendant près de dix ans, il organisait pendant les vacances scolaires un championnat de football, qui était alors devenu, l'événement sportif majeur dans l'Arrondissement de Nkol-Metet. Sa cote de popularité combinée à son fort capital économique, et le soutien des élites majeures de Nkol-Metet, lui ont permis de damer le pion au tout premier Maire de Nkol-Metet dont le passé glorieux ne suffisait plus pour briguer un nouveau mandat. S'agissant de ces capitaux économiques et même sociaux, il faut souligner ici que lorsque survient l'élection de Sa Majesté Oyono Owono Joseph en 1996, son capital économique était encore consistant pour mener une bataille électorale. Ceci est d'autant plus pertinent qu'il était quasiment seul en lice. A l'élection de 2002, ses moyens financiers se sont avérés insuffisants face à ceux de son challenger Omgbwa Assembe. Son échec est aussi lié à la désolidarisation de ses principaux partenaires à l'instar de Joseph Ndi Samba, qui a joué la carte de la neutralité à cette élection. La logique du "njangui"151(*) très déterminante en politique a vu les principales élites soutenir massivement la candidature d'Omgbwa Assembe. Selon certains informateurs, la décrépitude du capital social d'Oyono Owono Joseph trouve aussi l'un de ses foyers dans le fait qu'il a géré les biens de la Mairie dans une logique néo-patrimoniale. Ce qui traduit, peu s'en faut, la nature mitigée de son bilan d'actions en tant que Maire de Nkol-Metet de 1996 à 2002, d'où la déception de ses "fans". Monsieur C nous le confirme en ces termes: « L'élection de Sa Majesté Oyono Owono Joseph avait suscité beaucoup d'espoir, car on savait qu'un Chef traditionnel était le choix idéal pour la fonction de Maire en zone rurale. En effet, la proximité du Chef avec ses populations lui permettent d'avoir des indicateurs proéminents sur les véritables attentes des populations. Mais au fur et à mesure que le mandat s'égrainait, on se rendit compte que Sa Majesté Maire, ne savait pas différencier l'homme Maire de l'homme Chef, de la gestion du patrimoine de la Mairie de la gestion du patrimoine de la Chefferie ». B- Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé et élections législatives de 2002 et de 2007 Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé est le Chef traditionnel à Nkol-Metet qui affiche le plus ostentatoirement son engagement politique. Aussi en termes de prestige au sein de son parti politique le RDPC, il est le seul Chef traditionnel de Nkol-Metet à avoir été membre du comité central du RDPC et même Président de la section RDPC Nyong et So'o de 2002 à 2007.Toutes choses étant égales par ailleurs, il était donc logique de le voir briguer assez aisément la députation du Nyong et So'o en 2002. Cependant après avoir exercé ses fonctions de député au cours de la législature 2002-2007, en 2007 il essuya une défaite lors des primaires de son parti le RDPC. Pour plus d'une personne, l'éclatement de Nkol-Metet de trois (03) sous-sections en neuf(09) sous sections Rdpc a été l'une des causes majeures de la déchéance de Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé. Ce dernier nous le fait aussi dire quand il affirme : « le fait pour nous d'avoir créé des nouvelles Sous-Sections à Nkol-Metet, visait de faire de l'Arrondissement de Nkol-Metet un contrepoids à l'Arrondissement de Mbalmayo. Malheureusement, cette initiative trahissait certainement les clauses de mes alliances politiques quand je fus élu Président de la Section RDPC Nyong et So'o152(*) ». Cependant pour les populations de Nkol-Metet, leurs attentes étaient focalisées ailleurs. Les plus récurrentes étaient celles des routes et de l'eau potable entre autres. Malheureusement, ses attentes n'ont pas été atteintes ; ce qui lui fit perdre les suffrages dans son fief à Nkol-Metet. La construction de quelques bâtiments pour le seul lycée que compte Nkol-Metet ne lui a pas permis de glaner à nouveau des suffrages pour une réélection. Son militantisme politique, ni même sa déchéance politique en tant que Député n'a nullement entamé son ambition de la revalorisation de l'institution de la Chefferie traditionnelle à Nkol-Metet, d'où son engagement inlassable au sein de L'ACTRAN. * 147(Cf. article 1er alinéa 2 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972). * 148La succession du Chef est disputée entre les Kombé et les Mvog Amougou. Le temps nous dira lequel des deux clans sera vainqueur. * 149La rencontre àSoa si a eu lieu le 15 Août 2011. A celle-ci, nous y étions et nous y avons été invités par sa Majesté Mbala Zangana Benjamin et il nous fit, secrétaire de séance de ladite rencontre. * 150Sa disponibilité était surtout liée au fait, qu'il était déjà à ce moment en retraite dans son village. Selon Amougou Ada Albert, Sa Majesté Maire, Oyono Joseph, est le seul Maire depuis l'avènement de la mairie à Nkol-Metet à être présent quotidiennement à la mairie. Les autres maires qui l'ont succédé étaient beaucoup plus préoccupés par leurs activités personnelles. * 151 Le concept de Njangui est un terme pidgin, introduit dans le vocabulaire politicien camerounais par Achidi Achu (Premier Ministre de 1992-1997) lors d'un meeting quand il affirme "Politics na Njangui". En d'autres termes, l'activité politique est l'un des foyers privilégiés de l'usage du don et du contredon. * 152 L'actuel président de la section RDPC Nyong et So'o est le Maire de Mbalmayo M. Zang Mgbwa. |
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