Le devoir de diligence du transporteur maritime de marchandises en droit CEMAC( Télécharger le fichier original )par OUSMANOU HADIDJATOU FSJP UNIVERSITE DE NGAOUNDERE - MASTER EN DROIT PRIVE GENERAL 2014 |
INTRODUCTION GENERALELe transport a toujours été et demeure au centre des préoccupations internes et internationales des Etats à travers le monde. Celui-ci se retrouve au centre de la quasi-totalité des secteurs d'activités.Justement et depuis toujours, le transport est et demeure indissociable de l'activité humaine. C'est du reste pourquoi auplan politique, les débats se sont multipliés autour de l'élaboration des politiques de transports. En réalité, les Etats se sont laissés influencés par le vent de l'internationalisation et de la communautarisation. En effet, en Afrique comme ailleurs chaque regroupement régional ou sous régional dispose ou du moins entrevoit de mettre sur pieds une politique de transports. Il ne fait aucun doute aujourd'hui que de plus en plus, la bonne maitrise de l'activité de transport constitue pour un pays ou une ville, un enjeu économique et un facteur déterminant de son développement. Cet essor du droit des transports se fera dans toutes les différentes branches de transportsnotamment terrestre, maritime et aérien. Cependant, seul le mode maritime nous intéressera. Le commerce international est assis sur le transport maritime de marchandises. Ce dernier est international dans sa quasi-totalité. C'est pourquoi selon l'heureuse expression de J. Robert, il est «presque devenu synonyme d'international »1(*). Le transporteur maritime de marchandises évolue dans un monde de règles qui diffèrent selon les Etats impliqués dans les opérations qu'il entreprend. Au départ les règles régissant le droit des transports en Afrique francophone étaient insérées dans le code civil. L'essor de cette activité et son coté internationaliste pousseront le législateur à prendre conscience du particularisme du transport. Cette prise de conscience débouchera au plan international à l'élaboration des règles matérielles applicables en matière de transport. Le transporteur se verra d'abord soumis aux règles de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 à laquelle ont adhéré la majorité des Etats du monde. Cette convention de Bruxelles de 1924 encore appelée Règles de la Haye a été amendée par deux protocoles modificatifs : le premier est celui du 23 février 1968 également désigné sous le nom de Règles de Visby, du nom du port de Suède où il fut élaboré. Ce protocole n'a pas fait l'objet d'une ratification massive. En effet, seule une trentaine d'Etats ont adhéré au texte de 1968. Le second protocole date du 21 décembre 1979. Il a été rendu indispensable par la réforme du système monétaire international survenue le 1er avril 19782(*).Le protocole de 1979 substitue le droit de tirage spécial à l'unité de compte d'origine. Le protocole est entré en vigueur le 14 février 1984. C'est par le mécanisme de la succession législative que la convention de Bruxelles a été rendue applicable aux Etats de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale3(*). Cette convention et ses protocoles modificatifs créaient un déséquilibre entre les chargeurs et les transporteurs4(*), ce qui a poussé les premiers états, en majorité chargeurs, sous la houlette des Etats Unis à oeuvrer pour une convention qui tient compte des Etats chargeurs : la convention des nations Unies sur la responsabilité du transporteur encore appelées Règles de Hambourg de 1978. A côté de ses quatre conventions, nous avons assisté à la naissance de la convention internationale des nations unies sur le contrat de transport international des marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer encore appelée « règles de Rotterdam ». Sur le plan international donc, cohabitent pas moins de quatre conventions internationales, toute chose de nature à induire des conflits de conventions.Les États d'Afrique centrale regroupésau sein de l'Union douanière et économique des États de l'Afrique centrale, en abrégé UDEAC récemment remplacée par la CEMAC5(*),ont adopté en vue d'assoir leur politique d'intégration tout au moins au plan maritime, un code de la marine marchande6(*) qui a le mérite d'uniformiser à l'échelle régionale le droit des transports maritimes en zone CEMAC. Le code de la marine marchande a été initialement adopté le 22 décembre 1994 par une décision communautaire du conseil des chefs d'Etat de l'UDEAC (acte n 6/94-UDEAC-594-CE-30). Il est entré en vigueur à cette même date par application de son article 536 et « à seule vocation à s'appliquer aux transports maritimes effectués au départ ou à destination d'un port d'un Etat membre de la CEMAC»7(*). Il a fait l'objet de plusieurs modifications notamment en 2001 et tout récemment en 2012 à travers le Règlement CEMAC n° 08/12-UEAC-088-CM-23 signé le 22 juillet 2012 portant adoption du Code révisé de la marine marchande8(*). Aujourd'hui il compte 800 articles et intègre après les règles de Hambourg9(*) celles de Rotterdam par les techniques de reproduction, de renvoi et d'inspiration,Cette révision est donc consécutive à l'évolution du cadre juridique international en la matière, notamment l'adoption de la convention international des nations unies sur le contrat de transport international des marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer. Dans sa première version réévaluée en 2001, l'article 402 envisageait le devoir de diligence en ces termes : «1- Nonobstant toute stipulation contraire, le transporteur est tenu avant et au début du voyage, de faire diligence pour : a) mettre et conserver le navire en état de navigabilité compte tenu du voyage qu'il doit effectuer et des marchandises qu'il doit transporter ; b) armer, équiper et approvisionner convenablement le navire ; c) mettre en bon état toutes les parties du navire où les marchandises doivent être chargées. 2- Le transporteur est tenu de procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention à bord, à l'arrimage, au transport, à la garde à bord et au déchargement de la marchandise. » Il s'agissait en vérité de la première consécration législative d'une telle obligation. Néanmoins cette disposition pêchait sur un point notable en ne précisant pas le contenu de la diligence attendue du transporteur tout en limitant cette diligence avant et au début du voyage. C'est pourquoi, la version révisée par le Règlementde 2012 disposait de façon beaucoup plus précise à l'article 525 que : « Le transporteur est tenu avant, au début et pendant le voyage par mer d'exercer une diligence raisonnable pour : a)-mettre et maintenir le navire en état de navigabilité ; b)-convenablement armer, équiper et approvisionner le navire et le maintenir ainsi armé, équipé et approvisionné tout au long du voyage ; c)-approprier et mettre en bon état les cales et toutes les autres parties du navire où les marchandises sont transportées, ainsi que les conteneurs fournis par lui dans ou sur lesquels les marchandises sont transportées, et les maintenir appropriés et en bon état pour la réception, le transport et la conservation des marchandises ». A priori, la diligence, du latin « diligentia» se définit comme un soin apporté avec célérité et efficacité à l'accomplissement d'une tache ; qualité d'attention et d'application caractérisant une personne ou attendue d'elle10(*). Historiquement la diligence désignait une voiture à chevaux couverte servant au transport des voyageurs11(*). Au fil du temps, le mot diligence est devenu une notion enrichie par le droit. En effet, on retrouve cette notion dans toutes les branches du droit, au point où on pourrait la classer au rang de la catégorie juridique des standards, entendus comme des notions rebelles à toute définition. En d'autres termes, précise Jean Louis BERGEL, il s'agit des concepts n'ayant pas un contenu carré, des concepts caoutchouc pouvant prendre plusieurs formes parce qu'échappant à une définition concrète et précise, des notions floues et indéterminées12(*). Dans le cadre du droit des transports, et singulièrement du droit de transport maritime, la diligence occupe une place de choix. Ici en effet, elle est dite « raisonnable » pour être en conformité avec sa traduction anglo-saxon notamment la « due diligence ». Cette dernière est un moyen pour qualifier un comportement. Lequel doit être rapide, efficace, dévoué pour être qualifié de diligent. Être diligent revient donc à faire les choses à temps et bien les faire. On parle ainsi de la diligence du « bon père de famille », de la diligence du « bon professionnel ». En effet dans le HarterAct13(*),l'exigence imposée par cette obligation a été interprétée par les tribunaux comme étant à peu près équivalente à celle de l'obligation des soins, mais avec la différence importante qu'il est une obligation personnelle qui ne peut pas être déléguée. Pour le Pr TETLEY, «Le transporteur peut employer une autre personne pour exercer une diligence raisonnable, mais, si le délégué n'est pas diligent, le transporteur est responsable ». En conséquence, le transporteur demeure responsable si la personne à qui la performance de l'obligation est déléguée fait preuve de négligence, que cette personne soit un préposé du transporteur ou un entrepreneur indépendant14(*). La jurisprudence est en ce sens. En effet à la lecture des différents arrêts dont le plus significatif a été rendu dans l'affaire Muncaster Castle15(*), on peut dire qu'être diligent revient pour le transporteur à mener ses activités en bon père de famille, voire en bon professionnel. Dans plusieurs autres arrêts, la cour de cassation a rappelé l'importance attachée au devoir de diligence. En effet, les juges quasi unanimement ont réitéré que le respect scrupuleux des règlements ne suffit pas pour que l'on puisse dire que le transporteur a amplement rempli son devoir de diligence. Au-delà de la diligence théorique, il faudrait donc une diligence intelligente16(*). Dès lorstraiter de la diligence du transporteur maritime de marchandises en zone CEMAC, revient à mener une réflexion sur les règles qui encadrent cette obligation. Pour y parvenir, l'on devra prioritairement se poser la question de savoir quel est le régime juridique de la diligence du transporteur maritime en droit CEMAC ? La réponse passera par la mise en exergue de son domaine, sa matérialité, son contenu, ses effets puisqu' à l'évidence il s'agit d'une véritable obligationjuridique à la charge du transporteur. Vu sous cet angle, notre travail dégage lui-même tout son intérêt qui, en soi est de scruter le comportement du transporteur dans un domaine où prévaut la présomption de responsabilité c'est-à-dire sans qu'il soit besoin de faire référence à la faute pour engager la responsabilité du transporteur. Ce dernier pouvant s'exonérer par la démonstration d'un simple cas excepté qui en réalité sorti du droit des transports est une faute. Or, l'absence de diligence génère naturellement une faute qu'il faut convoquer malgré l'exonération et la limitation de la responsabilité pour obtenir une réparation au demeurant intégrale. Pour atteindre l'objectif visé dans la présente étude, nous fonderons nos analyses à titre principalement sur l'exégétique qui, du reste, permet de rechercher l'esprit de la loi notamment CEMAC en se rattachant exclusivement au texte. Ceci n'exclut pas pour bien comprendre le sens des mots du législateur de l'opposer ou mieux de le comparer avec un autre système juridique. Ce qui amènera très objectivement à analyser la notion de diligence par rapport à l'idée que se font les autres droits notamment européen marqué par un grand développement de la jurisprudence sur la question. Quoi qu'il en soit ces démarches méthodologiques nous permettrons nécessairement sur le double plan historique et juridique de mettre en exergue les fondements du devoir de diligence, devoir d'un genre nouveau qui à la réalité participe de la vocation économique du contrat de transport de marchandises. Fort de cette démarche, l'étude du devoir de diligence en droit des transports maritime CEMAC se percevra sous un double prisme : - d'une part celui de la consistance du devoir de diligence du transporteur maritime de marchandise en zone CEMAC (Ière Partie) - et d'autre part, des conséquences au manquement du devoir de diligence. Ces conséquences ne peuvent s'appréhender qu'en termes de responsabilité. (IIème Partie). * 1 ROBERT (J), Eléments d'une politique des transports maritimes, éd. Eyrolles, 1973, p. 1, cité par NGNINTEDEM (J.-C), « La responsabilité du transporteur maritime de marchandises en droit camerounais », ANRT, 2004, p 10. * 2 Du fait de cette réforme, il n'était plus possible aux pays membres du fonds monétaire international de faire référence à l'or. Ainsi les unités de compte retenues dans la convention de 1924, livre-or, et dans le protocole de 1968, franc Poincaré, suscitaient de très sérieuses difficultés de conversion dans les monnaies nationales. * 3Sur la question Lire NGNINTEDEM (J-C), « La réception des normes conventionnelles de droit de transport maritime dans les Etats de la CEMAC », DMF n°771, spécial Afrique 2015, pp.589-592. * 4KENGUEP (E.), Droit des transports OHADA et CEMAC, éditions CRAF, 2012, p 61 * 5 Dès leur accession à la souveraineté internationale, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon, le Tchad prennent conscience de l'intérêt d'organiser leur coopération économique au sein d'une institution d'intégration régionale. Leurs chefs d'Etat signent le traité de Brazzaville en décembre 1964 et créent l'union douanière et économique de l'Afrique centrale (UDEAC). Le bilan de plus de 30 ans de coopération au sein de l'UDEAC a paru modeste car l'Afrique Centrale accuse un retard dans son processus d'intégration économique. Cependant les acquis de cette période constituent un patrimoine appréciable pour la CEMAC qui a pris le relais au sommet des chefs d'Etat en juin 1990 à Malabo. Les objectifs de cette nouvelle structure vont de la mise sur pied d'un marché commun par l'élimination des barrières douanières et autres mesures protectionnistes à l'harmonisation des politiques sectorielles, à la convergence des politiques macroéconomiques, à la stabilité de la monnaie commune et à la répartition équitable des projets communautaires. Cette uniformisation était devenue urgente quand on sait que la diversité de législation est regardée par les investisseurs internationaux comme facteur d'insécurité peu propice au développement harmonieux du commerce international. L'adoption d'une législation commune applicable dans la sous-région, dont celle sur la marine marchande est le prototype est un appel de pied en direction des investisseurs étrangers surtout quand on sait que l'Afrique est le continent qui, pour sa croissance, en a besoin. * 6 Le code de la marine marchande a été initialement adopté le 22 décembre 1994 par une décision communautaire du conseil des chefs d'Etat de l'UDEAC (acte n 6/94-UDEAC-594-CE-30). Il est entré en vigueur à cette même date par application de son article 536 et à seule vocation à s'appliquer aux transports maritimes effectués au départ ou à destination d'un port d'un Etat membre de la CEMAC. Il a fait l'objet de plusieurs modifications. Aujourd'hui ce code compte 800 articles dans lesquelles figurent les règles de Rotterdam. * 7NGNINTEDEM (J-C), « Le juge camerounais à la recherche du droit applicable en matière de transport maritime de marchandises »,Juridis périodique n° 62, 2005, p. 32. * 8 En abrégé « CMM ». * 9 La convention de Hambourg est entrée en vigueur le 1er novembre 1992 entre les pays qui l'ont ratifié dont de très nombreux pays africains. * 10CORNU (G), vocabulaire juridique, Paris, Presses universitaires de France, 9e édition, 2011, P.344. * 11Wikipédia.com : V° Diligence. * 12 BERGEL (JL.), Théorie Générale de droit, 5ème Ed., Dalloz 2012, P. 310. * 13 Le 13 février 1893, fut voté par le congrès un texte fondamental, le `'Harteract''. Ce texte qui ne concerne que seuls les transports sous connaissement, à l'exclusion des affrètements est impératif et s'impose non seulement en droit interne, mais également à tout transport international au départ ou à destination des États-Unis. * 14 John F Wilson, Carriage of Goods by Sea, Seventh Edition, PP.189-190 * 15 Dans cette affaire, un lot de langues de boeufs avait été expédié de Sydney. Pendant le voyage la cargaison a été endommagée par l'eau entrant dans la cale. Or quelques mois plus tôt, une enquête de ligne de charge du navire avait été entreprise à Glasgow par une firme de bonne réputation des réparateurs de navires, au cours de laquelle il y avait eu une inspection des vannes de décharge sous la supervision de l'inspecteur d'un Lloyd. Après cette inspection, la tâche de remplacer les vannes de décharge avaient été déléguée à une autre société employée par les réparateurs de navires. En raison de la négligence de sa part dans le serrage des écrous maintenant les capots, elles se sont assouplies pendant le voyage permettant à l'eau de pénétrer dans la cale et endommager la cargaison. Malgré le fait qu'il n'y avait pas eu de négligence de la part du transporteur en ce qu'il avait délégué le travail à une firme de bonne réputation, la Chambre des Lords a jugé le transporteur responsable de l'inexécution de l'obligation d'exercer une diligence raisonnable. * 16 TASSEL (Y), « Exercice de la diligence raisonnable / Preuve / Faute nautique du capitaine », In: Études et dossiers (Institut d'études judiciaires de Rennes), Tome 4, 1975-1. pp. 118-120. |
|