A.2. Villes camerounaises et quartiers précaires
Les quartiers précaires sont la manifestation la plus
flagrante du manque de planification et de contrôle de la croissance des
villes. Ces quartiers s'étendent en raison de l'urbanisation croissante,
de la pénurie du logement abordable dans les villes, mais
également à cause de multiples autres raisons telles que la
pauvreté, les déplacements liés à des conflits,
à des catastrophes naturelles.
Le phénomène de quartier précaire est
devenu une particularité des pays d'Asie, d'Afrique, et
d'Amérique Latine. Ces trois sous-ensembles concentrent la
quasi-totalité du milliard d'habitants des quartiers précaires
dans le monde. Les pays développés concentrent environ 10
millions d'habitants dans les quartiers précaires, contre 550 dans les
pays d'Asie et du Pacifique, 250 dans les pays d'Afrique, ou encore 150
millions en Amérique Latine et dans les Caraïbes. Cette situation
est le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs qui tiennent
à la fois aux situations démographiques, à la place des
villes, et aux différentes formes de gouvernance qu'on rencontre dans
les différents pays ( Diagane, 2019).
Cette situation amène à distinguer :
-Le bidonville stricto-sensu : Ce type de quartier
précaire concentre toutes les formes d'exclusions, c'est-à-dire
une exclusion sociale, une exclusion urbaine et une exclusion foncière.
Les populations qui y vivent subissent les contraintes d'une double
précarité; celle physique des abris de fortune mais aussi celle
juridique des statuts d'occupation. Ce qui caractérise ce type de
quartiers tient à plusieurs facteurs. Le premier d'entre eux est
l'installation sur les zones à risque, c'est-à-dire que ces
quartiers s'installent souvent sur les plus mauvais terrains des villes.
La seconde caractéristique tient à la nature des
matériaux utilisés pour les constructions. Il s'agit souvent de
matériaux de récupération, qu'il s'agisse de tôle,
de toile ou de bois, qui sont utilisés pour la confection des
habitations précaires. La troisième caractéristique est
l'absence d'équipement et d'infrastructure de base.
Aménagement du territoire et croissance urbaine au
Cameroun
-La sous-intégration à la ville. D'abord
l'éloignement par rapport à la ville, mais également la
déconnexion par rapport aux structures formelles de la ville, se traduit
par de mauvaises liaisons en termes de transport, mais également en
termes de service. Enfin, parce que ces quartiers occupent souvent
illégalement le terrain, ils restent sous la menace d'éviction et
cela empêche les populations dans la consolidation de leur habitation.
-Les quartiers irréguliers déjà
consolidés ou en voie de l'être : Il s'agit souvent de quartiers
anciens, qui finissent par être tolérés parce qu'ils
connaissent une consolidation de leur bâtit en dur et font l'objet d'une
amélioration d'un niveau d'équipement. Les autorités
finissent en effet, même si c'est timidement, à y consentir
quelques investissements ne serait-ce que pour assurer la
sécurité des biens et des personnes. Parce qu'ils sont anciens,
ces quartiers atteignent également un niveau de mixité sociale
par l'arrivée progressive de populations diversifiées.
-Les quartiers centraux laissés à l'abandon et
qui se transforment en taudis : Ce sont des quartiers formels qui subissent un
processus avancé de dégradation au point de constituer des
ghettos qui cumulent plusieurs handicaps et ne retiennent que des populations
captives, celles qui n'ont pas une grande liberté en matière de
choix de leur lieu de résidence. De façon générale,
il s'agit de quartiers qui ont mal vieillis au point d'accuser également
un retard important dans l'adaptation des équipements et infrastructures
tels que la voirie, les approvisionnements en eau potable et en
électricité, mais aussi des services. La dégradation de
ces quartiers peut aussi être une conséquence d'un processus de
gentrification9 en cours qui affecte des portions entières
des villes et souvent des centres-villes.
B. Croissance urbaine et transports urbains
La croissance urbaine peut s'apprécier aussi à
travers la mobilité des agents au sein des villes et les moyens de
transport utilisés par ces derniers.
B.1. Villes camerounaises et embouteillages
Il devient de plus en plus difficile de se rendre à son
lieu de travail dans les grandes villes tentaculaires du Cameroun. Cette
situation est due en grande partie à l'invasion des minibus et
motocyclettes qui sont parvenus à prendre la place d'un transport public
par autobus défaillant.
9 La gentrification est la transformation des
espaces due à une intensification des investissements, de
l'accroissement de la valeur immobilière des constructions et de
l'attrait d'activités à fortes valeurs ajoutées
Aménagement du territoire et croissance urbaine au
Cameroun
Les raisons de ce dysfonctionnement du transport urbain ne
sont pas difficiles à comprendre. Les régies affaiblies,
fragmentées et sous-financées ont été incapables
tant de maintenir les services existants que de faire des plans de
développement. Les autobus tombent en ruine après des
années de surcharge sur des routes défoncées et
d'entretiens mécaniques rapidement interrompus par le manque de
pièces de rechange. Les tarifs sont trop bas et les subventions trop
irrégulières pour assurer des exploitations soutenables. Les
habitants des banlieues marchent ou ont recours à des services
informels, largement non réglementés, sales, dangereux,
inconfortables et peu fiables (mototaxis, cargos, etc.).
Dans la plupart des villes (Yaoundé, Douala), les
régies ont eu des difficultés à satisfaire les demandes de
service des nouveaux habitants urbains, les pauvres en particulier. L'absence
de politiques d'utilisation des terres et de développement
économique ont débouché sur l'extension tentaculaire des
villes. La baisse de la densité associée à une extension
anarchique a fait augmenter les distances et poussé à la hausse
le prix du transport public. Ces développements affectent souvent les
pauvres de manière disproportionnée, les excluant de l'emploi et
des services sociaux. Pendant ce temps, l'utilisation accrue des
véhicules privés a entraîné l'engorgement des
routes, menaçant la sécurité des piétons et la
santé des citadins qui inhalent les gaz d'échappement.
Les villes camerounaises partagent certaines
caractéristiques communes :
- une population urbaine en croissance, mal servie par le
système des transports ; - un déclin des normes du transport
public ;
- des chevauchements et des conflits entre les agences
chargées de la planification et de la mise en oeuvre des solutions en
matière de transport ;
- une forte croissance de l'utilisation du transport par minibus
et par motocycles ;
- une dépendance croissante vis-à-vis du transport
privé (voitures et motocyclettes) ; - une absence et dégradation
des infrastructures de transport ;
- des mauvais aménagements pour le transport non
motorisé (marche et bicyclette).
L'engorgement des routes est un problème dans toutes
les villes. Les causes en sont la mauvaise gestion du flux de la circulation,
l'absence d'aires de stationnement et la médiocre application
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des règles. Le développement anarchique des
villes les a rendues incapables de faire face à l'augmentation du nombre
des véhicules. Moins de la moitié des routes sont revêtues,
ce qui réduit l'accessibilité des autobus aux faubourgs
éloignés et quartiers périphériques
densément peuplés. Les routes revêtues représentent
juste le tiers de la moyenne correspondant aux villes dans le monde en
développement. Dans toutes les villes, le réseau routier est
inférieur aux normes. La capacité est insuffisante, il n'y a ni
bandes d'urgence ni voies de service, le revêtement est
dégradé et l'éclairage des rues réduit au minimum.
Le mauvais état des routes limite la vitesse des véhicules,
réduit considérablement la productivité du parc d'autobus
et alourdit les coûts d'entretien des véhicules. Il favorise
également l'utilisation des minibus, taxis et motocyclettes qui
présentent une plus grande maniabilité que les grands autobus
mais ne sont pas aussi efficaces en tant que moyen de transport public
urbain.
La plupart des routes ont été construites
lorsque les villes n'avaient qu'un seul centre, et avant la rapide croissance
de formes personnalisées de transport motorisé. Le réseau
routier primaire part en étoile du centre ville vers les zones
environnantes et manque de liaisons orbitales ou circulaires. La
majorité des routes n'ont qu'une seule bande de circulation dans chaque
direction. Lorsqu'elles sont plus larges, une des voies est souvent
occupée par les piétons et les véhicules en stationnement.
Les carrefours sont peu espacés et mal conçus pour changer de
direction.
En plus de ces défauts généraux, peu
d'attention a été accordée à d'autres facteurs qui
facilitent les opérations des systèmes de transport public. Les
voies réservées aux autobus sont rares ou carrément
inexistantes. Les arrêts d'autobus, les abribus et autres
aménagements destinés aux passagers sont rares et en mauvais
état. Les terminaux d'autobus sont légèrement plus grands
que les aires de stationnement surencombrées, sans aménagements
pour les passagers.
La plupart des villes ignorent les besoins des piétons.
Une grande partie du réseau routier manque de trottoirs, les
piétons et véhicules motorisés doivent partager le
même espace. Lorsqu'ils existent, les trottoirs sont mal entretenus,
comportent des caniveaux à ciel ouvert, et sont grignotés par les
propriétés qu'ils bordent. Il n'y a ni passages pour
piétons ni ponts, sauf dans les centres villes. À cause de la
mauvaise gestion de la circulation, les accidents sont fréquents. Les
piétons représentent le gros des victimes d'accidents mortels.
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