VII.2. Analyse et discussion des
résultats
Après inventaire et appréciation de leur valeur
agricole, les terres réservées à l'agriculture, seront
cartographiées, bornées et inscrites au cadastre qui va
délivrer un document d'enregistrement. Les marais et les zones de
culture sèche seront aménagés, pourvus de drainage et
d'irrigation en fonction des besoins et des potentialités. Les
protocoles de production et de distribution seront précisés et
ces terres seront données aux groupements coopératifs qui vont
les exploiter. Ces groupements bénéficiaires seront formés
à leur usage et maintenance ainsi qu'aux bonnes pratiques agricoles et
au portail phytosanitaires international. Les déchets organiques de la
ville et des ménages seront récupérés et
transformés en compost ou en briquettes énergétiques. Des
normes d'hygiène et de qualité seront mises au point et
contrôlées. Des ?centres d'innovations? seront créés
au niveau des secteurs et des districts et le contexte institutionnel de
l'agriculture urbaine sera consolidé.
Ainsi se résume les stratégies
déployées à Kigali pour favoriser et maintenir
l'agriculture urbaine à Kigali telles que stipulées dans le plan
stratégique d'appui à l'agriculture urbaine et périurbaine
et le master plan. L'analyse des jeux d'acteurs montre une divergence de vues
des acteurs de l'agriculture, de l'environnement et de l'urbanisme sur le
programme de l'agriculture urbaine et périurbaine. On note aussi une
position relativement « calme » des acteurs institutionnels (MINAGRI
et ses institutions,...) alors que la politique agricole nationale ne donne
aucune importance spécifique à l'agriculture urbaine. La
répartition actuelle des acteurs indique que c'est surtout la ville de
Kigali, via ses services agricoles et le projet PAPUK financé par la FAO
qui sont aujourd'hui actifs. Ils sont entourés de porteurs de projets
qui hésitent à s'investir.
Ces résultats suggèrent que malgré les
bonnes stratégies dressées, la marge de manoeuvre pour
l'agriculture urbaine des grands espaces est vraiment très
limitée.
L'accroissement de population va entraîner une forte
demande en logements11, et l'urbanisation va progresser. En relation
avec la généralisation de l'habitat pavillonnaire,
l'accroissement de l'espace moyen consommé par nouvel habitant, s'il
n'est pas enrayé par une densification de l'habitat, va accentuer la
pression sur les espaces ouverts en périphérie de la ville. En
particulier, pour le district de Gasabo dont le master plan
prévoit que 70% de sa superficie demeurera rural
11 Il est prévu qu'il faudra construire ½
millions de nouveaux logements avec en moyenne 4,58 personnes par ménage
(Kigali conceptual master plan, 2007, P.50)
75
alors que son potentiel de croissance
développable est de 65%, il ne sera pas possible de respecter cet
objectif car les enjeux démographiques en ville dépassent
largement ceux de l'agriculture.
En outre, la forte urbanisation engendre des risques pour le
milieu naturel : pression sur la ressource en eau du territoire,
problèmes croissants de l'assainissement des eaux usées et du
traitement des déchets, artificialisation des sols. A ce titre, les
espaces naturels de la ville de Kigali présentent un caractère
remarquable avec de nombreuses zones d'intérêt écologique,
qu'il s'agisse des zones humides ou des massifs collinaires environnants, ou
encore des vallées alluviales. Cela va porter préjudice à
l'agriculture des zones humides (wetland agriculture). En effet, certains
aménagements et certaines pratiques ayant porté préjudice
à la conservation de ces territoires, il sera difficile d'y maintenir et
développer certaines productions agricoles dans un contexte
d'urbanisation rapide. Malgré qu'elles puissent abriter certaines
cultures comme la canne à sucre ou le riz, la plupart si ce n'est pas
toutes seront probablement protégées pour ne servir que comme
zone de traitement environnemental (Environmental Traitment Zone) et de
réserves naturelles. Pour l'agriculture sèche, située
à la périphérie de la ville et dans les zones
résidentielles rurales, elle sera confrontée aux contraintes
physiques. Les zones avec pentes supérieures à 20% qui couvrent
35% du territoire urbain serviront probablement à la reforestation. Eu
égard à la pression démographique, des études
supplémentaires quant à leur constructibilté seront
probablement menées.
Les porteurs de projets constituent les acteurs clés.
Or, leur engagement n'est pas aujourd'hui total, leur organisation n'est pas
assurée et leur capacité de financement laisse à
désirer. Les groupements coopératifs, attributaires des espaces
agricoles connaissent des problèmes réels de gestion. Ces
coopératives éprouvent, en outre, des difficultés dans le
recrutement de leurs membres comme dans la mobilisation des fonds à
investir dans les affaires (Task force pour la promotion des
coopératives, 2006, p.29).
Les récentes mutations des agronomes vers les secteurs
ruraux constituent un signe précurseur qui montre que le volet agricole
doit migrer vers les secteurs ruraux de la ville. L'utilisation des vases sur
les balcons et des jardins sur les toits au titre agricole au lieu
d'agrément (fleurs) dépendra de l'interprétation du
master plan par les élus de la ville.
76
Un dernier point qui mérite
d'être signalé est la marginalisation de l'agriculture par les
citadins de Kigali. L'agriculture était mal notée par tous les
citadins abordés dans l'étude d'identification des besoins du
master plan. Elle n'était votée que par les gens en provenance
des zones périphériques de la ville (Kigali conceptual master
plan, 2007).
Une ville, un pays ou un terroir peut-il vivre des seuls
importations de l'extérieur12 ? Pourquoi l'agriculture
est-elle si marginalisée alors qu'elle est le seul secteur à
fournir la nourriture dont l'humanité a besoin pour vivre? L'agriculture
ne peut-elle pas susciter le démarrage du développement comme le
pensent ces citadins? Autant de questions suscitées par notre recherche
?
A la question sur la capacité de l'agriculture à
susciter le démarrage du développement, les économistes
néoclassiques comme Hirschmann ou marxistes répondront par la
négative. Selon eux, l'agriculture ne peut constituer le point de
départ du développement du fait de la faiblesse des `'effets de
liaison''13 qu'elle suscite. Dans cette perspective, le `'vrai''
développement ne peut être qu'industriel (Henri de France, 2001,
p.144). Cette affirmation ne peut pas être
généralisée aux pays du Tiers-Monde (encore moins pour le
Rwanda). D'abord, parce qu'une implantation volontariste d'unités de
production industrielle dans un pays du Tiers-Monde peut y demeurer à
l'état de corps étranger, sans exercer les effets de liaison
escomptés. Puis, parce qu'à contrario les activités
agricoles peuvent générer des effets induits d'industrialisation
(idem, p.145). Le même auteur donne l'exemple asiatique où en Asie
de l'Est, une augmentation d'un point de pourcentage de la croissance de
l'agriculture a en général entraîné une hausse de
1,5 point de pourcentage de la croissance du secteur non agricole.
12 Selon Drechsel et al.(1999, p. 19 cité par SEBUHINJA,
2009), pour une ville de 3 à 4 millions d'habitants, le besoin en
aliment avoisine les 3 000 tonnes par jour ou l'équivalent de 1 000
camions par jour chaque camion étant chargé de 3 tonnes. Ceci
suppose l'entrée en ville de 2 camions toutes les 3 minutes. Kigali
Centre peut-il relever ce défi sans l'agriculture urbaine ?
13 L'effet de liaison traduit la spécificité
qu'ont certains investissement à en induire d'autres nouveaux
investissements (ou arrivent à le faire plus rapidement que le reste).
On peut considérer que deux mécanismes d'induction jouent
à l'intérieur du secteur des activités directement
productives. Le premier, l'approvisionnement en inputs, la demande
dérivée ou les effets de liaison en amont :
c'est-à-dire que toute activité économique
déterminera les efforts pour produire localement les inputs qui lui
sont nécessaires. Le deuxième, l'utilisation des outputs, ou
les effets de liaison en aval : c'est-à-dire que toute
activité qui, par nature, ne répond pas exclusivement à
des demandes finales déterminera des efforts pour utiliser ses outputs
comme inputs dans des nouvelles activités (Hirschman, 1958, p. 100
cité par Elies Furio-Blasco, 2002). D'après Hirschman A.O.,
l'agriculture ne stimule pas directement, par des effets de liaison, la
création de nouvelles branches d'activité.
77
Ces éléments font ressortir
le dynamisme requis à l'agriculture urbaine de Kigali dans une ville
alimentée par un flux migratoire soutenu14. Dans une telle
situation, comment maintenir durablement cette agriculture urbaine alors que
tous les éléments l'en éloignent ? Les enjeux territoriaux
peuvent être traduits par les principes du développement durable,
consistant ici à associer la croissance économique à la
croissance démographique, tout en préservant le potentiel de
ressources du territoire. L'agriculture apparaît à ce titre comme
une composante majeure, en tant qu'élément du cadre de vie et de
la culture locale, génératrice de paysage et activité
économique à part entière. Elle constitue à ce
titre un actif spécifique remarquable, à condition de faire
l'objet d'une véritable activation-requalification en tant que ressource
du territoire (Pecqueur, 2003 ; Peyrache-Gadeau, Pecqueur, 2004 cité par
JARRIGE, THINON et NOUGAREDES, 2006).
14 Il est projeté que, dans les prochains 25
ans, plus de 1 million d'habitants vont migrer vers les villes du Rwanda
(Kigali master plan, 2007). Kigali recevra la plus grosse part de ces
migrants.
78
|