CONCLUSION GENERALE ET
RECOMMANDATIONS
Au final, ce travail montre que l'agriculture urbaine et ses
espaces à Kigali sont bel et bien pris en compte et
protégés par les documents réglementaires de la ville ;
Alors que le master plan lui donne un rôle plutôt
multifonctionnel, le plan stratégique abonde dans le sens
d'économie agricole. Il y a donc diversité de vues des acteurs
sur le programme à adopter pour l'agriculture urbaine et
périurbaine.
Au regard du postulat qui prédit la disparition
à long terme de l'agriculture de la ville de Kigali, on se pose alors la
question si le master plan et l'inscription au cadastre offrent-ils une
protection suffisante? Vont-ils conduire à une agriculture urbaine
durable ?
Ce master plan devrait jouer un rôle de dispositif de
gouvernance, c'est-à- dire permettre à l'ensemble des
utilisateurs de l'espace d'élaborer des projets, de partager un langage
commun, d'imaginer des procédures de consultation et de dialogue entre
les différentes parties prenantes et de définir des règles
de coordination et d'apprentissage. Cependant à partir de la
diversité de vues entre les acteurs de l'agriculture, de l'environnement
et de l'urbanisme sur le programme de l'agriculture urbaine et
périurbaine, on peut craindre que ce rôle risque de ne pas
être pleinement joué.
Les principaux acteurs vont créer des routines
défensives là où il faut innover pour aborder
réellement le problème des relations entre agriculture et ville
et entre agriculture et développement urbain durable, en les centrant
d'abord sur la perception des enjeux réels. Cette ambition est
éloignée de la simple préoccupation d'adapter un
dispositif, potentiellement novateur, à une réalité
inchangée car l'intérêt du changement n'est pas
perçu et compris. La restriction des débats sur l'agriculture
urbaine aux seules parties actives tel que nous l'avons constaté
à Kigali, quand certains individus abordés hésitaient
à nous donner des rendez-vous pour un entretien sur l'agriculture
urbaine, masque des enjeux globaux ou des enjeux locaux de parties non actives
en particulier les acteurs que nous avons qualifiés d'acteurs absents.
Des jeux de pouvoirs ou des détournements des dispositifs mis en place
peuvent se produire au profit de quelques acteurs coalisés. Sans
volontés politiques originales, les capacités des acteurs
aujourd'hui actifs pour tracer la trajectoire de développement de
l'agriculture urbaine se trouveront limitées.
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La forme à donner aux
débats devrait dépasser les enjeux catégoriels et
l'approche par filière. Il faudrait dépasser l'enfermement sur
les enjeux strictement agricoles et prendre en compte la multiplicité
des usages des ressources territoriales. Bien que le master plan soit un
document réglementaire, force est de constater qu'il n'est pas
légalement contraignant par lui-même et l'inscription au cadastre
bien qu'elle atteste la reconnaissance de la propriété sur un
espace donné est plutôt plus orientée vers la
fiscalité.
D'autre part, le meilleur moyen de protéger les espaces
agricoles étant de maintenir la rentabilité de l'agriculture de
sorte que les exploitations restent en activité, il a été
constaté que, à Kigali, la rentabilité est compromise par
des contraintes topographiques et environnementales.
Ainsi, au-delà du projet de master plan, les dynamiques
futures des espaces et activités agricoles dépendent des choix
politiques qui seront faits par les élus de la ville et les acteurs de
l'environnement. La multiplicité des enjeux se doublant de celle des
acteurs, c'est bien un dialogue permanent qu'il faudrait favoriser entre le
monde urbain (ses élus, ses techniciens, ses habitants) et les
représentants du monde agricole dans sa diversité. Cette
concertation construite dans des rapports de confiance entre élus,
acteurs et usagers devrait être accompagnée d'une production
agricole organisée.
Néanmoins, les questions de l'adaptation des
organisations professionnelles agricoles traditionnelles face aux «
nouvelles problématiques territoriales» et de leur
représentativité dans les dispositifs de concertation
développés par les nouveaux modes de gouvernance territoriale
restent posées. La légitimité des organisations de
producteurs urbains apparaît, en particulier, problématique sur
leur capacité à porter les formes d'agricultures innovantes,
souvent à développer par de nouveaux acteurs, hors des sentiers
battus du monde agricole ? traditionnel?.
Quel développement durable est-il alors envisageable pour
cette activité ?
La durabilité de cette agriculture se pose en termes
d'aménagement et de gouvernance. En termes d'aménagement, les
documents de planification des dernières décennies ont
montré qu'il ne suffisait pas de préserver le foncier pour
assurer la pérennité de ces espaces. Il est également
indispensable de garantir les conditions permettant un développement
économiquement viable des activités agricoles et un
fonctionnement durable des écosystèmes. La législation et
la
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planification doivent évoluer vers
une prise en compte de ces logiques. Ce qui implique nécessairement une
transformation en termes de gouvernance. Celle-ci suppose : la création
des organisations ou des institutions territoriales efficaces,
l'élaboration des politiques d'aménagement performantes en
matière d'économie d'espace et, enfin, la mise en oeuvre
raisonnée du projet agricole dans le territoire urbain. Ces trois
étapes doivent être soutenues par des volontés politiques
originales.
Dès lors, les recommandations suivantes peuvent
être formulées pour une agriculture urbaine durable de Kigali:
1. Reconnaître que l'agriculture urbaine est
différente de l'agriculture rurale et qu'elle peut contribuer à
la sécurité alimentaire, à la sécurisation
environnementale et sociale
A Kigali, l'analyse de la perception des acteurs sur
l'agriculture urbaine montre qu'elle est perçue par rapport à son
marché (le marché existe), à ses produits (produit de
haute valeur ajoutée) et ses espaces (marais et bas-fonds et autres
espaces à caractère rural). Elle est méconnue par rapport
à la diversité de ses systèmes culturaux et ses
technologies alors que ce sont ces divers systèmes d'exploitation et ses
diverses technologies qui la permettront de résister à la
pression urbaine, de s'adapter et d'occuper un énorme créneau
dans l'écosystème urbain. Comme elle se fait en milieu
inhospitalier où elle est en concurrence avec d'autres activités,
reconnaître cette différence permettrait de lui allouer les
ressources nécessaires.
2. Développer les
capacités des acteurs autour de la question agricole
L'agriculture urbaine à Kigali est un concept nouveau
qui, pour être accepté pleinement nécessite une
vulgarisation soutenue. Il est donc indispensable de sensibiliser les
différents publics (élus, agriculteurs, citoyens urbains, chambre
d'agriculture, syndicats agricoles, associations locales de
développement agricole, presse,...) en construisant un
argumentaire spécifique pour que chacun de ces acteurs du territoire se
mobilise, comprenne les enjeux d'une bonne prise en compte de l'agriculture et
participe activement tout au long du processus, dans le cadre de la
concertation, à la construction du projet de territoire.
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3. Créer une instance de
dialogue autour de la mise en oeuvre du master plan dans lequel les acteurs
agricoles sont associés
Le fait que la question agricole ne soit portée
aujourd'hui que par les seuls services agricoles et le projet PAPUK constitue
en soi une menace. Une instance de dialogue éviterait l'enfermement en
approche par filière préjudiciable à l'avenir de
l'agriculture. Les attendus de cette instance seraient : dialogue et
coordination, production de normes et régulation pour la mise en oeuvre
des règles et règlements.
4. Développer de nouvelles formes
d'agriculture
L'inscription de nouvelles formes d'agricultures dans les
tissus sociaux et économiques passe par une activation de ressources
nouvelles. En effet, l'environnement urbain encourage la maximisation de la
production à partir de surfaces minimales (Prain, Henk de Zeeuw, 2008)
:
- cultures hors saison à fort rendement
économique moyennant une irrigation et/ou
recouvrement des cultures...,
- adoption de variétés à haut
rendement, application de pratiques de maraîchage bio
intensives et de permaculture.
- une utilisation maximale des ressources naturelles
disponibles lorsque celles-ci n'étaient pas préalablement
utilisées pour l'agriculture. Cela inclut l'utilisation des eaux
usées comme source d'eau mais aussi comme source de nutriments (Buechler
et al., 2006 cité par Gordon Prain, Henk de Zeeuw, 2008 ), l'utilisation
de déchets solides urbains compostés (Cofie and Bradford, 2006
cité par Gordon Prain, Henk de Zeeuw, 2008) et l'utilisation de
parcelles de terre abandonnées ou marginales
- Une utilisation intensive d'espaces verticaux limités
(utilisation de terrasses, de toits, de caves et de balcons ; l'usage de divers
types de systèmes de conteneur et de paniers suspendus, la culture sur
murs, cascades, ou pyramides);
- l'utilisation de systèmes sans substrats terrestres
comme l'agriculture hydroponique (Marulanda et Izquierdo, 2003 cité par
Gordon Prain, Henk de Zeeuw, 2008) et organoponique (Premat, 2005 cité
par Gordon Prain, Henk de Zeeuw, 2008 ), aéroponique, aquaponiques et
autres technologies à utilisation «d'espace limité, sans
utilisation d'espace».
- Des projets de fermes verticales.
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Pour ce faire, la recherche devrait se
saisir du problème et imaginer ces nouvelles formes d'agriculture plus
esthétiques et plus à même de répondre aux exigences
du master plan quant à la zone urbaine.
5. Développer de nouveaux modes
de gouvernance de l'agriculture urbaine
L'agriculture devrait servir comme un des outils de gestion des
espaces ouverts de la ville de Kigali.
6. Privilégier des engagements d'agriculteurs
assortis d'aides publiques
Les enjeux environnementaux des espaces réservés
à l'agriculture sont tellement forts que sans engagements assortis
d'aides publiques, l'agriculteur seul ne parviendrait pas à
préserver les équilibres environnementaux nécessaires. En
effet, l'exploitation agricole devrait contribuer à la
préservation des ressources naturelles et à l'occupation et
l'aménagement de l'espace urbain en vue notamment de lutter contre
l'érosion, de préserver la qualité des sols, la ressource
en eau, la biodiversité et les paysages. Cet objectif ne peut pas
être atteint sans aides publiques destinées entre autres à
compenser le manque à gagner au titre de la protection
environnementale.
7. Privilégier une forme d'organisation
professionnelle qui donne un statut d'agriculteur en nom propre
L'option coopérative privilégiée
aujourd'hui ne donnera pas, à mon humble avis des résultats
probants dans un futur proche, à cause des problèmes de gestion
de ces coopératives. L'expérience collective n'est pas encore
totalement acquise. Dès lors, il faut plutôt créer des
groupements totaux (regroupement des exploitations) ou partiels (regroupements
des fruits du travail pour les vendre par exemple) pour exploiter les espaces
agricoles à délimiter.
8. Privilégier des aménagements
économes d'espaces
La priorité devrait être accordée au
renouvellement urbain et à la densification de l'habitat
10. Soumettre tout grand projet à la
rédaction d'un porter à connaissance
Cela éviterait des délocalisations
ultérieures
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