3. Les Contraintes de la Décentralisation en
Haïti.
La mise en place du cadre légal de fonctionnement des
collectivités territoriales a commencé, l'idée de
décentralisation fait son chemin mais se heurte à des
difficultés de divers ordres : politique, institutionnel,
socio-économique, entre autres.
Les difficultés politiques.-
Il est nécessaire de rappeler les compétences
partagées par l'Etat et les Collectivités territoriales en
matière d'éducation, de Justice, et de mise en place du Conseil
électoral permanent.
L'importance des enjeux que sous-tendent les
Collectivités territoriales entraine des rivalités implacables
entre les forces politiques qui évoluent sur le terrain. Vingt ans
après l'entrée en vigueur de la constitution, le CEP permanent
n'a pas encore pris fonction. Les luttes pour le contrôle, des Conseils
municipaux, des CASECS, des Conseils départementaux, des
Assemblées territoriales sont âpres et permanentes. Plusieurs
joutes électorales ont été organisées depuis 1987
sans que les organes des pouvoirs territoriaux aient été mis en
place, construits et renouvelés de manière
régulière.
Les problèmes relatifs à l'orientation des
Collectivités Territoriales sont à l'origine de retards dans les
décisions à prendre les concernant. Les critiques
soulevées autour de la lourdeur de la structure de
décentralisation ont donné lieu à des débats
confinés aux cercles d'experts, alors qu'une telle question devrait
être appropriée par toutes les composantes de la nation.
L'État influencé par la mondialisation s'est
désengagé vis-à-vis des besoins sociaux et fondamentaux
des populations au profit des intérêts privés.
L'État décentralisé va-t-il prendre la même
voie ?
Aujourd'hui, les élections indirectes n'ont pas eu
lieu, la formation d'un conseil électoral permanent est toujours dans
l'impasse. Des exigences de débattre de la réforme de
l'État, d'appliquer les modifications apportée à la
Constitution amendée, des malentendus entre les acteurs politiques
semblent stopper le processus électoral. Des considérations
portant sur le caractère souverain des élections, sur leur
financement par la communauté internationale ont
généré constamment des préoccupations sur le
contrôle des collectivités.
Les responsables politiques lancés dans la course
à la décentralisation deviennent agressifs à l'approche
des élections territoriales, plus soucieux de défendre un
clientélisme conservateur, d'impulser la construction des pouvoirs
locaux autonomes et assis sur des bases démocratiques. D'autres
obstacles continuent d'encombrer la route de la décentralisation.
Les Contraintes institutionnelles.-
L'organisation des Collectivités territoriales souffre
de deux déficits majeurs : tous les organes prévus ne sont
pas institués et les lois appelées à en régir le
fonctionnement ne sont pas encore prises. Il en résulte une image de
structure boiteuse, en situation de tâtonnement, cherchant à se
réaliser.
Le rapport des Collectivités à l'État est
difficultueux. Il se pose, d'entrée de jeu, la question de la
démarcation entre les autorités du pouvoir central (proches des
intérêts de l'État) et celles des Collectivités
territoriales (proches des intérêts des populations). L'exercice
de la tutelle opérée par le Ministère de
l'Intérieur et des Collectivités Territoriales s'accommode mal de
l'autonomie administrative et financière prescrite par la Constitution
et du rôle du Conseil interdépartemental auprès de
l'exécutif. Le Fonds de Gestion et de Développement des
Collectivités territoriales utilisé à la discrétion
du dit Ministère est un instrument de cette tutelle au lieu d'être
un outil de financement du développement local.
La gestion de certaines attributions communes à
l'Exécutif et aux Collectivités comme dans les cas des articles
87.1, 87.2, 87.3 de la constitution traitant du Conseil
interdépartemental ne va pas sans ambiguïté et
équivoque. De même, les Finances locales sont un champ non
exploité, non valorisé par la Direction Générale
des Impôts, ce qui bloque d'avance toute progression vers l'autonomie des
pouvoirs locaux. Une redéfinition des rapports et des
compétences des Collectivités avec les instances centrales, en
matière de fiscalité est impérative. La loi de 1996 sur
la Collectivité territoriale de section communale et les décrets
de 2005 adoptés sous le gouvernement Latortue représentent les
instruments qui régissent les collectivités.
La loi de 1996 n'adresse que très partiellement le
champ des Collectivités ; les décrets, pour leur part, sont
largement contestés. Le gouvernement légitime de 2006 a ouvert
les débats sur les décrets et sur l'orientation à donner
à la décentralisation. Au plan de l'application des normes, en
ce qui concerne les collectivités, notamment l'organisation des
élections indirectes, les provisions des décrets ont fait l'objet
d'analyses et de commentaires qui ont alimenté une controverse
provoquant l'arrêt du processus de construction de la
décentralisation.
D'autres problèmes liés au vide
créé par l'élimination des chefs de section et les
attributions des casecs ; aux découpages spatiaux et à
l'évincement des collectivités par d'anciens mécanismes
associatifs et participatifs(les mouvements communautaires) ; au refus de
la bureaucratie centrale d'abandonner pouvoirs et privilèges,
parachèvent un tableau de contraintes et de défis à
lever.
Les blocages socio-économiques.-
Ces difficultés ont rapport avec les coûts
onéreux de la décentralisation. Les investissements à
consentir pour préparer des ressources humaines qualifiées,
verser des salaires aux personnels des collectivités, financer des
programmes de renforcement institutionnel, réaliser des infrastructures,
fournir des services de base, sont lourds et peu disponibles. Les carences en
ressources administratives et financières dans les collectivités,
la concentration de richesses au sein de celles qui sont nanties, ne favorisent
point l'atténuation des disparités communales ou
régionales et ne plaident pas en faveur de la décentralisation.
D'autres considérations sont faites en relation avec ces blocages
socio-économiques.
La faiblesse des communes et des sections
rurales fragilise le processus de décentralisation par
l'absence des institutions étatiques notamment dans les sections
communales. L'État en favorisant le développement de
macrocéphalie comme Port-au-Prince et autres métropoles
provinciales entraine le rachitisme de nombre d'entités territoriales
frappées de carences multiformes. L'autonomie financière est le
nerf de la décentralisation. En dehors des communes de l'aire
métropolitaine de Port-au-Prince, les autres ne peuvent
générer des ressources propres, ni gérer efficacement leur
municipalité. La bonne gouvernabilité peine à s'imposer
dans des conditions où les grands principes de gestion (planification,
organisation, direction, contrôle) ne sont pas appliqués.
D'autres écueils sont relevés sur le chemin de
la décentralisation. Ils s'expriment aussi parla faiblesse des
organisations de la société civile.
Les organisations dites de la société civile
sont généralement accusées de s'articuler autour de la
défense des intérêts dominants garantis par
l'économie de marché et de ne s'ouvrir ni à la
concurrence, ni au respect de l'équité, ni au goût du
risque qui caractérise l'entrepreneurship (en témoignent
l'exploitation du consommateur sans défense, le règne de
l'évasion et de la fraude fiscales, l'étroitesse du marché
de l'emploi). Leurs démarches les a éloignées des
syndicats, des groupements paysans, des organisations populaires etc qui ont
occupé l'espace socio-politique durant les vingt dernières
années et qui étaient porteurs d'un discours et d'une action qui
jurent avec ceux de la société civile.
D'un autre côté, les organisations de base ont
perdu leur élan et certaines d'entre elles leurs convictions. Les
remous de la lutte les ont tantôt désorientées,
tantôt dévoyées. Les objectifs de construction d'un projet
démocratique donnant lieu à des interprétations diverses,
voire contradictoires, ont dispersé les rangs des forces sociales qui
ont eu raison de la dictature. Les partis politiques mal reçus par les
populations et non financés par l'Etat sont restés en
deçà d'une représentation politique susceptible de
garantir des liens entre la société et l'État.
La préparation d'une relève en matière de
cadres politiques, l'augmentation des capacités d'accueil des
Universités, la formation politique de la population, de nouvelles
pratiques des entrepreneurs potentiels et des forces associatives
contribueraient à asseoir les bases de la décentralisation et de
l'institutionnalisation de la démocratie participative.
L'État décentralisé, tel que prévu
par la Constitution de 1987 est dans l'impasse. Les Collectivités ne se
sont affirmées ni sur le plan politique, ni sur le plan financier, ni
sur le plan administratif.
Or, les populations et les acteurs locaux doivent
décider ensemble de l'avenir de leur commune. Pourtant, en Haïti,
la gouvernance urbaine est limitée par le pouvoir central. Des
réformes tant sur le plan administratif, institutionnel,
budgétaire que politique sont donc indispensables. D'ailleurs, de la
décentralisation et de l'absence de planification urbaine,
dépend, malgré tout, certaines pistes de solution.
|