Section VI - Quelques principes directeurs de gestion des
projets d'innovation
La conduite de ce type de projet diffère
fondamentalement de celui d'un projet de développement. La
difficulté majeure est d'explorer de façon synchronique les
éventualités techniques et les valeurs d'usages d'une innovation,
sans oublier quelques fois la problématique de son intégration
à laquelle il faut faire face. Autrement dit, l'incertitude
technologique ; et économique ne sont pas la seule
caractéristique des projets d'innovation. Elles sont aussi
organisationnelles, car ; les tâches à accomplir ne sont pas
précisées à l'avance. Ainsi, l'affectation des ressources
st suffisamment maitrisée par la hiérarchie.
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L'évaluation de la performance de la recherche et de
l'innovation dans les laboratoires universitaires.
En outre, puisqu'il est question en principe de
développer des connaissances et des compétences nouvelles,
l'incertitude prend également un aspect cognitif. Il faut souligner bien
plus que tout cela ne saurait être essentiellement rationnel,
étant donné que ; un certain nombre de mythes cadreraient les
repères cognitifs des acteurs. Nous comprenons au moins pourquoi le
pilotage des projets innovants ne doit pas se faire par la méthode
classique du management, puisqu'on est face à un conteste
différent d'une part et d'autre part il faut s'investir dans une
dynamique de gestion de l'incertitude.
Lenfle (2001), propose à l'inverse des
préconisations de M.Porter ; pour répondre au menaces de
l'environnement (interne et externe), il est indispensable de combiner
plusieurs stratégies (domination par les coûts,
différentiation...), c'est ce qu'il qualifie par la notion «
d'endossement stratégique ». Cela permettra de repartir le risque
financier notamment, de diffuser aussi les connaissances et transférer
les apprentissages.
Cette incertitude bouleverse selon Lenfle (2008) les
méthodes de management et met en exergue trois problèmes relatifs
au projet d'innovation : 1) quelle est sa légitimité dans
l'organisation ? 2) Quels sont les modes d'action adaptés ? 3) Comment
le piloter ? Nous pouvons ajouter un quatrième problème relatif
aux mythes qui gouvernerait les choix stratégiques (montrant les limites
de la raison dans la construction de l'action collective) sans oublier les
critères d'évaluation de la performance des laboratoires qui ne
sont eux aussi pas très scientifiques.
En nous appuyant sur ces éléments et toute une
littérature pertinente, nous pouvons présenter avec Lenfle (2001)
quelques « principes susceptibles de fonder un système de gestion
des projets d'innovation» :
> Construire un référentiel
d'évaluation spécifique.
La première difficulté que rencontrent les
projets d'innovation est sa légitimité. Comme
énoncés plus haut, les caractéristiques des projets
innovants, ceux-ci doivent trouver leur place dans le système, car,
stratégiquement ambigus, sans clients les justifiant, ils sont en
perpétuel recherche des ressources. Il est donc indispensable comme le
montre les travaux sur le management de l'innovation et des projets de
développement (voir le tableau 2, ci-dessous) de mettre des
L'évaluation de la performance de la recherche et de
l'innovation dans les laboratoires universitaires.
structures ad hoc. Il peut s'agir « d'une équipe
pluridisciplinaire », jouissant d'une autonomie opérationnelle, ce
qui permettra de dynamiser le processus de création des connaissances
(Nonaka, 1994).
Tableau 2 comparaison des recherches sur le
management de l'innovation (Lenfle, 2008)
Burns & Stalker, 1963
|
Freeman, 1974
|
Nonaka & al.,
1985 - 1994
|
Van de Ven & al.,
1986-1999
|
Burns & Stalker sont les premiers à
caractériser le fonctionnement « organique » adapté aux
situations d'innovation. On retient habituellement 6 points :
1. Continuelle redéfinition des tâches
individuelles en fonction des objectifs à atteindre qui sont eux
très clairs.
2. . Ajustement continu entre les différents membres de
l'organisation. Chacun intervient bien au-delà de son rôle «
officiel ».
3. Contrôle plus souple. Autour des problèmes
à résoudre et pas de l'organigramme.
4. Multiplication des échanges informels et
latéraux sur le mode de la consultation, de l'échange
d'informations.
5. On reconnaît la répartition des connaissances
entre les différents acteurs.
6. Valorise l'engagement sur des programmes qui permettent le
développement de l'entreprise
|
En comparant des paires de projet d'innovation dans le secteur de
la chimie et des instruments scientifiques,
C. Freeman met en évidence trois variables discriminantes
pour expliquer le succès (ou l'échec) des projets innovants. Si
les deux premières traitent des relations à l'environnement, la
dernière renvoie directement au management du projet :
1. La compréhension des besoins des utilisateurs T et
l'intégration de la question des usages à toutes les
étapes du processus d'innovation
2. L'existence de relations avec le monde scientifique
extérieur
3. Le niveau hiérarchique de «
l'innovateur-gestionnaire ». Celui qui gère le projet doit
être un « general manager » expérimenté
ce qui lui permet de recruter les bonnes personnes, de mobiliser des ressources
importantes et de trouver les appuis nécessaires dans l'organisation.
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L'article fondateur d'Imaï, Nonaka & Takeuchi (1985) se
concentre lui sur la question du fonctionnement des équipes projet et
identifie 6 facteurs qui contribuent à un processus de
développement innovant, rapide et flexible :
1. «Top management as catalyst»
2. «Self-organizing project teams»
3. «Overlapping development phases»
4. «Multilearning»
5. «Subtle control»
6. «Organizational transfer of learning»
Le point 1 renvoie au rôle de la DG qui impulse et
supervise le processus, alors que les points 2 à 6 concernent le
fonctionnement de l'équipe. Ils correspondent tout à fait au
fonctionnement « organique » décrit par Burns et Stalker, mais
le cadre est cette fois explicitement le projet.
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Le Minnesota Innovation Research Program, piloté par A.
Van de Ven, a donné lieu à de nombreuses publications. L'article
fondateur de 1986, après avoir identifié les problèmes
centraux du management de l'innovation, décrit 4 principes pour
concevoir une organisation innovante :
1. «Self-organizing autonomous unit»
2. «Redundant functions»
3. «Requisite variety»
4. «Temporal linkage»
Nous retrouvons donc, à partir de cas différents de
ceux étudiés par les auteurs précédents (projets
très innovants étudiés sur longue période), des
caractéristiques tout à fait similaires. Les idées
d'auto-organisation, d'autonomie de l'équipe, de
plurifonctionnalité (requisite variety) ou de redondance sont toutes
présentes chez Nonaka.
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L'évaluation de la performance de la recherche et de
l'innovation dans les laboratoires universitaires.
> Le rôle de l'expérimentation: valeur des
produits et connaissances accumulées. La deuxième
difficulté à laquelle les acteurs doivent faire face est
l'incertitude. Puisque le mode classique d'action de l'acteur projet est en
partie incompatible à cause entre autres de la difficulté
à fixer les jalons, absence de planning, découpage en
tâches délicats, difficulté d'insérer le projet
innovant dans un réseau d'acteur etc.
A- Elaboration d'un programme de recherche et
conception d'une innovation
Par ailleurs, l'élaboration d'un programme de recherche
doit être perçue comme une structuration temporaire du champ
à explorer, il est question essentiellement de tester les
premières idées, ce qui est l'essence même de la
théorie de la conception et de l'innovation (Nonaka (1995) ; Hatchuel
& Weil (1999) etc.) qui met en exergue l'importance de l'action en
l'absence de préférence claires ; action qui va stimuler la
découverte des problèmes et éventuellement les solutions
aux problèmes. Ainsi, l'épreuve5 qui est «
évènement créateur de connaissances et d'outils de
coordination des acteurs » étant donné qu'elle permet de
créer des échéances. Elle doit être l'unité
d'oeuvre au centre du dispositif de pilotage. A tout prendre,
l'intensité de l'apprentissage va dépende de la capacité
du groupe à produire, réaliser et exploiter un flux continu
d'épreuves au cours d'une période de temps (Iansiti, 1998 ;
cité par Lenfle (2008)). C'est le rôle central de l'épreuve
dans le dispositif de pilotage d'un processus d'innovation.
> La focalisation temporelle de l'exploration :
Ici il est question de constater l'évolution du projet dans un
environnement extrêmement dynamique. Ainsi, les variables de
contrôle qui cadre la dynamique d'un projet ne sont pas statiques. Elles
(valeurs d'usage, stratégies, technologies etc.) ne doivent pas
être traitées
5 Pour mieux comprendre la nature des épreuves
(essais, stimulations etc.) et les problèmes d'organisations qu'elles
mettent en lumière voir Lenfle (2001)
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L'évaluation de la performance de la recherche et de
l'innovation dans les laboratoires universitaires.
séquentiellement. Ceci permet de réduire le
risque qu'une réponse partielle et pertinent ne soit plus lorsqu'on a
résolu les autres dimensions du problème.
> La reformulation de la problématique
chemin-faisant : Selon H. Simon la conception c'est à la fois
construire un problème et trouver une solution à ce
problème. Cette démarche classique, du problème vers la
solution n'est pas évidente à mettre en application, car, on est
incapable au départ de « bien poser le problème » d'une
part ; et d'autre part ; le problème posé au départ, la
probabilité dune solution est très faible puisqu'on raisonne avec
un problème parfois superficiellement défini.
> La nature de la performance : valeurs des
connaissances accumulées.
Chaque situation d'innovation est construite dans un cadre qui
met en jeu un processus de production des connaissances à un processus
de création de chiffre d'affaire. On est confronté à une
ambigüité qui s'explique de plusieurs façons ; ainsi, une
recherche peut déboucher sur le plan commercial, sans créer des
nouvelles connaissances. Et inversement, une étude peut ne pas aboutir
sur le plan commercial ; mais apporter des connaissances pertinentes sur la
compréhension de la technique. Par conséquent, on réduit
les incertitudes techniques grâce aux connaissances accumulées, on
réduit de ce fait les coûts et les risques d'échec.
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