Section 2 : Le recours à la titrisation
Tout au long du titre 1er, nous avons
démontré en quoi les acteurs économiques avaient un
intérêt à ce qu'il existe un marché du refinancement
liquide et performant, afin de permettre aux entreprises débitrices de
crédits à risques d'obtenir des concessions sur la structure de
leur dette et aux établissements de crédits originateurs
d'améliorer la structure de leurs bilans. La titrisation est une
réponse partielle à ses besoins. Elle présente
l'avantage d'être un mécanisme juridique sécurisé au
regard de la législation sur le monopole bancaire. Pour autant, elle ne
représente une aubaine que pour les établissements de
crédit cédants, et ne répond pas aux attentes des
débiteurs. La titrisation est avant tout une technique
financière, qui consiste en la transformation de créances en
titres négociables qui prendront la forme d'actions ou de parts et
seront émis, sur le marché, par des organismes de titrisations,
tout en étant adossés aux créances cédées.
D'origine américaine, la titrisation est apparue en France avec une loi
de 198877. Le dispositif a été amendé à
plusieurs reprises et notamment en 1993 78et 200879. La
titrisation trouve à nous intéresser en ce sens que les
établissements de crédit ont pu tirer profit des dispositions
précédemment exposées pour faire sortir de leur bilan des
créances risquées et ainsi améliorer leurs ratios de
solvabilité et faire de nouveaux prêts. Concrètement,
l'établissement de crédit peut utiliser plusieurs
modalités80, mais l'objectif principal est, pour lui, le
refinancement des crédits. Il est bien entendu que, pour se refinancer,
l'établissement de crédit ne peut pas titriser seul et
céder ensuite le titre négociable sur le marché. Il faut
qu'intervienne une tierce partie, à savoir l'organisme de titrisation
sur lequel
77 Loi n°88_1201 du 23 décembre 1988.
78 Loi n93_6 du 4 janvier 1993 relative aux
sociétés civiles de placement immobilier, aux
sociétés de crédits fonciers et aux fonds communs de
créances.
79 Ordonnance n°2008_558 du 13 juin 2008,
intervenue en pleine crise financière, dont le but était
d'encadrer la titrisation en en préservant les effets économiques
positifs, transposant la directive 2005/68/CE du 16 novembre 2005 relative
à la réassurance et réformant le cadre juridique des fonds
communs de créances.
80 L'établissement de crédit peut
choisir un mécanisme de titrisation classique, caractérisé
par une sortie de la créance bancaire de son bilan, ensuite
transformée en titre et acquise par l'organisme de titrisation. Dans un
pareil cas, qui est le plus utilisé si la banque poursuit un motif de
refinancement, la banque se sépare de la créance et peut confier
au cessionnaire (organisme de titrisation) la gestion de la dette
associée (le débiteur, informé, payera désormais le
cessionnaire pour les échéances) à moins ce que la banque
reste l'interlocuteur du débiteur pour le remboursement, à charge
de céder au cessionnaire ces produits. L'établissement de
crédit peut aussi choisir un mécanisme de titrisation
synthétique : on passe de la titrisation des créances à
celle des « risques » : la créance reste dans le patrimoine de
la banque mais elle n'en assume plus les risques économiques (le
défaut de la contrepartie) qui seront intégralement pris en
charge par une entité tierce au moyen d'un contrat tel que le Credit
default swap (contrat dérivé).
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repose tout le modèle. La loi de 1988 a
créée ainsi les fonds communs de créance, devenus plus
tard organismes de titrisation (en 199681). Sous cette
dénomination, le législateur englobe à la fois des OPCVM
(organismes de placement collectifs spécialisés dans la
titrisation et distincts des autres OPCVM82, « fonds de
titrisation ») non dotés de la personnalité morale et devant
être chapeautés par une société de gestion de
portefeuille agrée par l'AMF et les sociétés de
titrisation, dotées de la personnalité morale.
En matière de refinancement bancaire, sur le
marché secondaire, puisque c'est ce qui nous occupe, le
mécanisme, comme nous l'avons précédemment
évoqué, consiste en une transformation des prêts bancaires
en titres acquis par l'organisme de titrisation. Ces créances bancaires
sortent ainsi du bilan de la banque qui se débarrasse des risques et
retrouve de la surface financière du fait du rachat et de la perception
de la valeur de la créance cédée. L'organisme de
titrisation acquéreur va, lui, parallèlement, procéder
à une émission de titres (si c'est une société de
titrisation) ou de parts représentatives (si c'est un fonds commun de
titrisation) de cet organisme. Le produit de la souscription de ces parts,
émises sur le marché et acquises par les investisseurs permettra
à l'organisme de titrisation de financer l'acquisition des
créances bancaires titrisées. Au final, l'organisme sert
d'intermédiaire entre le marché et les banques et permet de
fluidifier le refinancement en drainant l'épargne publique au sein d'un
véhicule de titrisation spécialement dédié à
l'investissement dans de la distressed debt.
De prime abord, ce mécanisme semble efficace à
plusieurs égards. D'abord, il permet aux banques de se refinancer et
permet aux entreprises titulaires de dette risquée de ne pas se voir
imposer de conditions plus strictes (mise en oeuvre de covenants,
exigibilité anticipée) par la banque qui confie à une
entité spécialisée dans les placements risqués - et
donc plus tolérante à la distressed debt et soumise
à des exigences prudentielles moins strictes - ses clients. On peut
raisonnablement penser qu'une banque désireuse d'alléger son
bilan choisira l'option d'informer le débiteur de la titrisation de ses
dettes afin que ce dernier traite désormais directement avec l'organisme
de titrisation pour le paiement des échéances du prêt.
Ensuite, ce mécanisme, comme on l'a dit, n'encoure pas de sanctions pour
violation du monopole bancaire : bien que l'opération de cession de
créance non-échues ait été reconnue comme une
opération de crédit, les organismes de titrisation sont
expressément exemptés par l'article L511-6 du code
monétaire et financier des sanctions relatives à la violation du
monopole. Ce mécanisme devrait donc suffire à créer un
véritable marché du refinancement pérenne.
81 Loi n°96-597 du 2 juillet 1996
82 Article L214-1, I, 2° du code monétaire
et financier
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Pour autant, la titrisation n'est pas une solution optimale.
L'analyse économique du droit en la matière permet de montrer
qu'elle ne répond que partiellement aux besoins des acteurs mis en
exergue dans le titre précédent. En effet, si elle permet de
satisfaire les besoins des banques, elle ne créée qu'une
marché du refinancement imparfait car les besoins des débiteurs
(détenteurs de « distressed debt ») ne sont pas
satisfaits. Economiquement, la finalité de l'opération de
titrisation ne s'analyse qu'auprès de deux parties :
l'établissement de crédit cédant et l'organisme
cessionnaire / les investisseurs. En effet, pour le premier, il s'agit de se
débarrasser de ses risques, pour l'autre, il s'agit de mener une
opération à visée spéculative : les investisseurs
(par le biais de l'organisme de titrisation) parient sur le meilleur rendement
du débiteur à haut risque, alors que la banque,
symétriquement, cherche à éliminer ce dernier. Il s'agit
donc d'une opération de nature essentiellement spéculative
où le refinancement répond d'abord aux besoins économiques
de la banque et aux velléités de spéculation des
investisseurs. Dans ce modèle, aucune place n'est a priori
accordée aux intérêts du débiteur qui demeure
totalement passif : sa propension à rembourser, le caractère
risqué de sa dette sont des critères guidant la prise de position
des investisseurs (le « pari spéculatif ») en quelque
sorte, mais nul ne s'intéresse véritablement à la relation
client avec le débiteur. Cela est à dire, en effet, que les
organismes de titrisation n'ont aucune volonté de gestion effective de
la relation client avec le débiteur des créances
cédées : ce ne sont que des intermédiaires de
marché. Dès lors, le détenteur de distressed
debt, à la recherche, comme on l'a vu, d'un interlocuteur, d'un
gestionnaire de relation client, de portefeuille, se heurte à une
impasse car il ne bénéficie en aucun cas d'une possibilité
de rencontrer un conseiller, ni même de réfléchir aux
aménagements ou à la restructuration de sa dette (modification
des échéances, des intérêts, des covenants,
discussions sur l'exigibilité anticipée, obtention de lignes de
crédit supplémentaires ou « argent frais » etc.). Cela
aboutit à sérieusement faire douter de la pertinence
économique de la titrisation auprès de fonds de titrisation. Il
existe, comme nous l'avons mis en évidence, d'autres entités
(fonds d'investissement spécialisés dans la dette, hedge
funds, fonds de capital investissement) désireuses de se porter
acquéreurs de distressed debt directement auprès des
banques afin non plus de réaliser une opération de nature
purement spéculative, mais de mettre leurs compétences
corporate et restructuring à la disposition des
entreprises en difficultés (ou non) et de leur offrir des
aménagements de dette, un interlocuteur, une stratégie. Les fonds
de private equity sont notamment dotés de telles expertises.
Pour autant, ces fonds autres que les organismes de titrisation n'étant
pas exemptés du monopole bancaire, ils ne peuvent utiliser la technique
de la titrisation pour réaliser de
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telles opérations au risque de tomber sous le coup de
sanctions. Ainsi, le marché du refinancement est finalement peu liquide
et peu efficient, économiquement parlant.
Par conséquent, l'analyse économique de la
titrisation débouche inéluctablement sur un appel à
l'extension du mécanisme de titrisation bancaire à d'autres
entités que les organismes de titrisation : nous verrons par la suite si
la création des sociétés de financement, non
menacées par le monopole bancaire, est de nature à apporter une
réponse à ces limites ou si d'autres voies devront être
envisagées comme l'entrée d'entités supplémentaires
dans le champ de l'exemption de l'art L511-6 CMF.
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