TITRE 1:
REGULATION DES ENTITES DU SHADOW BANKING
SYSTEM
La régulation des entités du shadow
banking entretient des liens étroits avec le
démantèlement des monopoles bancaires car il existe entre eux un
lien qui est selon nous indissociable. En effet, la libéralisation des
monopoles bancaires, qu'elle doit de facto (en raison des
insuffisances des banques) ou de jure (lorsque le droit met fin aux
monopoles) accroit, mécaniquement, le rôle des entités
de shadow banking. C'est la raison pour laquelle le régulateur
envisage conjointement la question de la libéralisation et celle de la
règlementation des entités nouvellement créées. En
pratique, la règlementation applicable aux entités de SB
françaises est surtout d'origine européenne, l'Union ayant
décidé, avant même de libéraliser les monopoles, de
s'attaquer aux entités pouvant, déjà, intervenir sur le
marché du financement sans heurter les monopoles bancaires et qui
prennent une importance croissance face au crédit bancaire
(Chapitre 1er). Elle est aussi d'origine nationale
dans la mesure où le règlement CRR a obligé la France
à instaurer une nouvelle forme d'établissement financier
non-bancaire fournissant du crédit, qu'il a fallu réguler
(Chapitre 2).
Chapitre 1er : Réglementation européenne
des entités du shadow banking
Avant même de songer au démantèlement du
monopole bancaire français, l'UE était consciente de l'existence,
au sein du marché unique, d'entités qui, bien que ne fournissant
pas des crédits au sens juridique du terme, fournissaient des services
analogues à ceux des banques. Ainsi, elle a entrepris de réguler
un certain nombre de ces entités. En conséquence, cela a
impacté les entités françaises de shadow banking,
que celles-ci soient déjà exemptées du monopole bancaire
ou non. Nous verrons ainsi, brièvement, les règlementations
applicables aux OPCVM, aux fonds d'investissement alternatifs, et celle devant
intervenir en matière de fonds monétaires.
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L'intervention sur les marchés financiers à
travers les différentes structures d'OPCVM expose les investisseurs
à des risques de plusieurs natures151, notamment le risque de
marché152, le risque de contrepartie153, le risque
de liquidité154.
Afin d'encadrer ces risques, les autorités ont
défini des règles de base 155qui délimitent la
composition des actifs. Ces actifs doivent répondre à des
critères d'éligibilité. Les risques liés aux actifs
composant le portefeuille des OPCVM sont mesurés par plusieurs types de
ratios. Ces ratios s'appliquent aux différentes catégories
d'OPCVM avec des contraintes plus ou moins souples en fonction des
investisseurs auxquels ils sont destinés. On peut ainsi citer l'exemple
du ratio de risque global dont l'objectif est limiter le risque de
marché et de contrepartie sur contrats financiers ou instruments
financiers à terme du fait de l'amplification possible par l'effet de
levier. Ce ratio a pour objectif de s'assurer que l'OPCVM est à tout
moment en mesure de répondre à ses engagements. Il vérifie
que le risque global lié aux contrats financiers n'excède pas la
valeur nette totale du portefeuille156. Il existe également
le ratio de composition des actifs 157et le ratio
émetteurs158.
Ainsi, la gestion collective constituée sous forme
d'OPCVM est relativement bien encadrée ; mais tel n'est pas le cas des
fonds d'investissement alternatifs, ce qui a pu jouer un rôle dans la
crise de 2008 car les actifs gérés par ces fonds
représentent des montants d'une telle importance qu'ils peuvent
influencer le cours du marché et permettre la propagation des
risques159. Or, ces fonds étaient relativement peu
surveillés. C'est désormais moins le cas avec l'adoption de la
directive dite « AIFM » pour « Alternative investment fund
management »
151 V. art. 313-53-3 RGAMF
152 Risque de perte pour l'OPCVM
résultant d'une fluctuation de la valeur de marché des positions
détenues imputable à une modification de variable du
marché telles que les taux d'intérêt, les taux de change,
les cours d'actions et de matières premières, ou à une
modification de la qualité de crédit d'un émetteur
153 Risque de défaillance de la
contrepartie, l'une des parties pouvant faire défaut à l'une de
ses obligations présentes ou futures, conditionnelles ou occasionnelles
(retour des titres mis en pension, versement des intérêts, etc.)
avant que l'opération ait été réglée de
manière définitive. La qualité de l'émetteur peut
influer sur sa solvabilité
154 Risque qu'une position, dans le
portefeuille de l'OPCVM, ne puisse être cédée,
liquidée ou clôturée pour un coût limité et
dans un délai suffisamment court, compromettant ainsi la capacité
de l'OPCVM à se conformer à tout moment aux dispositions qui
prévoient que les parts ou actions doivent pouvoir être
rachetées
155 Directive 2009/65/EC on the coordination of laws,
regulations and administrative provisions relating to undertakings for
collective investment in transferable securities (UCITS). This directive
replaces the previous UCITS Directive 85/611/EEC.
156 Il mesure le risque de perte en cas d'évolution
défavorable des conditions de marché. La méthode de calcul
(calcul de l'engagement ou calcul de la valeur en risque) est fonction de la
stratégie de gestion et de la nature des contrats financiers
détenus en portefeuille.
157 L'objectif est de limiter les risques de marché et
de liquidité en fixant des seuils par nature d'opérations et
d'instruments financiers (afin de permettre la diversification des
émissions)
158 L'objectif est de limiter le risque de marché ou de
crédit et de contrepartie ou sur une même entité par la
diversification des contreparties
159 Op.cit. GRANIER T., et al.
in « Les fonds d'investissement », Lamy, Axe Droit, Janvier
2014
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même si, selon un auteur160, cette directive
ne vise pas l'activité des fonds et se contente de régir le
capital et les fonds propres. La directive AIFM 161vise à
imposer des exigences communes en matière d'agrément et de
surveillance des gestionnaires de FIA afin d'établir une approche
cohérente quant aux risques liés aux activités de ces
fonds et à leur incidence sur la stabilité
financière162. Le champ d'application de la directive est non
pas les FIA mais les gestionnaires de FIA : ainsi, les règlementations
relatives aux investissements des FIA ainsi que la définition de ce que
recouvre cette catégorie relèvent du droit national. Comme elle
l'indique à son article 1er, la directive se borne à
prévoir des règles en ce qui concerne l'agrément,
l'activité et la transparence des gestionnaires de FIA. On peut
s'interroger sur la pertinence de cette directive en termes prudentiels et en
termes de stabilité économique car elle ne vise pas les
activités des FIA ni ne les définit de façon
précise.
Ce caractère inabouti de la directive AIFM est analogue
au domaine des fonds monétaires qui ne sont pas encore
règlementés, bien qu'ils présentent des risques
spécifiques à leur activité tournée vers le
marché monétaire et les instruments financiers à
court-terme, ce qui rapproche ces entités de banques : elles collectent
des quasi-dépôts et font des quasi-prêts, bien que
juridiquement s'agisse de gestion collective et non pas de
crédit163. Pourtant, ces fonds présentent des risques
particuliers que la proposition de règlement européen
164reprend.
Les fonds monétaires sont un instrument commode pour
les investisseurs en raison de leurs similitudes avec les dépôts
bancaires: accès instantané aux liquidités et
stabilité relative de leur valeur. Compte tenu de ces
caractéristiques, les investisseurs considèrent les fonds
monétaires comme un substitut sûr et plus diversifié aux
dépôts bancaires. Pourtant, les fonds monétaires sont des
fonds de placement classiques, soumis aux risques de marché
inhérents à tout fonds. Ainsi, lorsque le cours des actifs dans
lesquels les fonds monétaires sont investis
160 Op.cit BONNEAU T., «
Régulation bancaire et financière européenne et
internationale », p148, n°223, Bruylant, 2013
161 Directive 2011/61/UE du Parlement
européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds
d'investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et
2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n ° 1060/2009 et (UE) n
° 1095/2010 Texte présentant de l'intérêt pour
l'EEE
162 Contrairement à la directive OPCVM qui
règlemente à la fois les produits de la gestion collective (les
fonds) et les acteurs de la gestion collective (société de
gestion, dépositaire), la directive AIFM est essentiellement une
directive « acteurs » qui harmonise la législation applicable
aux gestionnaires. Cette différence d'approche apparait surprenante dans
la mesure où les dispositifs OPCVM et AIFM devraient se compléter
pour couvrir l'ensemble des OPC, or, ici, le parallélisme n'est pas
total.
163 En Europe, quelque 22 % des titres de
créance à court terme émis par des administrations ou par
des entreprises sont aux mains des fonds monétaires, lesquels
détiennent par ailleurs 38 % des créances à court terme
émises par le secteur bancaire
164 Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT
EUROPÉEN ET DU CONSEIL sur les fonds monétaires /* COM/2013/0615
final - 2013/0306 (COD)
95
se met à baisser, en particulier en période de
tension sur les marchés, la promesse faite aux investisseurs de
rembourser immédiatement les parts ou actions émises et d'en
préserver la valeur ne peut pas toujours être tenue. Si certains
sponsors de fonds (surtout les banques) ont les moyens de soutenir, le cas
échéant, la valeur des parts, d'autres (surtout les gestionnaires
d'actifs) ne disposent pas nécessairement de capitaux suffisants pour le
faire. En raison de l'asymétrie des échéances entre la
liquidité quotidienne qu'un fonds monétaire offre aux
investisseurs et la liquidité des actifs détenus dans son
portefeuille, le remboursement immédiat risque de n'être pas
possible à tout moment. La promesse de stabilité des prix de
remboursement est souvent doublée d'une note AAA. Il est à
craindre, toutefois, que les investisseurs, dès qu'ils sentent qu'un
fonds monétaire risque de faillir à sa promesse de
liquidité et de stabilité permanentes, demandent le remboursement
et provoquent, partant, un désengagement massif (les «
runs »).
Les désengagements massifs se caractérisent par
des demandes de remboursement soudaines et de grande ampleur émanant de
groupes importants d'investisseurs désireux d'éviter les pertes
et d'obtenir un remboursement au prix le plus élevé. Ils
présentent une importance systémique car ils forcent les
fonds monétaires à vendre leurs actifs à bref délai
pour répondre aux demandes de remboursement à satisfaire. La
spirale des remboursements accélère pour sa part la baisse de la
valeur liquidative (VL) du fonds, dont la régression se trouve
dès lors démultipliée, de même que s'intensifient
les craintes d'instabilité pesant sur le marché monétaire
dans son ensemble. Du fait que les fonds monétaires jouent un rôle
déterminant dans le financement à court terme d'entités
telles que les banques, les entreprises ou les administrations, les
désengagements massifs dont ils font l'objet peuvent avoir des
conséquences macroéconomiques plus étendues.
En conséquence, la proposition de règlement
préconise l'instauration de normes communes pour accroître la
liquidité des fonds monétaires et assurer la stabilité de
leur structure. Des règles uniformes seront établies pour
garantir un niveau minimal de liquidité à un jour et à une
semaine. Des principes normalisés seront arrêtés pour
permettre au gestionnaire de fonds de mieux connaître sa clientèle
d'investissement. Des règles communes garantiront en outre que les fonds
monétaires investiront dans des actifs de grande qualité et bien
diversifiés jouissant d'une bonne qualité de crédit. Ces
mesures doivent garantir que le fonds présente une liquidité
suffisante pour faire face aux demandes de remboursement des investisseurs. La
stabilité des fonds monétaires sera assurée par la
création de règles claires et harmonisées pour la
valorisation des actifs dans lesquelles ils investissent. Ces règles de
valorisation consacreront une évidence, à savoir que les fonds
monétaires sont des fonds de placement
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normaux, dont les actifs sont soumis aux fluctuations des
cours. Outre ces dispositions, une règle commune en matière de
notation garantira que les gestionnaires de fonds et les investisseurs cessent
de s'en remettre à des notations externes du crédit qui
pourraient nuire au fonctionnement du marché monétaire en cas de
dégradation. Ces mesures seront accompagnées d'exigences de
transparence renforcées afin que l'investisseur soit correctement
informé du profil de risque et de rendement de son investissement.
s?
L'ensemble de ces règles (OPCVM, FIA, fonds
monétaires) ont vocation à s'appliquer, en France, à des
entités qui certes appartiennent au domaine du shadow banking,
mais qui peuvent exercer leurs opérations sans nuire au monopole
bancaire : soit qu'elles en soient exemptées au sens de l'article L511-6
du code monétaire et financier pour certaines de leurs activités,
soit que leur activité ne tombe pas sous le coup de l'interdiction. Pour
autant, à cette règlementation européenne vient s'ajouter
une règlementation cette fois purement nationale. Elle concerne, en
effet, les sociétés de financement, entités de shadow
banking nouvellement introduites en droit français et ne
correspondant ni à la qualification d'OPCVM, ni à celle de FIA,
pour la raison suivante : il ne s'agit pas de gestion collective mais bien
d'activité de crédit.
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