Section 2 : L'effectivité du marché
intérieur en matière financière
103 BOUTHINON-DUMAS H., « La directive sur les
services de paiement et la concurrence entre les établissements de
paiement et les banques » in RTD Com 2009 p59.
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L'adoption de la deuxième directive bancaire de
coordination du 15 décembre 1989104, transposée en
droit français par la loi n°92-665 du 16 juillet 1992 a
été l'étape essentielle, dans le domaine bancaire, de la
réalisation d'un véritable marché bancaire européen
unique. Il s'agissait d'abord de rendre effectives, en matière
d'établissements bancaires, les libertés d'établissement
et de libre prestation de service contenues dans le traité de Rome de
1957 car subsistaient des obstacles tenant notamment à l'absence de
définition commune. Si la directive de 1977 a harmonisé, a
minima, les définitions, la directive de 1989, quant à elle,
vient parachever les avancées en instaurant le principe de
reconnaissance mutuelle des agréments105. Ce principe est
repris, plus tard, dans la directive n°2000/12 106qui indique
en son article 18 que, en matière d'établissements de
crédit, les Etats membres doivent prévoir « que les
activités mentionnées à l'annexe 1 puissent être
exercées sur leur territoire tant au moyen de l'établissement
d'une succursale que par voie de prestation de service par tout
établissement de crédit agréé et
contrôlé par les autorités compétentes d'un autre
Etat membre, sous réserve que ces activités soient couvertes par
l'agrément ». Cette disposition témoigne de la
percée du principe de reconnaissance mutuelle en matière
bancaire. L'arsenal législatif adopte un régime qui va plus loin
que les simples libertés d'établissement et de prestation de
service du traité de Rome (en quelque sorte, le droit commun du
marché intérieur). En effet, il instaure un régime de
droit spécial appelé « passeport européen » et
qui prévoit un régime encore plus favorable dans le but de
remédier rapidement et efficacement aux obstacles à
l'édification d'un marché bancaire unique au niveau
européen. Le législateur européen considère que la
clef de l'achèvement d'un tel marché est d'une part l'adoption de
principes de base relatifs à l'agrément (fonds propres,
actionnariat etc.) communs à tous les pays et d'autre part la
reconnaissance mutuelle. Ainsi, un établissement de crédit n'a,
en théorie, plus besoin d'obtenir un agrément pour exercer ses
activités s'il décide d'installer une succursale dans un autre
Etat membre.
Cependant, tout séduisant qu'il soit, ce modèle
souffre des lacunes inhérentes à l'harmonisation minimale et
à la reconnaissance mutuelle. En effet, il existe, encore, des
divergences entre les Etats membres qui ne peuvent être efficacement
palliées par la reconnaissance mutuelle. D'abord, la directive fixe une
liste des opérations de banque
104 Deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15
décembre 1989, visant à la coordination des dispositions
législatives, réglementaires et administratives concernant
l'accès à l'activité des établissements de
crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE
105 PELTIER F., FERNANDEZ-BOLLO E., « Structures,
réglementation, et contrôle public des professions bancaires ;
structures et conditions d'accès » in JCl Banque,
crédit, bourse, Cote 08,1997.
106 Directive 2000/12/CE du Parlement européen et du
Conseil du 20 mars 2000 concernant l'accès à l'activité
des établissements de crédit et son exercice
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pouvant entrer dans le champ de l'agrément et de la
reconnaissance mutuelle. Pour autant, certains Etats retiennent une conception
différente de la liste des opérations de banque, de sorte que
certaines activités comprises dans le champ de la reconnaissance
mutuelle au niveau européen ne peuvent, dans certains Etats, être
exercées, ce qui diminue d'autant l'efficacité du
mécanisme. De même, et c'est ce qui nous occupe, l'existence d'un
monopole national en faveur des établissements de crédits est de
nature à engendrer le même type de conséquences. En effet,
il demeurait, avant 2013, des divergences entre les Etats membres au sujet de
leur définition de l'établissement de crédit. Cette
divergence est de nature à faire obstacle, indirectement, à
l'effectivité du passeport européen car elle est distorsive
de concurrence.
En retenant une définition de l'établissement de
crédit plus large que la directive de 2006, la France (mais aussi
l'Allemagne) maximisent les chances pour leurs établissements de pouvoir
se tailler une part de marché importante à l'étranger en
établissant des succursales, en ce sens que les établissements
français et allemands qui, sans collecter l'épargne du public,
réalisent tout de même des opérations de crédit
(crédit-bail, affacturage, garanties, organismes de crédit
spécialisés dans les prêts immobiliers ou
hypothécaires), peuvent bénéficier du régime du
passeport européen dans la mesure où la seule activité de
crédit Ð mentionnée dans la liste des opérations de
banque entrant dans le champ de la reconnaissance mutuelle, selon la directive
Ð suffit à caractériser, en droit national, l'existence d'un
établissement de crédit, seul à pouvoir
bénéficier du régime du passeport européen. En
revanche, les Etats ayant retenu l'exacte définition européenne
souffrent d'un manque à gagner en ce sens que, en liant la
qualité d'établissement de crédit à la collecte des
dépôts et à la fourniture de crédit, ils excluent
d'une telle qualification tous les organismes fournissant des opérations
de crédit sans collecter les dépôts ; de sorte que de tels
établissements, comme ils ne constituent pas des établissements
de crédit au sens de leur droit national, ne peuvent, alors,
bénéficier des largesses du régime du passeport
européen de la directive de 1989. Ces organismes, en l'absence de texte,
ne pourront donc pas installer une succursale dans un autre Etat membre
grâce au régime du passeport, ce qui représente, pour eux,
un manque à gagner certain par rapport à leurs homologues
étrangers qui, eux, bénéficient de la qualification d'EC.
Pour prester leurs services dans un autre Etat, ces derniers ont alors le choix
entre d'une part solliciter, auprès d'un Etat comme la France,
l'agrément d'établissement de crédit (ce qui les
contraindrait à de lourds aménagements) ou à utiliser le
droit commun du marché intérieur et la libre prestation de
service ou liberté d'établissement du traité de Rome, dont
le régime est moins avantageux
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(voir infra) que le passeport. Certes, la seconde
directive de coordination bancaire107 transposée dans la loi
bancaire de 1984 par une loi de 1992 108 prévoyait, avec la
création du statut d'établissement financier, la
possibilité pour des établissements d'un autre Etat membre, non
agréés en tant qu'EC mais fournissant des services de
crédit, de bénéficier du régime du passeport
européen pour s'installer en France, mais l'article 71-8 de la loi
bancaire (tout comme la directive) précisait que cette
possibilité n'était réservée qu'aux
établissements filiales à au moins 90% d'un EC, ce qui
était restrictif pour les entités non bancaires non filiales d'EC
qui prestaient du crédit et ne pouvaient obtenir le
bénéfice du passeport européen pour les
établissements financiers.
Ces exemples sont symptomatiques des limites de
l'harmonisation minimale ; d'autant qu'ils aboutissent, dans les faits,
à avantager les Etats ayant décider de s'écarter de la
définition communautaire au détriment des Etats qui ont fait le
choix de suivre cette même définition, ce qui est à tout le
moins paradoxal. Au résultat, c'est une réelle concurrence
déloyale qui s'exerce et qui empêche l'achèvement,
l'unification, d'un marché bancaire européen. Dès lors,
l'harmonisation maximale a été l'approche encouragée par
le rapport de Larosière et finalement choisie par le législateur
européen de 2013 dans le règlement CRR I. Reste à voir si
cette harmonisation a véritablement mis fin à la fragmentation du
marché bancaire européen.
Les objectifs de l'Union européenne en matière
financière exposés précédemment ont
été les fils conducteurs d'une série de réformes
successives entamées depuis le début des années 2000 et
visant à unifier, à intégrer le marché
intérieur en matière bancaire et à rendre effectives les
libertés du Traité. L'Union européenne a ainsi peu
à peu démantelé certains segments contenus dans la liste
française des opérations de banque, modifiant ainsi les contours
du monopole bancaire français.
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