XXIV. II-6-2-2. Dimension socioculturelle
La fin des années 1960 marque une rupture qui se
traduit potentiellement par une nouvelle vision du concept et des pratiques de
développement. La prise de conscience des imperfections des
modèles de développement axés sur l'économisme, le
productivisme et le technicisme au détriment des véritables
besoins humains et sociaux et des aspirations des populations a imposé
une reconceptualisation des approches développementalistes et
subséquemment, une redéfinition du concept de
développement. À la floraison de stratégies
technocratiques de développement économique des années
1960,succède dans les années 1970 l'inflation des recettes du
développement humaniste. Comme le constata S. LATOUCHE (1986),le
développementétait devenu la projection du désir et du
délire du Tiers Monde, toutes les constructions possibles pourraient
s'abriter désormais derrière ce concept qui, vidé de son
contenu réel/rationnel, perd toute rigueur et devient le point de mirage
de toutes les aspirations.
Ainsi, le concept de développement, en intégrant
le social et l'humain, subit une véritable révolution
sémantique et fait intégrer l'expression des valeurs culturelles
des civilisations issues de l'histoire et des situations sociales
spécifiques. Tous ces qualificatifs associés à la notion
de développement ont pour but de concilier la croissance et le
bien-être social, participant à la structuration du champ
idéologique du développement et concourant subséquemment
à la prise en compte par le concept des nouvelles dimensions qu'ils
véhiculent. Cependant, pour illustrer la dimension socioculturelle du
concept qu'il s'agit ici de mettre en évidence, nous faisons appel au
concept des «besoins fondamentaux» pour rendre compte des
aspects sociaux proprement dits et à la variante «dimension
culturelle du développement».
La persistance de l'analphabétisme et de la
pauvreté dans les pays de la périphérie et surtout leur
incapacité de prendre en main leur développement nonobstant la
croissance brute de leur économie, fit émerger une nouvelle
conceptualisation de la notion de développement qui, pour concilier la
croissance et la justice sociale, intègre dans son champ la satisfaction
des besoins essentiels des populations des pays du Sud. Cette nouvelle approche
dite des «besoins fondamentaux» consiste essentiellement
à exhorter les gouvernements des pays de la périphérie
à se préoccuper davantage des besoins humains essentiels,
c'est-à-dire à améliorer la nutrition, le logement, la
santé, l'éducation et l'emploi de leurs populations. La Banque
Mondiale et l'OIT en ont fait d'ailleurs au cours des années 1970, le
fer de lance de leurs stratégies de développement et les valeurs
que cette approche véhicule traduisent bien la nécessité
de la prise en compte du «social» comme l'une des variantes
dimensionnelles incontournables du concept de développement.
Parallèlement à ce vaste débat s'ajoute la notion du
«développement culturel» qui est venue élargir
le contenu de l'appareil conceptuel dégagé par la
communauté internationale au cours des années 1970, notamment
dans le cadre des conférences intergouvernementales sur les politiques
culturelles organisées par l'UNESCO ou avec sa collaboration.
Le développement culturel, vite transformé en
dimension culturelle du développement, est né de
l'incapacité des modèles dedéveloppement
ethnocentriques à dialoguer avec d'autres conceptions du monde.
Dans le même ordre d'idées, MBONJI, E (1988),
pense que les cultures locales sont appelées au secours de la
réalisation des projets conçus sans elles mais destinées
à leurs populations. Ce n'est que lorsqu'on a compris que le
développement ne sortira pas des conférences mais des hommes, que
l'on a commencé à les étudier.
Un peu plus tard,MBONJI, E (2005),affirme qu'il importe
donc de tenir compte de ces hommes, leurs traditions, de leurs systèmes
de valeurs, autrement le développement ne passera pas. Rythmant ainsi
ses joies et ses peines, ces traditions manifestent l'esprit d'un peuple. Elles
lui ont permis de conserver son identité devant les agressions
extérieures. Mais du même coup, elles rendent le changement
nécessaire encore plus difficile, car les réticences ou les refus
s'appuient sur des raisons qui dépassent la simple raison.
De toute évidence, il a fallu trouver une formule pour
promouvoir un développement à visage culturel qui n'est
d'ailleurs pas une chirurgie facile à opérer. Cette
problématique relative à la dimension culturelle du
développement a fait l'objet d'une production écrite foisonnante
au cours des années 1980. En mettant en évidence la nature
dialectique des rapports qui lient la culture au développement, cette
notion a fortement contribué à la prise de conscience mondiale du
rôle primordial de la culture dans les processus de développement
ainsi que des effets de la modernisation sur les cultures. Qui plus est,
l'émergence de cette dimension a permis de mettre en évidence les
échecs et les dégâts culturels causés par les
modèles uniquement fondés sur la croissance économique.
Elle a fait mesurer, le coût économique, social et humain de la
non prise en compte des spécificités socioculturelles telles le
rapport à la nature, à l'espace, au temps, au travail, à
l'argent et plus encore, le sens donné à la vie et à la
mort.
L'évolution de toute société est un
processus éminemment culturel, la culture doit être coextensive au
développement car elle est cet élément dynamique
fondamental qui donne aux groupes et aux sociétés la force de
freiner ou au contraire de provoquer le changement social. La culture d'un
peuple est la résultante dynamique de l'interaction souvent dialectique
entre l'homme et le milieu environnant dans lequel il vit et évolue.
C'est le génie d'un peuple et son art dans la recherche du
progrès et du bonheur; donc un lieu de globalité où toute
initiative de développement doit nécessairement se
référer.
Dans ce contexte où la promotion d'un
développement endogène et intégral s'est imposée
comme une nécessité, la dimension culturelle du
développement est devenue un leitmotiv incontournable. Celle-ci se
présente indiscutablement comme un facteur déterminant voire
structurant dans l'orientation fondamentale du développement,
conditionnant le type, le style de développement et même les
modalités de son application. Subséquemment, elle s'insère
de façon explicite dans le contenu sémantique du concept de
développement et participe potentiellement aux formulations
définitionnelles qui lui sont consacrées.
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