§5. La gestion de l'interdépendance
transnationale
Robert L. Bartley, du Wall Street Journal, n'est pas
loin de Krauthammer lorsqu'il traite du rôle des Etats-Unis dans un monde
de plus en plus interdépendant. Il faut, selon lui, travailler non pas
à un gouvernement mondial mais à ce que le monde évolue
pas à pas vers une plus grande unité, surtout sur le plan
économique, comme on le voit en Europe avec la Communauté
européenne. Il faudra un nouveau Bretton Woods et une amplification des
accords forgés au sein du G-731.
La gestion de l'interdépendance transnationale par les
Etats-Unis semble un des thèmes majeurs de l'internationalisme
triomphant. Pour Joseph Nye, cela doit se faire par des instruments
variés comme le GATT, le Fonds monétaire international, le
Traité de non-prolifération nucléaire, l'Agence
internationale de l'énergie atomique32. Pour lui aussi
cependant, la guerre du Golfe a renversé l'idée que la puissance
économique s'était désormais substituée à la
puissance militaire.
L'Amérique conserve, en matière de puissance,
une gamme de ressources plus vaste que celle de n'importe quel autre pays. Elle
dispose en particulier des atouts de la puissance "dure" et de ceux de la
puissance "douce". La première est la capacité de commander
à autrui, en se servant de moyens matériels comme la force
militaire ou la force économique. La seconde est la capacité
d'obtenir la coopération des tiers plutôt que leur
obéissance, en les amenant à faire ce qui demandé. Elle
est associée à des ressources immatérielles comme la
culture, l'idéologie et le recours aux institutions internationales.
29Charles Krauthammer, «Universal Dominion»,
America's Purpose..., pp. 9-11.
30»... the common marketization of the
world» (Ibid., p. 1Q). Francis Fukuyama, «The End of History ?»,
The National
Interest,n° 16, été 1989, pp. 3-18
31Robert L. Bartley, «A Win-Win Game»,
America's Purpose...,pp. 76-77.
32Joseph S. Nye, Jr., Bound to Lead, New York, Basic
Books, 1990.
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Dans la crise du Golfe, il était capital d'acheminer
rapidement des troupes en Arabie Saoudite, mais il était tout aussi
important d'obtenir des Nations Unies une résolution condamnant
l'intrusion de l'Irak au Koweït comme une violation du droit
international33. Pour Joseph Nye, les Etats-Unis ne doivent pas
être les gendarmes du monde si l'on précise : "à eux
seuls". Les Etats-Unis doivent prendre la tête de la communauté
internationale car le monde est confronté aujourd'hui à des
problèmes transnationaux. "Gérer l'interdépendance",
voilà la principale raison pour laquelle l'Amérique doit
s'employer à assurer le leadership mondial et en faire le noyau de sa
politique étrangère.
L'Amérique peut alors devenir le "grand
arrangeur"34. Le concept évoque d'une part un rôle
d'arbitre bienveillant ou d'"honnête courtier" et, d'autre part, le jeu
traditionnel de la Grande-Bretagne qui, aux XVIIIe et XIXe siècles,
tenait la balance de l'équilibre en Europe. Il y eut d'autres grands
arrangeurs dans l'histoire : l'Athènes des guerres médiques
jusqu'à la veille de la guerre du Péloponnèse, quand sa
prééminence se mua en impérialisme ; la papauté des
XIIe et XIIIe siècles ; l'Autriche de 1812 à 1818.
Le signe distinctif du grand arrangeur est sa capacité
à faire correspondre ses intérêts nationaux avec ceux
d'autres Etats et avec les aspirations de la société
internationale. Dans un monde où les différentes
sociétés et le système international lui-même
évoluent dans des directions nouvelles, les Etats-Unis devront arriver
à "gérer" le changement et l'instabilité de façon
à ce que les valeurs et les intérêts américains
essentiels ne soient pas lésés. Chez certains analystes, la
gestion de l'interdépendance transnationale peut prendre des formes plus
précises encore.
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