§5. Une action renforcée
L'action de l'ONU doit être formée du triptyque
développement durable / prévention / culture de paix, lequel doit
être inséré dans une conception élargie de la
sécurité internationale et dans une vision à long terme.
Comme l'a dit Boutros Boutros-Ghali, l'ONU doit développer "une action
préventive afin de mieux maîtriser le présent, et une
action prospective afin de mieux assumer l'avenir."
Le développement est l'élément le plus
indispensable pour assurer une paix durable; c'est " la tâche
la plus importante à laquelle l'humanité doit faire face
aujourd'hui ". Ce développement doit être avant tout centré
sur l'homme. Il doit aussi respecter son environnement, et être reconnu
comme un droit fondamental de la personne humaine.
76
Aussi doit-il aujourd'hui bénéficier d'une plus
large compréhension intellectuelle, d'un engagement moral plus profond,
et de mesures politiques plus efficaces. Les gouvernements des pays les plus
riches sont d'ailleurs en train de constater que le "tout économique"
n'est pas la solution et qu'un effort doit être fait en direction des
pays les plus pauvres, ainsi d'ailleurs que des régions et des
catégories sociales les plus pauvres à l'intérieur
même des pays industrialisés).
C'est ce qui est ressorti du Sommet du G7 à Lyon qui a
exprimé la volonté d'établir un "partenariat mondial pour
le développement" entre les pays en développement, les pays
développés et les institutions multilatérales qui ayant
pour objectif principal le développement durable et la réduction
de la pauvreté, et devant être fondé sur un esprit de
solidarité, car "la paix chez soi (...) implique la paix au dehors et la
coopération entre les nations".
Au cours de ce sommet, les pays du G7 ont également
souhaité une réduction de la dette multilatérale des pays
les plus pauvres. Mais beaucoup reste à faire pour amener les pays
industrialisés à consacrer 0,7% de leur PNB à l'aide au
développement, alors même que cette part ne cesse de diminuer
depuis plusieurs années. Il faut pourtant rappeler avec force qu'une
économie développée offre davantage de
bénéfices en matière de partenariat, de commerce et de
stabilité économique (et donc politique) qu'une économie
en voie de développement. L'aide publique au développement ne
peut être complètement remplacée par l'aide ou les
investissements privés qui exigent de plus grandes garanties et sont par
conséquent trop sélectifs.
D'autre part, le développement ne se réduit pas
à une meilleure compétitivité économique et
technologique, mais signifie également et surtout un meilleur
bien-être des populations, c'est-à-dire de meilleures conditions
de vie, une meilleure éducation, de meilleures conditions sanitaires et
un plus grand respect de l'environnement.
C'est ainsi que le système des Nations Unies doit
mettre au point une stratégie cohérente de développement
pour une meilleure coordination entre ses institutions et entre celle-ci et les
Etats et les acteurs sur le terrain (ONG, associations, organisations
régionales) pour favoriser un meilleur aboutissement des projets.
En effet, " le développement durable a pour
préalable un partenariat solide entre les pouvoirs publics et la
société civile ". Ces projets doivent avant tout tenir compte des
aspirations des populations locales et les aider à se prendre en charge
et, ainsi, à favoriser l'émergence d'une société
civile.
Le problème de l'information est crucial pour l'ONU,
parce que l'information est à la base de toute action et que l'analyse
des données
77
En même temps, il faut pouvoir apporter à ces
populations tout ce qui, en matière d'avancée technologique, peut
leur être utile, être bénéfique à un
développement qui intègre les contraintes liées à
l'environnement (par exemple les problèmes de l'eau, de la
désertification, de la fertilisation des sols et de l'urbanisation).
Les pays du Nord doivent donc partager leur progrès
technologique, leur expérience et leur "expertise", ce qui, par
ailleurs, pourra, peut-être, limiter la fuite des cerveaux des
ressortissants du Sud.
En bref, il est primordial que les pays riches aident les pays
pauvres à développer leur propre potentiel économique,
technologique et humain. Ainsi, comme le dit Jean-Paul Marthoz, "le monde a
moins besoin d'ingérence humanitaire que de partage
planétaire".
Le deuxième pilier de l'action de l'ONU doit être
la prévention des crises et des conflits. Ainsi que le souligne
Gérard Fuchs, "la première forme de l'action doit être la
prévention". L'action en faveur du développement y participe
déjà en grande partie.
La diplomatie préventive (qui s'exerce notamment par
l'envoi préventif de "Casques bleus" comme cela s'est fait dans
l'ex-République yougoslave de Macédoine, des missions
d'établissement des faits, de bons offices ou de médiation) n'en
est qu'un aspect ou qu'un ensemble de méthodes.
Mais toutes deux s'inscrivent dans une conception
élargie de la sécurité internationale. Comme l'a dit
l'ancien Secrétaire général de l'ONU, "nous ne pourrons
véritablement prévenir les nouveaux conflits qui apparaissent de
toutes parts sur la scène internationale que si nous avons une
conception plus large et plus globale de la notion même de
sécurité."
En effet, la prévention ne se limite pas à la
maîtrise des armements, au règlement pacifique des
différends, au désarmement (notamment l'élimination de
l'emploi, voire de la fabrication, des mines antipersonnel), mais concerne
aussi la "sécurité économique", la "sécurité
sociale", la "sécurité culturelle".
La prévention est aussi et surtout liée à
la détention et à l'analyse d'une information indépendante
et interdisciplinaire, et à un changement radical dans la manière
de régler les événements, les crises, les
problèmes. Il faut d'une part privilégier le long terme
vis-à-vis de l'urgence et, d'autre part, retrouver " la capacité
de répondre aux alertes " et apprendre à " investir dans
l'intangible ".
78
conditionne le traitement de celles-ci. L'information doit
être non seulement indépendante, mais aussi précise que
possible, détaillée, non parcellaire ou fragmentée entre
différents services, et constamment actualisée.
L'ONU ne peut se contenter d'avoir à sa disposition les
données officielles de tel ou tel pays, au risque d'arriver parfois
à des conclusions hâtives ou erronées. Elle doit susciter
une analyse qui prenne en compte toutes les données d'un
problème, en détecte les racines profondes, et évite tout
stéréotype, jugement de valeur ou ethnocentrisme.
Ceci est fondamental si l'on veut garantir
l'objectivité de l'Organisation, développer sa fonction
d'expertise, et donner l'élan décisif à la création
d'un système d'alerte avancée ("early-warning system").
Le récolte d'informations diverses auprès de
multiples sources et par des missions sur le terrain permet
d'appréhender des situations souvent complexes, de comprendre les
sociétés et ainsi d'agir avant qu'un conflit n'éclate. Par
ailleurs, cette méthode de proximité renforcerait en même
temps le sentiment de sécurité des populations en question et la
crédibilité du travail des institutions onusiennes plus proches
des préoccupations et de l'histoire de ces populations. Dans ce travail
de récolte d'information, l'ONU doit, tout en tenant compte de l'avis
des Etats, ne pas être soumise à leur influence.
Cette action de prévention s'effectue sur le long
terme, par anticipation; elle n'est jamais achevée, doit être
constamment évaluée, et se doit d'être innovante. Elle doit
à la fois "concilier les valeurs universelles et le respect des
particularismes"207, et promouvoir l'idée de progrès
tout en combinant tradition et modernité.
Si la prévention est le deuxième volet de la
construction de la paix, la promotion d'une "culture de paix" en est le
troisième. Elle est en outre le moyen le plus efficace de s'attaquer
à la "culture de violence" ambiante, car elle touche aux comportements,
aux idées reçues, au manque de communication, à
l'intolérance. Contrer la "culture de violence", c'est rendre
illégitime les rapports de force, l'utilisation de la force pour
régler les différends et les comportements violents.
Au contraire, la "culture de paix", c'est la gestion
non-violente des crises et des conflits, c'est la mise en place de
procédures démocratiques et de respect des droits fondamentaux de
la personne, c'est la participation de toutes les strates de la
société à un dialogue constructif.
207 Michel Wieviorka, Le Monde, 8 octobre 1996.
79
En bref, c'est la construction d'un "cadre de justice, de
dignité, d'égalité et de
solidarité".208 La culture de paix est un
concept qui prend en compte la place des individus dans la construction
quotidienne de la paix. En ce sens, c'est, ainsi que Norbert Ropers l'a dit, un
"défi transnational" qui est fondé sur les principes de
solidarité, de liberté et de tolérance.
Pour toutes ces actions, l'ONU doit devenir un cadre
régulateur international qui a un rôle de moteur, qui focalise les
énergies autour d'aspirations économiques, sociales, culturelles
clairement établies et gérées à un rythme
raisonnable et modéré.
Ainsi, la mondialisation des échanges commerciaux,
financiers, technologiques, culturels ne sera plus un obstacle ou un facteur
d'exclusion, mais un atout partagé par tous. Cette coordination des
forces de la mondialisation doit aller de pair avec la protection de
l'héritage culturel de chacun et du patrimoine humain mondial, et avec
la préservation de la diversité pour une plus grande
tolérance et une meilleure intégration. Ces actions doivent
être le fruit d'un mode de fonctionnement adéquat et d'un
leadership plus autonome.
|