§3. Une réforme structurelle
Depuis que la question de la réforme des Nations Unies
est étudiée et envisagée, c'est-à-dire depuis
déjà les années 50185, trois courants de
pensée principaux ont prévalu: un courant réformiste qui
souhaite une "revitalisation", une "rationalisation" de l'Organisation à
l'intérieur du cadre fixé par la Charte; un courant plus hostile
qui va dans le sens d'une ONU réduite au strict minimum (courant
notamment représenté par la frange anti-ONU du Parti
républicain américain et, en particulier par le Président
de la Commission des affaires étrangères du Sénat, M.
Jesse Helmes186); un courant radical qui préconise le
remplacement de l'actuelle ONU par une "Organisation de la 3ème
génération" (thèse soutenue par Maurice
Bertrand187).
Ces courants ont plus ou moins d'impact sur le plan
international en fonction du contexte dans lequel ils évoluent, des
intérêts qu'ils remettent en cause et des changements qu'ils
impliquent, mais tous posent de façon aiguë le problème de
l'adaptation de l'Organisation aux nouveaux défis globaux et au nouveau
contexte international à l'aube du XXIème siècle.
Comment l'ONU peut-elle s'adapter pour ne pas apparaître
comme une organisation du passé, pour être en phase avec les
aspirations des populations de ce monde, avec les possibilités d'action?
La réponse à ces questions doit
183 Bruce Russett, "Ten Balances for Weighing UN
ReformProposals", Political Science Quarterly, 111(2), été 1996,
p. 259269.
184ZakiLaïdi, "La mondialisation tue-t-elle
l'universel?", Sources UNESCO, n°79, mai 1996.
185 Selon Yves Daudet, "la question de la réforme de
l'ONU est aussi ancienne que la Charte elle-même dont les
premières propositions de révision ont été
présentées dès 1946.", Etat du monde, 1995, p. 608.
186Voir son article: "Saving the U.N.: A Challenge
to the Next Secretary-General", Foreign Affairs, 75(5), septembre/octobre 1996,
pp. 2-7. Voir son article: "Saving the U.N.: A Challenge to the Next
Secretary-General", Foreign Affairs, 75(5), septembre/octobre 1996, pp. 2-7.
187 Voir Maurice Bertrand, La fin de l'ordre militaire, 1996,
Paris, Presses de la FNSP; et Daniel Warner (dir.), A New Charter for a
Worldwide Organisation, 1996, La Haye, MartinusNijhoff.
68
aussi s'accompagner d'une connaissance et d'une vision
réaliste de la nature du système des Nations Unies et de ses
acquis.
Aux esprits critiques qui la jugent inutile, rappelons que
l'ONU a fait un travail considérable. Qu'il suffise d'évoquer
l'extension du droit international, le travail de délégitimation
de la guerre entre les Etats, l'action en faveur de meilleures relations
interétatiques par le biais de la diplomatie multilatérale, ou la
prise en compte des problèmes des plus démunis, ou le bilan dans
la sphère des droits de l'homme -- conçus au sens large et
incluant par conséquent la promotion des droits de l'enfant, de la
femme, des minorités, des populations autochtones, ou des
réfugiés. De toute évidence, l'Organisation ne peut
être tenue pour responsable de l'indécision des Etats qui la
composent, de leur manque de volonté politique et de leurs erreurs.
Rappelons également que l'ONU n'est pas un acteur
indépendant ou autonome des relations internationales au même
titre que le sont les Etats: la supranationalité qu'elle revendique ou
qu'on lui attribue demeure en fait théorique.188 L'ONU n'est
pas un gouvernement mondial, mais un système de coopération entre
Etats.189
C'est une organisation intergouvernementale dont le pouvoir de
décision se trouve entre les mains de ses Etats membres, et notamment
entre celles de ses membres les plus puissants composant le Conseil de
sécurité. Ainsi l'Organisation n'a pas de ressources
financières propres, mais un budget constitué par les
contributions des Etats, et le chef de l'Organisation, le Secrétaire
général, est proposé par les membres du Conseil de
sécurité à l'Assemblée générale qui
l'élit en dernier ressort.
"L'ONU est la fille des Etats, et une fille mal aimée.
Dotée d'instruments pour agir, elle n'est pas jugée digne de les
utiliser. On lui confie le maintien de la paix, mais elle doit y veiller dans
le respect de la "compétence nationale" des Etats membres. On l'accuse
d'être passive, inefficace, voire contre-productive, mais on la prive des
moyens financiers pour remplir sa mission.
Plus grave: les grandes puissances la considèrent comme
universelle, mais lui interdisent de s'occuper des questions qui les concernent
de près et qui, plus que d'autres, font peser une menace sur la
sécurité internationale. C'est pourquoi les critiques contre
l'ONU sonnent aussi faux que celles qui sont parfois adressées à
la presse: elles relèvent moins d'un jugement objectif
188 The United Nations remains, first and last, simply an
organisation of member states, with little or no independent power, and with
its ultimate effectiveness dependent on the unity of the major powers", George
Soros (président), "American National Interest and the United Nations",
Statement and Report of an Independent Task Force on the United Nations,
août 1996, p. 3.
189 "The Charter was not, is not and will not be a blue-print
for an embryonic World Government. It is a set of purposes and guidelines
governing the functioning of a voluntary association of member states." Anthony
Parsons, The Security Council: An Uncertain Future, Occasional Paper #8,
novembre 1994, Londres, p. 13.
69
que de l'inculpation d'un organe qui ne veut pas -- ou
n'arrive pas à -accomplir la première des tâches que les
puissants lui assignent: dissimuler les hésitations, les contradictions
ou simplement la lâcheté des gouvernements."190
Il faut bien distinguer la nature de l'Organisation de ses
fonctions. Ainsi, celles-ci peuvent l'amener, dans certains cas, à
apparaître comme étant davantage que la simple somme de ses
composantes nationales, et jouer un rôle "semi-autonome".
Cela dépend en fait des domaines dans lesquels elle
évolue et des intérêts qu'elle dérange. Ici, on
retrouve la distinction faite en relations internationales entre "highpolitics"
et "lowpolitics", les Etats étant plutôt réticents à
l'idée que l'Organisation se mêle des affaires essentielles.
Ainsi, l'ONU est-elle tour à tour un organe mondial de gestion ("global
manager") et un organe mondial de consultation ("global
counsel").191
A ces fonctions s'ajoutent celles que peuvent lui donner, pour
une période donnée, les Etats: un instrument de politique
étrangère, une instance de négociations, un bouc
émissaire, un organe de légitimation. Mais il reste que
l'Organisation n'a qu'une indépendance relative, indépendance
limitée par la souveraineté et les intérêts
nationaux des Etats. Les décisions, actions ou inerties de
l'Organisation sont en fait le résultat de rapports de force et de
conflits d'intérêts se cristallisant au niveau du système
international, mais reproduits par les Etats membres au sein de l'Organisation.
Ceci explique ainsi, pour partie, la lenteur d'un processus de réforme
qui doit tenir compte de l'avis, des intérêts et des propositions
de tous les Etats membres et groupes régionaux.
Le courant réformiste prévaut actuellement: du
fait de leur radicalité, les deux autres courants impliqueraient des
transformations trop importantes. Il existerait, en théorie, un
quatrième courant soutenu par un certain nombre d'organisations non
gouvernementales: celui de la supranationalité effective des Nations
Unies. Mais les Etats ne sont pas prêts à tolérer
l'existence d'un véritable acteur supranational qui limiterait de
façon plus ouverte et plus efficace leur volonté de puissance et
leur liberté de décision.
De toute façon, la dynamique du changement n'implique
pas forcément un processus révolutionnaire, et peut favoriser un
processus évolutif d'adaptation.19Q En conséquence,
aux questions d'adaptation de l'Organisation à son environnement, les
Etats membres ont clairement répondu par la
190GhassanSalamé, op. cit. (note Q8), p.
137-138.
191 UNU Public Forum Report, The United Nations System in the
Q1st Century, mai 1996, New York, p. 1.
19Q Keith Krause / Andy Knight, "Evolution and Change in the
UN System" (p. 1Q), qui pensentquel'évolution de la
sociétéinternationalepeutêtrepenséecomme un
processusdialectique, in State, Society, and the UN System: Changing
perspectives on multilateralism, 1995, UNU Press.
70
volonté de rationaliser l'Organisation et de la
rénover, mais sans en bouleverser les fondations.193
Ainsi, sans être parvenus à un véritable
consensus sur l'avenir des Nations Unies et sur la manière de concevoir
le rôle d'une organisation internationale, les Etats ont
énoncé, depuis deux ans, un certain nombre de priorités
qui devraient inspirer le processus de réforme, celui-ci consistant pour
l'essentiel en un "toilettage" du système, centré sur
l'identification de ses avantages comparatifs, sur une meilleure coordination
inter-institutions et sur la volonté de faire mieux avec moins.
En effet, selon les pays membres du G7, l'ONU doit, pour
être plus efficace, "identifier son rôle et ses avantages
comparatifs. Elle doit renforcer l'efficacité de son Secrétariat
et de son dispositif opérationnel, les rendre plus cohérents et
assurer une véritable coordination à tous les
niveaux."194
Les pays membres du G7 faisaient ici plus
particulièrement référence aux activités de
l'Organisation en matière de développement, ce qui est
très significatif de l'orientation que veulent donner les Etats à
l'ONU: se concentrer sur ce qu'elle sait faire le mieux, et, par
conséquent, relativiser graduellement les volets du "maintien de la
paix" et de l'"intervention militaire" qui touchent directement aux
intérêts nationaux de sécurité (conçus au
sens strict du terme) et à la souveraineté des Etats.
Les pays membres du G7 ont ainsi souligné les "domaines
d'intervention prioritaires pour les Nations Unies": "l'éradication de
la pauvreté, l'emploi, le logement, la fourniture de services de base,
tout particulièrement ceux qui sont liés à
l'éducation et à la santé, la protection du statut de la
femme et de l'enfant et l'aide humanitaire dans son ensemble."195
En ces temps de restrictions budgétaires et de crise
financière, les Etats veulent que l'ONU fasse mieux avec moins. Cela
signifie notamment réduire le personnel ("down-sizing"), remédier
aux doubles emplois et aux chevauchements de compétence, éliminer
ou "fusionner" certains fonds et programmes qui font double emploi entre eux ou
avec les agences spécialisées.
Les agences spécialisées du système
semblent voir ainsi leur rôle et leurs compétences reconnus,
pourvu qu'elles se concentrent "sur les domaines dans lesquels elles
possèdent un avantage comparatif."196
193 Toutes les propositions allant dans ce sens doivent partir
des structures existantes." Paragraphe 42 du Communiqué
économique du G7 au Sommet de Lyon, juin 1996.
194Ibid., paragraphe 42.
195Ibid., paragraphe 41.
196Ibid., paragraphe 45.
71
Il est en effet indispensable que les différentes
agences spécialisées du système retrouvent leur pleine
autorité face aux fonds et programmes qui empiètent le plus
souvent sur leurs compétences et qui conduisent de façon
artificielle à l'hypertrophie de l'ensemble du système.
Mais, pour être réellement efficace, cette
réforme devrait aussi être appliquée aux institutions de
BrettonWoods, lesquelles devraient se concentrer sur les aspects financiers de
l'aide au développement197et cesser d'empiéter sur les
domaines de substance des institutions spécialisées du
système. Ce point n'a pas encore été nettement
souligné dans les plans de réforme qui ont été
préconisés par le G7/G8.
Dans cette perspective de rationalisation des actions du
système, les Etats membres recommandent une meilleure coordination du
système des Nations Unies (par l'intermédiaire notamment du
Comité administratif de coordination)198 et "un renforcement
de la coopération entre les agences des Nations Unies, les institutions
financières internationales et l'Organisation mondiale du
commerce."199
Une telle coordination est certes indispensable pour que le
système forme un "tout" et que l'action des différentes
institutions qui le composent soit encadrée, mais ces propositions ne
tiennent pas compte du fait que les chefs des grandes institutions
spécialisées ne sont pas des adjoints du Secrétaire
général de l'ONU, mais sont élus par leurs Etats membres
et responsables devant leurs propres organes directeurs, et que ces
organisations disposent de leur propre constitution. "Cette indépendance
est d'ailleurs expressément établie par leur Charte constitutive
qui n'est autre qu'un Traité international, tout comme l'est la Charte
des Nations Unies, issu de la volonté souveraine des Etats, régi
par le droit international et dont la modification n'incombe pas à
l'Organisation centrale, mais obéit au mécanisme de
révision des Traités selon les règles du droit des
Traités."200
197 Début mars 1997, James Wolfensohn a d'ailleurs
présenté un plan de réformes de la Banque mondiale
comprenant quatre objectifs principaux: la nécessité
d'alléger les services centraux pour se rapprocher du terrain; recentrer
la politique de développement vers le social, rendre efficace et payante
une base de données économique et sociales unique au monde;
développer une stratégie de ressources humaines et de la
formation. Les Echos, 13 mars 1997.
198 Pour les Américains, le CAC doit devenir
l'équivalent d'un "cabinet" du système onusien (document d'avril
1996). Malheureusement, le CAC est, à l'heure actuelle, un
mécanisme insuffisant pour remédier à la sectorisation de
l'ensemble du système et surtout, n'a aucun pouvoir contraignant. Ainsi,
comme le souligne S.Cortembert, "les organes établis pour coordonner le
système des Nations Unies [le Comité consultatif sur les
questions administratives et budgétaires (CCQAB), le Comité de
coordination des questions administratives (CCAQ), le Comité du
programme et de la coordination (CPC)] n'ont abouti qu'à une
complication du mécanisme régulateur." "L'ONU et le
système des Nations Unies", in Colloque de la Faculté de
Besançon, L'ONU, 50 ans après: bilan et perspectives, 29-30 mars
1995, p. 44.
199 Paragraphe 45 du Communiqué économique.
200 S. Cortembert ajoute que "les Chartes constitutives fixent
les objectifs que les institutions spécialisées doivent atteindre
et leur attribuent leur propre structure. Les décisions prises par les
organes de ces organisations ne peuvent absolument pas être
modifiées par l'ONU puisque celle-ci ne peut interférer dans leur
processus décisionnel. Quant à leurs budgets, ils ne
relèvent aucunement de celui de l'ONU.", op. cit. (note 58), p. 41.
C'est pourquoi le Secrétaire général a mis les Etats
membres devant leurs responsabilités en suggérant la mise en
place d'une "Commission spéciale au niveau ministériel
chargée d'examiner les changements éventuels à apprter
à la Charte des Nations Unies et aux traités dont découle
le mandat des institutions spécialisées" (paragraphe 89 du "Track
II").
72
Les chefs des agences spécialisées n'ont donc de
comptes à rendre qu'aux organes directeurs de leurs institutions. De
plus, certains fonds, programmes ou organes subsidiaires des Nations Unies
possèdent également une incontestable autonomie, tel le
PNUD201, l'UNICEF ou le FNUAP, et les politiques
préconisées par les institutions de BrettonWoods et celles du
système onusien sont souvent sensiblement
différentes.202
Un mécanisme de coordination efficace devrait donc
permettre d'harmoniser les activités des agences
spécialisées, des fonds et des programmes, de l'ONU et des
institutions de BrettonWoods, et resserrer les liens entre ces
différentes organisations.
Ainsi, une telle coordination devrait impliquer un changement
complet des structures du système et des innovations radicales en ce qui
concerne les relations entre ces structures et les politiques qu'elles
élaborent. Elle pourrait aussi avoir pour conséquence
l'élimination de tous les fonds, programmes et secteurs concurrents
développés par l'ONU qui font largement double-emploi avec les
activités des institutions spécialisées.
Par exemple, le Programme alimentaire mondial et le Fonds
intergouvernemental du développement agricole concurrencent la F.A.O.;
la Commission du développement durable concurrence le Programme des
Nations Unies pour l'environnement; l'UNICEF, la Banque mondiale et le PNUD
concurrencent l'UNESCO dans le domaine de l'éducation.
Enfin et surtout, cette coordination ne peut aboutir que si se
met en place une réelle coordination des politiques au niveau des Etats,
car une "micro-coordination" ne peut avoir d'effet réel sans une
coordination à grande échelle et un accord sur les objectifs
à poursuivre. Cette coordination doit se faire en amont, avant la prise
de décision, et à trois niveaux: entre les Etats eux-mêmes,
entre les Etats vis-à-vis des institutions du système, et au sein
même des Etats entre les différents organes gouvernementaux.
Enfin, une importance toute particulière est
accordée à la réforme du mode de financement des
activités de l'ONU, à une modification de la répartition
des contributions payées par chaque Etat, et à la diminution du
budget. Ainsi, des coupes sombres ont-elles été
réalisées dans les budgets de la plupart des agences, fonds et
programmes du système onusien (en particulier à la CNUCED et
à l'ONUDI). M. Boutros Boutros-Ghali avait annoncé un budget pour
1998-1999 en baisse de 7,5% (soit une réduction de 178,9 millions de
dollars) par rapport à celui de 1996-1997. Kofi Annan, quant à
lui, a annoncé une réduction supplémentaire du budget
1998-1999 de 23 millions de
201 Le PNUD sort plutôt renforcé des propositions
contenues dans le plan de réforme du Secrétaire
général.
202 Par exemple, les politiques d'ajustement structurel
imposées par le F.M.I. et de la Banque mondiale tiennent peu compte des
politiques sociales recommandées par l'OIT, l'UNICEF, la F.A.O. ou
l'UNESCO.
73
dollars dont une réduction des coûts
administratifs de 18% et l'élimination de 1000 postes.203
Cependant une véritable réforme
financière se heurte à la contradiction qui existe entre la
volonté de payer moins et la volonté de garder un contrôle
sur l'Organisation. Certains pays se plaignent de payer une contribution trop
élevée. Mais sont-ils prêts pour autant à voir
diminuer leur pouvoir de contrôle et de pression politique?
C'est bien dans cette situation que se trouvent actuellement
les Etats-Unis. La part disproportionnée de leur contribution au budget
de l'ONU (25% pour le budget ordinaire, 31% pour le budget des
opérations de maintien de la paix) leur donne un pouvoir de
contrôle extraordinaire sur l'Organisation toute entière.
Les Etats-Unis accepteraient-ils vraiment d'abandonner une
partie de ce pouvoir, par la redistribution des quotes-parts, au profit d'Etats
plus favorables au renforcement du rôle des Nations Unies? On peut en
douter. Peut-être est-ce d'ailleurs pour la même raison que les
propositions visant à doter l'Organisation de sources de financement
indépendant204 ont été écartées
de facto de l'agenda de discussions des réformes du système des
Nations Unies.
Aussi, le non-paiement des contributions est-il bel et bien un
problème de nature politique (et non financière). Au regard du
budget d'une grande puissance, le budget des Nations Unies ($1,3 milliards pour
le budget ordinaire et $3 milliards pour le budget des opérations de
maintien de la paix) est en effet dérisoire. Le budget des
opérations de maintien de la paix représente 1,1% du budget
militaire américain, ce qui équivaut à deux
journées de l'opération "Tempête du désert". Le
budget ordinaire de l'ONU représente environ 4% du budget annuel d'une
ville comme New York.205 La contribution des Etats-Unis au budget
ordinaire coûte 1,2 dollar par Américain et par an et celle du
budget des opérations de maintien de la paix coûtent environ 7
dollars par Américain.
Quant au coût négligeable du budget onusien,
l'exemple le plus parlant est le chiffre de 5 milliards de dollars
dépensés par le système des Nations Unies dans le domaine
économique et social qui équivaut à 88 cents
dépensés pour chaque habitant de la planète; alors que
dans le même temps, les Etats dépensent environ 767 milliards de
dollars par an en matériel militaire, ce qui
203International Herald Tribune, 3 mars 1997.
Communiqué de presse GA/AB/3137 (17 mars 1997).
204 "Taxe Tobin" (taxe sur les transactions internationales en
devises), Voir Rapport mondial sur le développement humain 1994, p.75.
D'autres propositions ont été faites dans le chapitre 5 du
rapport Ramphal/Carlsson (taxe sur les billets d'avion, sur le transport
maritime,...).
205 Informations données par le Bulletin du Centre
d'information des Nations Unies à Paris, n°19, mai 1996, p. 38.
74
équivaut à 134 dollars par
habitant206, c'est-à-dire nettement plus que ce dont, selon
Wally N'Dow, Secrétaire général du Sommet sur la ville
à Istanbul, il faudrait (c'est-à-dire moins de 100 dollars par
personne) pour "procurer un toit, une eau salubre et des équipements
sanitaires de base à chaque homme, à chaque femme et à
chaque enfant de cette planète".
Ces "réformettes" sont sans aucun doute très
utiles, car elles permettent de faire du système onusien,
décentralisé à l'extrême69, un
système plus "compact", plus rationnel, avec des lignes
d'autorité plus claires, et un système plus
équilibré entre ses composants. Mais, là, comme partout,
les Etats membres doivent encore faire la preuve de leur détermination
à mettre en oeuvre ces propositions qui nécessitent quand
même un changement de comportement et remettent en cause certains
intérêts.
Les groupes de travail ne sont pas encore arrivés
à un consensus sur des propositions concrètes, sur un calendrier
ou sur des mesures précises. Toutefois, aussi justifiées que
soient ces propositions, elles ne constituent pas pour autant un réel
projet d'avenir pour les Nations Unies et ne peuvent se suffire à
elles-mêmes.
Les réformes ponctuelles, organisationnelles ne
remplaceront jamais une réforme de fond de l'Organisation alliant vision
et projet ou stratégie à long terme afin de redonner une
crédibilité à ses actions et décisions. Or, selon
Jean Touscoz, "la crise de l'ONU est d'abord d'ordre conceptuel."
Béatrice Pouligny ajoute: "C'est peut-être pour
cela que les innombrables réformes dont on parle depuis la
création de l'Organisation n'ont jamais abouti", car elles ont toujours
été trop centrées sur la question "comment faire" et non
sur celle "que faire?" ou "quelles missions pour
l'ONU?".
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