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Les relations internationales âpres la guerre froide: analyses et perspectives

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par Merveil Ilonga leka bilimba
Université pédagogique nationale - Licence 2011
  

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SECTION 2. L'IMPOSSIBLE GESTION MULTILATERALE DUMONDE ?

En 1990, le Président des Etats-Unis rêvait à « un nouvel ordre mondial fondé sur le droit » où l'ONU accomplirait « sa destinée de parlement mondial de la paix. »Or en 2010, le moins qu'on puisse dire c'est que le rêve ne s'est pas réalisé, et s'il ne s'est pas transformé en cauchemar, à tout le moins est-il moins sûr qu'en 1990.

§1. La réforme des nations unies: enjeux et perspectives

Les changements intervenus dans les relations internationales à partir de 1985-1987, amplifiés et accélérés à partir de 1990-1992, ont posé de façon accrue le problème de la réforme des Nations Unies et de son adaptation à une donne internationale mouvante dans un contexte global caractérisé par ce que les spécialistes ont appelé la mondialisation et la fragmentation.

A l'origine du débat sur l'avenir des Nations Unies se trouve le sentiment que l'Organisation n'a pas accompagné, dans ses structures et ses méthodes de travail, les évolutions du système international, se contentant de suivre et de mettre en oeuvre un ordre du jour établi pour préserver les "points de repère" de la guerre froide. Le recours massif, voire abusif, aux opérations de maintien de la paix, conforte les critiques du système, accusé de donner les mêmes réponses à des problèmes qui ont à la fois changé de nature et d'origine.

Le Cinquantième anniversaire de l'Organisation constituait l'occasion "rêvée" qui devait marquer, selon les mots mêmes de l'ancien Secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali, le passage de "la vieille à la nouvelle ONU". Force est de constater que cette occasion a été manquée.

Les Etats membres ont laissé passer, à l'automne 1995, l'occasion de débattre de façon sérieuse et déterminée de la question de la réforme142, et d'établir un ordre du jour précis pour sa mise en oeuvre. Certes, un "Groupe de travail de haut niveau à composition non limitée sur le renforcement des Nations Unies" (ou "Groupe Essy", du nom du Président de l'Assemblée générale qui a recommandé sa création et l'a présidé)143 a été créé, mais il a surtout consacré ses travaux à l'étude de propositions organisationnelles et n'a

142 Cette question a été évoquée, pour la première fois de façon formelle et concertée, par les pays membres du G7 lors du Sommet tenu à Halifax en juin 1995.

143 Ce groupe de travail a été établi, à la demande des Etats-Unis, par la résolution 49/252, le 14 septembre 1995, lors de la 49ème session de l'Assemblée générale.

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guère abordé dans sa globalité la question de la réforme.144 Le matériau ne manquait pourtant pas.

L'année 1995 avait été marquée par la publication de plusieurs rapports de groupes indépendants concernant l'avenir des Nations Unies.145 C'est paradoxalement après le cinquantième anniversaire de l'ONU dont la célébration avait été considérée comme un moment décisif pour la mise en oeuvre de réformes profondes que le processus de réforme du système des Nations Unies suscita un regain d'intérêt auprès des Etats membres.

1996 a été, à ce titre, une année charnière, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les Etats-Unis sont intervenus au plus haut niveau dans le débat. Ils ont publié en février et en avril deux documents contenant des propositions détaillées à ce sujet.146 La question de la réforme des Nations Unies a, en outre, été, à partir de juin, un enjeu significatif, à défaut d'être central, de l'élection présidentielle américaine entre la majorité républicaine du Congrès et le Président Clinton.

En juin 1996, la réforme du système des Nations Unies a été à Lyon, pour la deuxième fois, à l'ordre du jour d'un Sommet du G7, sommet auquel ont également été conviés les dirigeants de l'Organisation des Nations Unies, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de l'Organisation mondiale du commerce.

Le Sommet de Lyon a, entre autres, formulé de nouvelles propositions dans le domaine économique et social147, et a insisté sur la mise en oeuvre immédiate et rapide de certaines réformes relatives à la coordination entre les différents organes du système et aux réductions budgétaires.

Malgré cette demande les débats de la 51ème session de l'Assemblée générale se sont déroulés dans un climat de relatif attentisme (quant aux résultats des élections présidentielles américaines et de l'élection du Secrétaire général) et soldés par un "consensus mou" quant à la nécessité d'une réforme

144 Signalons que l'Assemblée générale a créé, en tout, pas moins d'un comité et de 5 groupes de travail chargés d'étudier le futur du système des Nations Unies et de ses actions:

145 Pour êtreexhaustif, citons: le rapport Ramphal/Carlsson ("Our Global Neighbourhood"), le rapport Qureshi/Weizsäcker ("The United Nations in its Second-Half-Century: A Report of the Independent Working Group on the Future of the United Nations"), le rapport Ogata/Volker ("Financing an Effective United Nations: A Report of the Independent Working Advisory Group on UN Financing"), et le rapport du South Centre ("For a strong and democratic United Nations: A South Perspective on UN Reform"). Ces rapports avaient été précédés en 1994 de trois rapports importants: le rapport mondial sur le développement humain du PNUD, le rapport Urquhart/Childers ("Renewing the United Nations System") et le rapport de la Rajiv Gandhi Memorial Initiative for the Advancement of HumanCivilization ("Reform of the United Nations Organization"); et, en novembre 1993, le rapport Trivelli (du nom de son rapporteur) de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen "sur le rôle de l'Union au sein de l'ONU et sur le problème de la réforme de l'ONU". On peut ici regretter l'absence de propositions et d'études significatives purement françaises.

146 "US Views on Reform Measures Necessary For Strengthening The United Nations System", février 1996; "Preparing the United Nations for Its Second Fifty Years", 24 avril 1996.

147 Notamment le regroupement des trois départements du Secrétariat s'occupant des questions économiques et sociales dans un seul et même département, proposition qui a été mise en oeuvre dans le plan de reforme de Kofi Annan.

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en profondeur du système. Aucune proposition sérieuse, aucun calendrier précis ni aucun plan concret ne sont venus appuyer cette volonté, et ce malgré la centralité du thème de la réforme dans les débats. Il a fallu attendre la nomination de M. Kofi Annan au poste de Secrétaire général pour voir établir, malgré un contexte difficile dû notamment aux pressions financières des Etats-Unis148, un échéancier strict pour la mise en oeuvre de réformes.149

Les deux ou trois années qui nous séparent du XXIème siècle apparaissent donc comme cruciales pour l'Organisation des Nations Unies et le système qui l'entoure. L'enjeu du débat actuel est en effet rien moins que leur existence même.

Mais pour y répondre, encore faut-il s'attaquer aux questions de fond. Une série de questions doit ainsi se poser: quelles sont les missions fondamentales du système des Nations Unies, quel est son rôle, quelle est son utilité dans le monde d'aujourd'hui? Et au XXIème siècle? Quelle est sa vocation prioritaire et que doit-elle être à l'avenir?

En d'autres termes, comment l'Organisation peut-elle s'adapter aux évolutions du système international pour "donner au XXIème siècle une ONU équipée, financée et structurée de façon à servir efficacement les peuples pour lesquels elle a été créée"?150

De la réponse à ces questions découle le sens des réformes proposées par les Etats membres et la conception qu'ils ont du rôle futur de l'ONU dans le système international. Surtout, ces questions portent à la fois sur la préparation du XXIème siècle, sur les moyens à mettre en oeuvre en vue d'une "gestion de l'imprévisible"151, et sur les principes, les buts et le futur de l'ensemble du système des Nations Unies. En clair, il ne s'agit pas seulement de s'adapter au jour le jour, mais d'anticiper pour édifier un système réellement en phase avec les défis de demain.152

148 Les Etats-Unis qui devaient, au 30 novembre 1997, 1,3 milliards de dollars à l'Organisation ont conditionné le règlement de ces dettes à la mise en oeuvre de réformes. Robert Livingstone, président de la Commission des attributions budgétaires à la Chambre des Représentants, avait en effet affirmé de façon très claire: "si nous réglons nos comptes trop vite, nous craignons de ne pas voir les réformes que nous souhaitons" (Le Monde, 26-27 janvier 1997). Voir également l'éditorial du Monde, "l'ONU et la dette américaine", 10 janvier 1997 et le détail des conditions mises par le Congrès (au nombre desquelles se trouvent la réduction de la contribution américaine au budget général et à celui des opérations de maintien de la paix) dans Le Monde, 14 juin 1997. Selon le directeur de l'Association américaine pour les Nations Unies (UNA/USA), "les appels constants à la réforme ne sont qu'un alibi; le but réel est d'affaiblir l'ONU autant que possible et de réduire son rôle, pour que les Etats-Unis puissent décider et agir seuls" (Libération, 22 septembre 1997).

149 Documents "Track I" (A/51/829) du 17 mars 1997 et "Track II" (A/51/950) du 14 juillet 1997.

150 Déclaration du 50ème anniversaire de l'ONU, 24 octobre 1995.

151 Pour reprendre l'expression de Jacques Lesourne (Les mille sentiers de l'avenir, 1981, éditions Pluriel).

152 Entretiens avec M. Jérôme Bindé, Directeur de l'Unité d'analyse et de prévision de l'UNESCO.

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§2. Un impératif : anticiper pour s'adapter

Une réforme effective des Nations Unies exige que l'on ait convenablement analysé le contexte international dans lequel elle se situe. Elle ne peut faire l'économie de la réflexion et de l'effort prospectif: "repenser" l'après-guerre froide est donc la première des priorités. En effet, aucune conférence internationale de nature politique n'a été organisée pour répondre aux bouleversements survenus entre 1989 et 1992, comme cela avait eu lieu après la guerre mondiale de 1914-1918 et celle de 1939-1945. Or les changements radicaux engendrés par la chute du mur de Berlin et du Rideau de fer, par la dislocation de l'empire soviétique et par l'accélération de la mondialisation sont tout aussi fondamentaux et importants que ceux engendrés par les deux guerres mondiales.153

Les processus de globalisation et de fragmentation, l'augmentation des disparités entre riches et pauvres (entre les Etats, mais aussi au sein même des sociétés)154 et des particularismes religieux, ethniques, culturels, les changements quant à la nature des conflits et l'élargissement des concepts de sécurité et de développement155, l'atténuation du caractère, naguère encore absolu, de la notion de souveraineté étatique, la crise de l'Etat-nation, la prévalence des logiques de force, la révolution de l'informatique et de la communication en "temps réel" sont autant de phénomènes-clé que l'ONU se doit d'intégrer dans sa réflexion et ses décisions, car, ainsi que l'a dit l'actuel Secrétaire général, "rester immobile alors que le monde bouge, c'est glisser désespérément en arrière.156

Ces bouleversements entraînent une véritable métamorphose de l'ensemble du système international.157 Celui-ci est de moins en moins interétatique et de plus en plus transnational. Son centre de gravité s'est progressivement déplacé de l'Europe vers la zone Asie-Pacifique. Le pouvoir financier et économique et le pouvoir d'influence semblent avoir pris le pas sur le pouvoir politique et le pouvoir de commandement.

Le système international actuel ne connaît plus d'équilibre dû à la présence de puissances régulatrices, car l'influence et les puissances américaines n'ont plus vraiment de contrepoids. Aux yeux d'un certain nombre d'observateurs, les Etats-Unis exercent ainsi un "multilatéralisme

153 Ainsi que le déplore Jacques Delors, "la culture de la guerre froide n'a pas été remplacée par une culture réaliste du monde nouveau." Par conséquent, "un grand travail intellectuel est devant nous.", in L'unité d'un homme, 1994, Paris, éditions Odile Jacob, p. 197.

154 Voir PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 1996 et 1997; Le Monde, 18 juillet 1996

155 Voir chapitres 2 et 3 du Rapport mondial sur le développement humain 1994, PNUD.

156 Kofi Annan, 2 Peace Operations and the United Nations: Preparing for the Next Century2 ,février 1996.

157 Bouleversements qui entraînent un changement "du système" des relations internationales, un changement "de système", ou même une quasi-absence de système? Voir Daniel Colard, "La société internationale après la guerre froide", Défense nationale, janvier 1997, p. 68.

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autoritaire"158 ou un "nouvel unilatéralisme"159 qui les conduit à traiter les affaires du monde exclusivement selon leurs propres intérêts, calendrier et objectifs, et à fonder leur action au sein du système international sur une conception instrumentale de l'ONU, ce qui suscite les rancoeurs de bon nombre d'acteurs qui refusent cette domination.

Par ailleurs, l'essor des interdépendances et des moyens de communication font que les problèmes mondiaux forment désormais un "tout", mais un "tout" irréductible à une seule cause ou à une perception monolithique, et ne requièrent pas forcément une solution globale, l'essentiel étant de trouver "un niveau pertinent de décision et d'action".160 Comme le souligne Béatrice Pouligny, "l'avenir est sans doute moins aux projets de géant qu'aux ajustements à échelle humaine, permettant à des individus d'appréhender un peu de cet universel qui les dépasse."161

Enfin, le système international de l'après-guerre froide est caractérisé par la disparition de la menace, de la logique de l'adversité, ainsi que par un "vide référentiel"16Q, une perte de sens163, où les "petites idéologies" (individualisme, narcissisme, souci de soi) ont remplacé les "grandes idéologies" porteuses de projet, d'espérance et d'alternative.164

On peut dire qu'il existe ainsi une perte de sens au niveau global, une absence de projet fédérateur, mais une prolifération de "micro-sens" qui induit "la diffusion d'une mosaïque de "codes" et de "règles" ni reconnus ni unifiant, qui ne seront respectés par personne." Telle est ici l'une des conséquences de la fragmentation du monde qui conduit à une "atomisation croissante de la société" et privilégie "les dynamiques individuelles plutôt que les situations collectives".165

Ces phénomènes qui génèrent une complexité croissante sont le reflet de ce que beaucoup d'auteurs appellent une "crise de civilisation", laquelle comprend trois volets principaux: la crise de l'Etat-nation, la crise de la société, qui est aussi celle de la communication et de l'intelligibilité, et la crise de l'Homme.166

158IrnerioSeminatore, "Les relations internationales de l'après-guerre froide: une mutation globale", Etudes internationales, Q7(3), septembre 1996, p. 605.

159 G. Achcar (Le Monde diplomatique, octobre 1995, p. 9) citant un article paru dans International Herald Tribune, "Going It Alone and MultilateralismAren't Leadership", 4-5 février 1995.

160ZakiLaïdi, "Le rite médiatique du G7", Libération, 15 juin 1996.

161 Béatrice Pouligny, "Force armée de l'ONU ou nouvelle ONU?", Etudes, mars 1994, p. 304.

16Q I. Seminatore, loc. cit. (note 17), p. 611.

163ZakiLaïdi, Un monde privé de sens, 1994, Paris, Fayard.

164 Même si cette alternative s'est souvent soldée par des régimes autoritaires et des catastrophes humaines et humanitaires ! Notons également, comme me l'a fait remarqué M. Jérôme Bindé, que le "déclin des grands récits", c'est-à-dire des grandes "idéologies d'émancipation" a en fait précédé la fin de la guerre froide et a, par exemple, été annoncé dès 1979 dans un essai prophétique du philosophe Jean-François Lyotard, La condition post-moderne, 1979, Paris, éditions de Minuit.

165ZakiLaïdi, "L'urgence est mauvaise conseillère du prince", Libération, 11 octobre 1996.

166 Voir, à ce sujet, les remarquables analyses d'Eric de la Maisonneuve (La violence qui vient, 1997, Arléa) et d'Edgar Morin et Sami Naïr (Une politique de civilisation, 1997, Arléa).

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L'Organisation mondiale est donc aujourd'hui amenée à faire face à une série de problèmes qui n'avaient pas été prévus par la Charte des Nations Unies. Comme le dit Richard J. Poncio, "les mots "population", "migration", "famine", "pauvreté" et "environnement" n'apparaissent pas dans la Charte de 1945"167, pas plus d'ailleurs que le mot "développement"; toutefois, la Charte évoque déjà la nécessité de "favoriser le progrès social"168, et l'Acte constitutif de l'UNESCO parle de la "prospérité commune de l'humanité".

Tout naturellement, depuis 1945, les préoccupations et les problèmes ont changé, et l'ONU doit pouvoir accompagner les évolutions dans les trois domaines (politique, économique et social) dans lesquels s'inscrit la Charte.

Ainsi que le dit Ghassan Salamé, "diplomates, chercheurs et stratèges doivent désormais analyser une kyrielle de situations concrètes où il ne s'agit plus de dénicher la "main de Moscou" ou les "agents de la CIA", mais de comprendre des sociétés en voie de décomposition, des territoires en cours de morcellement et des Etats en panne."169 Tel est le défi à relever aujourd'hui: "saisir la multidimensionalité des réalités"170 et acquérir "l'intelligence de situations complexes"171. Pour cela, il faut éviter de compartimenter les solutions données aux problèmes ou de les limiter à un domaine particulier. En effet, un problème ne peut plus être abordé au seul niveau politique car les sphères politique, économique et sociale sont étroitement imbriquées. Au contraire, "pour comprendre les phénomènes, il faut s'interroger sur les causes, mais aussi sur les interconnexions entre les différents acteurs que sont le politique, la guerre, le droit, l'économie, la culture, la morale... et embrasser le tout d'un seul regard et du plus simple regard".172 Ceci serait tout particulièrement utile pour mieux appréhender la nature intraétatique de la plupart des conflits actuels et les causes profondes de leur déclenchement.

Le règlement des conflits intraétatiques ou infraétatiques n'a pas non plus été prévu par la Charte en 1945. Pendant 40 ans, ces conflits ont été transformés en confrontations Est-Ouest et en guerres idéologiques dont la solution se heurtait au célèbre Article 2(7) de la Charte qui stipule qu'"aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les Membres à soumettre les affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte."

167 Richard J. Poncio, "Beyond 1995: negotiating a new UN through Article 109", Fletcher Forum of World Affairs, 20(1), hiver/printemps 1996, p. 152.

168 L'Article 1, paragraphe 3, exprime la nécessité de "réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire".

169GhassanSalamé, Appels d'empire: ingérence et résistances à l'âge de la mondialisation, 1996, p. 87.

170 Edgar Morin, op. cit. (note 25), p. 25.

171 Eric de la Maisonneuve, op. cit. (note 25), p. 19.

172 Eric de la Maisonneuve reprenant Jean Guitton (La pensée et la guerre, 1969), op. cit. (note 25), p. 215.

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La prédominance actuelle de la guerre intraétatique ou civile s'accompagne de formes de violences diffuses -- prolifération des milices et par conséquent privatisation de la violence, criminalisation du politique, massacre de populations civiles, terrorisme, voire génocide173 --, qui bouleverse les grilles d'analyse et les relations interétatiques.

Ces conflits "décomposés", "dégénérés", voire "anarchiques" n'ont plus de règles et prennent plutôt la forme de violences éclatées. Ces violences, même si elles se déroulent au sein d'un pays donné, ne concernent plus seulement ce pays, mais interpellent (par l'intermédiaire des médias) le monde entier.

Ainsi les gouvernements ne peuvent plus comme auparavant mettre en avant l'Article 2 pour écarter la "communauté internationale" du règlement des actions perpétrées à l'intérieur de leurs frontières. Mais le problème est que la "communauté internationale" n'est pas encore prête à mettre cet article entre parenthèses, à intervenir et à contenir de façon efficace les violences infraétatiques.

Cette réticence est due au fait que la conception que les Etats se font de la souveraineté et de son contenu est restée inchangée depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, alors que la notion a, elle, peu à peu évolué. Le glissement de ce concept est survenu parce que la souveraineté des Etats est aujourd'hui battue en brèche par une multitude d'acteurs (supranationaux, transnationaux, subnationaux) et de forces (économique, commerciale, technologique, culturelle).

Les Etats sont de plus en plus concurrencés par la place croissante prise par les individus. Aussi, comme le note Samuel A. Makinda, l'idée de souveraineté ne fait plus aujourd'hui seulement référence à la souveraineté de l'Etat, mais aussi à la souveraineté populaire174, tout comme la sécurité internationale va de plus en plus de pair avec une "sécurité humaine".

En effet, depuis plusieurs années maintenant, le Conseil de sécurité a pris en compte l'élargissement de la notion de sécurité internationale en reconnaissant que les "menaces de nature non militaire" contre "la paix et la sécurité trouvent leur source dans l'instabilité qui existe dans les domaines économique, social, humanitaire et écologique".175

Cette prise en compte n'est toutefois pas encore systématique et se fait plutôt au coup par coup, encore beaucoup trop conditionnée par les intérêts

173 Pierre Hassner, "Par delà la guerre et la paix: violence et intervention après la guerre froide", Etudes, 1996.

174 Samuel A. Makinda, "Sovereignty and International Security: Challenges for the United Nations", Global Governance, 2(2), mai-août 1996, pp. 149-168.

175 Déclaration du président du Conseil de sécurité des Nations Unies, le 31 janvier 1992.

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contradictoires des membres permanents du Conseil de sécurité ou de groupes régionaux.

Or "une souplesse excessive, une indifférence à la catégorisation et une approche pragmatique au cas par cas peut mener à une "incertitude opérationnelle" et à un refus d'obéissance"176, et par conséquent à s'écarter des principes sur lesquels est fondée l'ONU.

Ceci porte également à s'interroger sur les objectifs initiaux de la Charte: visent-ils la protection des Etats ou celle de leurs citoyens?177 Enfin et surtout, un manque de rigueur quant à la prise en compte des changements survenus peut faire croire que l'ONU décide selon le principe des "deux poids, deux mesures".

Ainsi, "à force de se montrer trop sélectif dans le choix de ses missions, le Conseil de sécurité pourrait devenir - ne l'est-il pas déjà ? - un organe interstitiel qui s'insère dans les brèches du monde considérées comme mineures par les grandes puissances".178

Mais là encore, les décisions du Conseil de sécurité ne sont que le reflet de la volonté ou du manque de volonté, des intérêts ou du manque d'intérêt de ses Etats membres, au lieu d'être le reflet d'un organe de concertation établi pour la mise en oeuvre de politiques de coopération au bénéfice de tous.

L'exercice effectif de la souveraineté populaire au niveau international - multilatéral ou même régional - requiert en outre la constitution d'une "société civile internationale" plus organisée et structurée que celle qui existe aujourd'hui. Un embryon de société civile internationale a pu émerger au plan international lors des grandes conférences organisées par les Nations Unies (notamment au Sommet de la ville à Istanbul179), auxquelles ont participé des organisations non gouvernementales, des associations ou d'autres organisations infraétatiques, le secteur privé, les représentants des collectivités locales, et les communautés scientifiques et d'experts. Mais ce germe de société civile internationale est loin de pouvoir peser de façon efficace et constante sur les décisions et les actions des Etats. Toutefois, petit à petit, la participation des acteurs de la société civile aux débats et travaux de

176 Stanley Hoffmann, "Thoughts on the UN at Fifty", European Journal of International Law, 6(3), 1995, p. 321.

177 Georges Kiejman, évoquant le "drame algérien", considère que "la justification même de l'Organisation des Nations Unies" n'est pas de protéger les nations, mais "les hommes, les femmes, les enfants qui les constituent". "Le drame algérien et la Charte des Nations Unies", Le Monde, 13 janvier 1998.

178GhassanSalamé, op. cit. (note 28), p. 150.

179 Lors de ce sommet, une série de forums consultatifs ont été créés par les autorités locales et municipales, les ONG, les représentants du secteur privé, « dont les conclusions [faisaient] l'objet de rapports et de recommandations susceptibles d'influer directement sur la négociation.» Voir article de Jérôme Bindé, "Sommet de la ville: les leçons d'Istanbul", Futuribles, n° 211, juillet-août 1996, p. 84 (traduction anglaise: "The City Summit: The Lessons of Istanbul", Futures, 29(3), 1997, pp. 213-227).

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l'ONU peut aider à contenir le pouvoir de certains grands Etats et à réduire les tensions existant entre l'universalité et la souveraineté nationale.180

La question d'un "rapport plus direct [de l'Assemblée générale notamment] avec les peuples du monde et avec les diverses organisations politiques, syndicales et culturelles civiles au sein desquelles sont organisées les sociétés modernes"181 et de l'intégration des acteurs infraétatiques et transnationaux aux débats, décisions et actions de l'Organisation reste posée, même si certains de ses organes l'ont déjà pris en compte.

Cette intégration, bien qu'essentielle, reste imparfaite, inégale, non-systématique et soumise au bon vouloir des Etats. De plus, ce qui est vrai pour les acteurs non étatiques l'est aussi pour les acteurs étatiques. Il faut ici souligner la participation inégale des Etats aux décisions de l'ONU, surtout dans ses principaux organes (Assemblée générale, Conseil de sécurité). Par exemple, les dispositions des Articles 31 et 32 quant à la participation d'Etats non membres du Conseil de sécurité à ses débats sont-elles toujours respectées?

Et même si cette participation est effective, les idées émises par ces Etats peuvent-elles influer sur des "pré-décisions" qui sont, le plus souvent, prises à huis clos par les membres permanents? Dans ce cas, comme dans beaucoup d'autres, l'application stricte des articles de la Charte signifierait déjà une avancée réelle et permettrait de relativiser l'approche instrumentale de l'Organisation privilégiée par les grandes puissances, qui ne permet pas aux moyennes puissances et aux petits Etats de faire suffisamment entendre leur voix, et qui contrevient aux dispositions de la Charte.182

Ces changements internationaux engendrent des tensions souvent difficiles à gérer tout en suscitant des défis essentiels à relever à l'aube du XXIème siècle. Ils font en outre ressortir à la fois la diversité des forces et des acteurs à l'oeuvre à l'échelon international et les paradoxes structuraux qu'ils induisent.

Tensions entre le transnational et l'interétatique, entre la souveraineté et l'ingérence, entre des intérêts divergents, entre la lenteur des Etats et la rapidité des autres acteurs, entre la faisabilité et les aspirations ou les espérances, entre la force et le pouvoir d'un côté et la justice et l'égalité de

180Razali Ismail, président de la 51ème session de l'Assemblée générale, GA/9091, 17 septembre 1996.

181 Rapport de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen, A3-0331/93, 8 novembre 1993, p. 14. Le rapport ajoute: « s'il s'avère complexe (et à la limite pratiquement impossible) de donner une base élective directe à l'Assemblée générale, il ne faudrait pas exclure pour autant l'hypothèse d'une ou plusieurs enceintes où les minorités nationales, régionales et ethniques des différents Etats nationaux pourraient directement s'exprimer par la voix de leurs représentants et qui pourraient influer favorablement sur la vie des Nations Unies.»

182GhassanSalamé, op. cit. (note 28), p. 146.

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l'autre, entre l'universalité et l'individualisme ou les particularismes, entre l'intervention, la neutralité et l'impartialité.183

C'est dans ce contexte de tensions et d'adaptation que se pose la question du rôle et de l'utilité de l'ONU, et par là même de sa réforme qui devrait prendre en compte l'ensemble des paramètres précédemment évoqués. L'Organisation mondiale devrait pouvoir faciliter cette adaptation en exerçant un rôle de médiateur et de régulateur, et en nouant un lien entre tous les acteurs du système international. Elle devrait susciter une "médiation sociale" qui exprime le "Nous universel" et "dissout (...) un JE à l'échelle mondiale".184 La réforme de l'Organisation mondiale passe donc par une adaptation structurelle qui instaure une plus grande efficacité et une meilleure rationalité, et par une adaptation conceptuelle qui donne sens à un projet collectif.

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