§1. Les principes de politique africaine des USA
Les USA comme d'autres grandes puissances construisent leurs
politiques régionales sur base du contexte géopolitique et
surtout en observation de l'environnement international. Il en est de
même pour les USA. En effet, les principes qui gouvernent la politique
africaine des USA sont très fluctuants en raison des
éléments que nous venons de souligner.
Pour bien les percevoir, nous pouvons les analyser dans une
vision diachronique.
1.1. Pendant la guerre froide
Le premier principe de politique africaine des USA est celui
des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. En effet, à
partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, les USA comme l'ex URSS
a soutenu le processus de décolonisation africaine. Ainsi, cette
politique a été fondée sur ce principe. Le deuxième
principe est celui du respect des zones d'influence. Ce principe justifie la
réticence américaine d'intervenir directement en Afrique.
L'objectif principal était de ne pas offusquer les partenaires
européens, notamment la Grande Bretagne, le Portugal, la Belgique et la
France.101
Le changement de l'environnement international marqué
par le risque de contrôle total du continent par l'ex URSS va marquer
l'évolution stratégique des principes de politique africaine des
USA. Ils abandonnent le principe de respect des zones d'influences pour adopter
celui de retrait de petites puissances et de l'opposition à l'URSS. Dans
ce cadre, nous pouvons lire : « Mais, face au risque, réel ou
supposé, de prise de contrôle du continent par l'URSS, les
États-unis se substituent aux petites puissances pour gérer la
décolonisation. Ainsi, Washington intervient au Congo en 1960 et finit
par soutenir le général Mobutu qui, pourtant, n'était pas
son favori au départ. Dans le sud, en Angola, en Namibie et au
Mozambique, l'Amérique intervient très indirectement, via
l'Afrique du Sud, à partir de 1975 quand le Portugal se
désengage. »102
101 DUIGNAN, P. et GANN, L.-H. Les États-unis et
l'Afrique, une histoire, Economica, Paris, 1984, p. 87
102 FAFF, W. "L'hégémonie n'a qu'un temps", in
Courrier international, n° 540, 8-14 mars. 2001.
43
1.2. Après la guerre froide
La fin de la guerre froide porte un coup fatal à
l'intérêt américain sur l'Afrique. La fin de la guerre
froide réduit sensiblement les tensions dans le monde. En Afrique, on
constate la fin de l'intérêt stratégique et militaire
américain. Pour marquer vraiment ce changement, L'administration Bush
senior engage une politique d'apaisement et de règlement de certains
conflits africains.
Cette phase est marquée par des hésitations
américaines à adopter des principes directeurs de sa politique
africaine. Cet ainsi que dans la première moitié des
années 1990, le gouvernement américain hésite à
s'impliquer dans les problèmes du continent, en particulier dans la
gestion du génocide rwandais.
Dans la seconde moitié, l'administration
américaine adopte le principe de progression des positions
économiques américaines en Afrique. « Ainsi, en 1996, B.
Clinton réoriente les priorités diplomatiques
générales du pays, accordant une primauté de
l'économique sur le militaire, au risque de mécontenter le
Pentagone, dont le budget diminue »103
L'opinion nationale américaine face aux
révélations faites par deux fois par CNN va pousser
l'administration à s'impliquer d'avantage en Afrique.
« Cette chaîne retrace sur le petit écran la
guerre civile et la famine qui sévissent en Somalie. Le gouvernement
lance alors l'opération "Restore Hope" ("Restaurez l'espoir"), en
janvier 1993. Le même appareil médiatique provoque la
réaction inverse en octobre 1993, lorsque la diffusion des images du
corps d'un soldat américain traîné dans les rues de
Mogadiscio soulève l'opinion publique et pousse A. Clinton à
retirer les troupes. Cependant, l'objectif géopolitique sous-jacent de
cette opération est déjà d'endiguer l'influence islamiste.
Cette opération s'achève dans la confusion, de manière
tragique et humiliante pour les Etats-Unis.
B. Clinton promulgue alors les trois principes qui
président son action sur le continent :
trouver des solutions africaines aux problèmes
africains, c'est-à-dire limiter les interventions directes et chercher
des relais sur place ;
intégrer l'Afrique dans les circuits de
l'économie mondiale, comme fondement de la diplomatie commerciale de
l'après-guerre froide ;
103 NOUAILHAT, Y.-H. Les États-Unis et le monde au XXe
siècle,éd. Armand Colin, Paris, 2000, p. 45
44
S'opposer activement au terrorisme, islamiste, comme au Soudan
ou en Libye. »104
Les attentats du 11 septembre 2001 vont amener une nouvelle
définition des principes de politique africaine des USA. Ainsi, Bush
junior. Sous son Administration, les principes se confondent aux objectifs et
aux priorités. L'élément majeur de la politique africaine
est la lutte contre le terrorisme islamique, le contrôle des rogues
states et des failled states en Afrique.
§2. Les courants philosophiques de la politique
africaine des USA Post-guerre froide : l'engagement sélectif et la
legacy
De la naissance de la fédération
américaine à la Deuxième guerre mondiale, la politique
étrangère américaine à l'égard de l'Afrique
est caractérisée par une sorte de négligence sinon
d'indifférence perceptible avec les années qui passent sans subir
de changement majeur.105
Après la guerre, la lutte contre l'expansion du
communisme est au centre de la politique africaine des Etats-Unis entre 1947 et
1989.
Au lendemain de la chute du Mur de Berlin, George Bush senior
arrive au pouvoir avec aucune vision pour le continent africain. Le nouvel
ordre mondial qu'il tente de mettre sur pied exclut totalement l'Afrique qui
vient de perdre son importance géopolitique avec l'implosion de
l'URSS.
La politique étrangère à l'égard
de l'Afrique sous William J. Clinton, basée, pour la plupart, sur des
fondements idéalistes beaucoup plus solides, sera en définitive
plus paternaliste que productive. Georges W. Bush, au début de son
mandat, est tout simplement laconique dans ses propos à l'égard
de l'Afrique. Peut-être ne voulait-il pas mettre en exergue ses
impérities quant au continent africain. Finalement, force est de
constater qu'aucune administration, comme nous le verrons plus loin, n'a
véritablement développé de politique, de stratégie
à long terme pour guider les activités et les implications
américaines en Afrique dans les années 1990 et 2000.
104 LERICHE, F., « La politique africaine des
États-Unis : une mise en perspective », in Afrique contemporaine no
207, 3/2003 pp. 7-23.
105 SCHRAEDER, P. - J., United States Foreign Policy Toward
Africa : Incrementalism, Crisis, and Change. Cambridge, Cambridge University
Press. 1994 , p. 3
45
§3. De l'engagement sélectif et son
application dans les relations USA-AFRIQUE
De Ronald Reagan à Georges W. Bush, en passant par Bush
senior et Bill Clinton, l'engagement sélectif domine la politique
étrangère américaine depuis la fin de la Guerre froide et
de l'implosion de l'Union soviétique. Mais, c'est sous la
présidence de Georges W. Bush que l'application de cette approche
à l'égard de l'Afrique demeure évidente. Pour les
observateurs de la politique étrangère, l'engagement
sélectif, par définition ou par application, n'est ni du
multilatéralisme ni de l'unilatéralisme.106 En 2001
Richard Haas, le chef du Policy Planning Staff au département
d'État de l'administration Bush, définit l'engagement
sélectif comme du « multilatéralisme à la carte
».107
Le Secrétaire d'État de l'époque, Collin
Powell rejette l'étiquette «unilatéraliste»
donnée à la politique étrangère après le 11
septembre 2001. Il explique Washington, n'intervient pour défendre ses
intérêts que quand lui et lui seul le juge nécessaire.
»108, En réalité, l'approche s'apparente
fondamentalement à un véritable bilatéralisme beaucoup
plus dangereux que l'unilatéralisme pour le reste du monde.
En effet, elle conduit la Maison Blanche à faire des
choix stratégiques sur le lieu, le moment et la question sur laquelle
les États-Unis doivent intervenir. Le critère fondamental
à souligner, quant à l'intervention américaine sur la
scène internationale, reste l'intérêt national
américain en terme géostratégique, économique ou
sécuritaire et ce, peu importe l'impact que celle-ci peut avoir sur le
reste de la communauté internationale.
Les caractéristiques de l'engagement sélectif sont
:
1. L'engagement sélectif (comme
l'unilatéralisme d'ailleurs) amène Washington à ne pas
tenir compte de l'opinion de l'ensemble de la communauté internationale
et aussi surtout de l'impact de ses interventions sur cette dernière.
2. L'approche de l'engagement sélectif favorise la
mise sur pied de politiques basées sur le concept du «Pivotal
State» qui amène Washington à concentrer l'essentiel de ses
relations vers certains pays considérés comme des États
pivots ou centraux. Ce qui définit l'État pivot : « c'est sa
capacité à influencer la stabilité régionale, leurs
succès ou échecs affectent les pays de la région et
surtout les intérêts américains».109 Ainsi,
nous pouvons citer l'Afrique du Sud en Afrique
106 STEIN KENNETH W, op.cit. , p. 52
107 Idem
108 Ibidem, p.53
109 CHASE, ROBERT, S, HILL, E.-B. et KENNEDY P., « Pivotal
States and U.S. Strategy », in Foreign Affairs, vol. 75, no.1, 1996, p.
37
46
australe, le Nigeria en Afrique occidentale. Ces derniers
reçoivent des traitements privilégiés de la part de
Washington qui, à travers ces puissances hégémoniques
régionales africaines, protège ses intérêts
régionaux.
3. Mais, la conséquence la plus sérieuse est que
cette approche contraint les Américains à se départir de
leur responsabilité de seule superpuissance à l'égard du
reste du monde. En effet, Washington rejette les principes et les processus
multilatéraux quand vient le temps de faire face à certaines
catastrophes et urgences globales. Nous pouvons, à cet effet, rappeler
le refus de Bill Clinton d'intervenir lors du génocide au Rwanda en 1994
car Washington n'y avait aucun intérêt aussi bien dans le domaine
de la sécurité nationale que dans celui de l'économie.
Autrement dit, l'engagement sélectif réduit à néant
la notion de «responsabilité positive », liée au
rôle de seule superpuissance du monde qui devrait conduire Washington
à développer des politiques et des initiatives
désintéressées pour aider les pays du Tiers monde à
lutter contre la pauvreté, le sida et à favoriser la naissance
d'une culture démocratique.
Quant à l'Afrique, depuis la fin de la Guerre froide,
l'intérêt national américain serait principalement
lié aux questions de sécurité nationale. Et à un
degré moindre, les questions économiques deviennent de plus en
plus importantes depuis la fin des années 1990 et le début des
années 2000. Avec la flambée du prix du pétrole sur le
marché international, Washington porte une attention encore plus grande
à des pays tels que le Nigeria et le Gabon.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le
terrorisme devient la pierre angulaire des relations
américano-africaines, et ce, en remplacement de l'endiguement. Il s'agit
en fait d'un retour vers la politique dangereuse et malsaine de la Guerre
froide qui amenait Washington à soutenir les dictatures africaines qui,
à des degrés différents, participaient à la lutte
contre l'expansion du communisme et ce, malgré les exactions et
violations perpétrées par ces dernières à
l'égard de leurs populations respectives.
De nos jours, la Maison Blanche applique cette même
politique au nom de la lutte contre le terrorisme. L'approche de l'engagement
sélectif conduit donc les Etats-Unis à sélectionner un
certain nombre de pays africains avec lesquels Washington développe des
relations privilégiées pour la défense de ses
intérêts économiques (Nigeria, Afrique du Sud et Gabon,
etc.) et sécuritaires (Djibouti, Kenya, et Somalie etc.)
47
3.1. De la politique du legacy et son application dans les
relations USA-AFRIQUE
La deuxième approche est celle de la « politique
de legacy » qui est construite à partir du concept de legacy
lui-même ou d'héritage. La question fondamentale serait de savoir
comment se souviendra-t-on du président? Concrètement, cette
politique consiste à associer à jamais une politique ou des
initiatives au nom de la famille du président.
Celles-ci peuvent véhiculer des idéologies ou
des messages électoraux favorables au président du moment. Ainsi,
cette politique de `legacy' permet non seulement, à l'administration
Bush de mettre en exergue son soi-disant intérêt pour l'Afrique,
mais aussi de redorer son blason auprès de l'électorat noir
américain qui dans une certaine mesure s'est toujours soucié du
sort du continent africain. Malheureusement, cette approche ne tient compte ni
des résultats ni de l'impact des politiques sur les pays
africains.110
En définitive, nous pouvons résumer les
principes de politique africaine des USA en plusieurs séquences ou
phases. Chacune de ces phases obéit au changement d'environnement
international. Le début de la période post guerre froide est
marqué par des hésitations quant à l'élaboration
des principes clairs de politique africaine. Bill Clinton a posé le
principe de la diplomatie commerciale : « l'accent est mis sur le
potentiel économique de l'Afrique. Washington, dont l'objectif est de
réduire la dépendance énergétique nationale
à l'égard du golfe Persique, souhaite accroître ses
importations pétrolières en provenance de l'Afrique occidentale,
de 15 % en 2001 à 25 % en 2020 ».111 Sous Bush junior la
politique africaine des USA était guidée par le principe de
sécurisation préventive, lequel principe passe par une politique
tournée vers le développement économique, le renforcement
du processus de démocratisation du continent et la prévention du
sida. Après le 11 septembre, le principe de sous traitance militaire
s'est ajouté à ceux existant déjà.112
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