3.3 Le chemin vers la liberté d'écriture
Parler de la littérature tchadienne en terme de
liberté, c'est faire référence à la censure qui a
sévi sur les oeuvres littéraires en temps de dictature,
étudier les effets des grandes et longues guerres fratricides qui ont
poussé les intellectuels à l'exil et qui n'ont pas
été favorables à la mise en place des instances de
production, de diffusion et de consommation de la littérature. Asguet
Mah affirme cependant que la liberté était l'objet de recherche
des écrivains tchadiens : « Dans un pays où l'individu
est traqué, affamé, il est de tout temps en exil, la
liberté constitue un outil de démarcation et
d'épanouissement» (Asguet, 2007 : 2). Cette quête de
liberté et de justice est une piste de recherche dans les textes de
fiction d'auteurs tchadiens qui ont produit en dehors du Tchad.
En effet, en ce temps de trouble et
d'insécurité, personne ne pouvait penser à l'oeuvre de
l'esprit. Seuls ceux qui ont pu sortir hors des frontières nationales
ont produit des oeuvres de fiction. Au niveau du pays, beaucoup de personnes
ont dû, de temps en temps, quitter la ville pour trouver refuge au
village auprès des leurs parents.
La démocratie et la liberté «
véhiculées » par le président Idriss Déby ont
été favorables à la mise sur pied d'une institution de la
littérature dynamique. C'est d'ailleurs
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pour cette raison que nous avons préféré
faire une analyse sociologique de la littérature tchadienne, de ses
instituions pour voir ce qui existe et ce qui manque pour une
littérature nationale digne de ce nom.
L'activité d'édition n'a été
entreprise au Tchad que sous Déby. Que ce soit les actions des
missionnaires xavériens de Pala, du CEL et du CRP de Sarh, en province
ou de l'ADELIT, du CCF, du RLPT, du SBL à N'Djaména, leur
début ne remonte pas avant l'ère débyienne. Du coté
des écrivains, les plumes sont « déliées ». La
seule maison d'édition, Sao a édité, en dix ans, une
vingtaine d'oeuvres littéraires dans sa collection «
littérature tchadienne ». Ceci est la moitié de ce que les
Tchadiens ont produit pendant quarante ans, en Europe, en Afrique et au niveau
du pays. Ce progrès n'est pas seulement à mettre à l'actif
de cette maison, mais aussi au compte des centaines de jeunes qui ont pris
connaissance de la nécessité d'écrire et jouissent
actuellement de la totale liberté d'expression pour produire des
oeuvres. Cette réalité est valable pour ceux qui se sont
tournés vers le centre Al-Mouna, le CEFOD ou à l'extérieur
pour écrire des textes comme République à vendre,
sans être gêné.
Il faut néanmoins reconnaître que la
littérature tchadienne dans ce domaine de la production est
sous-développée. Il y a des difficultés au niveau
linguistique, poussant les créateurs au doute de franchir les portes des
maisons d'édition qualifiées. Ces maisons ont aussi de
problème d'expérience et de diffusion au niveau du marché
intérieur. Nous réitérons les propos de Chevrier pour dire
que :
Si la multiplication au cours de ces dernières
années de maisons d'édition
africaines a permis à certains auteurs d'être
publiés sur place, les conditions du marché sont telles que le
livre demeure encore pour la plupart des Africains un objet de luxe inabordable
en raison de son prix élevé. Cette situation s'explique par
plusieurs raisons : le manque d'expérience des éditeurs, la
médiocrité du circuit de diffusion et surtout l'absence criante
d'une réelle politique de la lecture publique, seule susceptible de
familiariser l'opinion avec la chose littéraire. (Chevrier, 1981 :
9).
L'économie est une des causes de la sous-production.
L'acquisition du moyen financier est incontournable pour l'éveil d'une
volonté d'écriture. C'est elle qui conditionne la large
distribution du produit. Malgré le nombre restreint de tirage par titre
(200 à 500 copies), au début des années 2000 chez Sao,
à N'Djaména, le stock reste inépuisable. On est encore
loin d'une idée de réédition au niveau local. Le prix et
le nombre de pages donnent matière à
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réflexion chez ceux qui n'ont pas l'habitude de lire.
Sao est cependant disposé à éditer en arabe et en
ngambaye.
Ce chapitre nous a permis d'identifier les différentes
étapes de l'histoire politique du Tchad. Les colonisateurs ont
trouvé des rois et des conquérants redoutables lors de leur
pénétration au Tchad. Ceux-ci les ont combattus pour «
stabiliser » le pays. Après les indépendances, il y a eu une
période de stabilité au début du règne de
Tombalbaye, puis ont survenu des rebellions à
répétition.
Les dissensions politiques et les luttes armées qui ont
ensanglanté le pays ont poussé les créateurs à
partir pour l'Europe, le Canada et l'Afrique de l'Ouest. Volontaires ou
contraints, ces jeunes ont erré sur le chemin de l'exil. Témoins
des situations sociopolitiques, les écrivains se nourrissent de ces
souffrances et puisent leur force dans cette exclusion.
Depuis 1990, la démocratie porte des fruits admirables.
Malgré quelques mécontentements et des coups d'État
manqués, le Tchad tend vers une stabilité politique. Les
romanciers, poètes, nouvellistes, autobiographes, essayistes et
critiques ont commenté ces époques, ont utilisé leurs
ancrages spatiaux et temporels pour produire leurs textes et critiquer ou
moraliser les Tchadiens. Une étude intertextuelle peut
révéler des ressemblances et des parodies certaines (au vue de
notre lecture).
Le résultat obtenu dans ce chapitre est que le pouvoir
politique a été un facteur de violence. Il a freiné
l'épanouissement de la littérature par les coups d'État,
les guerres civiles et militaires. Ces conflits, non seulement ne permettaient
pas aux tchadiens de s'aimer et de s'unir pour le développement
socio-économique, mais ils ont rendu inutiles les efforts de ceux qui
voulaient s'installer à leur compte dans le domaine littéraire.
Car en temps de troubles, l'insécurité, la répression et
les moyens financiers ne permettent pas aux écrivains de nourrir,
sécuriser les proches parents et progénitures, et d'écrire
des livres. Donc, le contexte politique n'a pas été favorable
à l'écriture et il n'existait pas des instances de production
reconnues avant l'avènement de la démocratie en 1990. Ceci nous
conduit à l'étude du contexte socio-économique et culturel
de la production littéraire tchadienne écrite d'expression
française.
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