2.2 Les structures européennes : en France
Quand il est question d'écriture et d'édition en
Afrique, la question de centre et de
périphérie est toujours posée. Ainsi les
préoccupations de V. S. Naipaul, reprises par Elsa
Schifano restent d'actualité :
Pour inscrire votre nom sur le dos de l'objet
matériel créé, vous avez besoin de maisons
d'édition et d'éditeurs, de dessinateurs, d'imprimeurs, de
relieurs ; de libraires, de critiques, de journaux et de revues [...] et
naturellement d'acheteurs et de lecteurs [...] Ce genre de
société n'existait pas à Trinité54. Si
je voulais être écrivain et vivre de mes livres, il me fallait en
conséquence partir [...]. Pour moi à cette époque, cela
voulait dire partir en Angleterre55. Je voyageais de la
périphérie, de la marge vers ce qui, à mes yeux,
représentait le centre ; et mon espoir il y aurait de la place pour moi.
(Schifano, 2003 : 67)
Naipaul éprouve le même besoin que tous les
auteurs africains à l'instar de ceux du
Tchad. La France est le centre d'attraction des jeunes
africains francophones, là est née la littérature
africaine, la négritude, la revendication des valeurs noires. Les
Africains après les indépendances sont confrontés à
un problème d'édition. Ainsi les éditeurs européens
et surtout français reçoivent les manuscrits provenant d'Afrique
à nombre croissant.
53 Assistante de direction à la Banque des
États de l'Afrique Centrale, primée lors de « La fureur de
lire», auteure de L'Enfant rebelle (N'Djaména, PACT, 1994)
54 Disons au Tchad d'avant 2000.
55 Disons France, pour les francophones.
155
- Les maisons d'édition françaises et les
collections africaines
Les éditeurs créent des collections africaines
que plusieurs chercheurs critiquent et dénoncent l'amalgame, quand on
rassemble des oeuvres qui n'ont rien de commun. Mais les éditeurs
parlent de visibilité pour justifier le regroupement des auteurs
inconnus de la périphérie. La maison d'édition Le serpent
à plume, trouve anormale que moins d'attention soit accordée
à la littérature africaine et ou francophone en France et
s'intéresse aux "littératures périphériques". Les
autres éditeurs se sont également intéressés et on
assiste ainsi à une bataille éditoriale.
Parmi les maisons d'édition spécialisées,
nous citons en première place Présence Africaine, fondée
en 1949 (deux ans après le premier numéro de la revue
éponyme) par Alioune Diop. Cette maison a oeuvré pour la
promotion de la littérature africaine. Présence Africaine a un
objectif double dès sa création. Elle définit la
spécificité africaine (surtout sur le plan culturel) et favorise
l'insertion du continent dans le monde moderne. L'oeuvre de Présence
Africaine est suivie par plusieurs petites maisons à caractère
artisanal et parallèle à Paris pour l'édition des oeuvres
d'Africains.
En 1971, ÉDICEF voit le jour avec pour ambition de
répondre aux attentes du public francophone de l'Afrique et de
l'océan Indien. Cette édition est essentiellement scolaire.
Néanmoins elle a une collection littéraire riche en titres.
Les éditions L'Harmattan fondées en 1975,
spécialisées en pluridisciplinarité ont une collection
réservée à la littérature africaine : "Encres
noires" pour la fiction et plusieurs autres : Polars noirs, Poètes des
cinq continents, Théâtres des cinq continents, Légende des
Mondes, Mémoires africaines, etc. L'Harmattan et Présence
Africaine jouent un rôle de tremplin pour beaucoup d'écrivains
africains.
Karthala, créée en 1980 a une collection
dénommée « lettres noires ». Elsa Schifano avoue que
:
Les éditions Karthala répondent à un
besoin de nouvelles approches des problèmes de l'Afrique et des autres
pays du Sud et cherchent ainsi à favoriser l'émergence de la
réalité contemporaine de ces pays, qu'ils expriment dans la
recherche et la réflexion scientifique, l'engagement politique, les
domaines (agriculture, éducation, santé) ou l'écriture
littéraire. (Schifano, 2003: 79)
156
Dans les maisons d'édition généralistes,
la place de la littérature est aussi d'or. La collection Monde noir
poche de Hatier (1980) a édité des textes d'auteurs africains, Le
serpent à Plumes (1993) a révélé au monde plusieurs
auteurs du continent noir (50% du fonds francophone, selon Elsa). Actes Sud,
Gallimard, Moreau, Seuil, Albin Michel ne sont pas en reste. La collection
Dapper-littéraire créée en 2000, la même
année que la maison d'édition Dapper est également ouverte
à la littérature africaine. En théâtre, deux maisons
se sont spécialisées : Le bruit des autres (en 1991 à
Limoges) et Lansman (Carrières, 1992).
Malgré les efforts de ces maisons d'édition, la
visibilité et l'unité des oeuvres africaines restent
contestées : les voix sont trop éparpillées. Disons que
quand les Africains passent d'éditeur en éditeur, ils deviennent
moins repérables. Nous avons fait le tour des grandes maisons
d'édition qui sont supposées avoir édité
d'écrivains africains, en France. La liste n'est pas close mais ce qui
nous intéresse est de savoir chez qui les Tchadiens, «
imperceptibles » en Afrique, publient leurs oeuvres. Le pourquoi pourra
s'en suivre.
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