3.1 Les poètes de renommée internationale
Les guerres et les violences politiques ont poussé des
milliers de jeunes tchadiens à l'exil. Pendant la dictature, le manque
de liberté et la recrudescence de l'oppression, ces jeunes,
témoins de l'histoire sociopolitique retracent dans leurs poèmes
les désespoirs et les espérances. Les oeuvres de ceux-ci, bien
que produites et éditées à l'extérieur du Tchad,
sont pleines du déséquilibre lié à
l'éloignement. Quatre poètes au niveau international ont produit
huit recueils de poèmes. Bourdette-Donon (2000) reconnait que :
Que ce soit chez Nimrod, qui vit et écrit à
Paris, chez Moïse Mougnan et Abdias Nébardoum refugiés
à Montréal ou chez Koulsy Lamko, errant entre
Lomé,
Limoges et Ouagadougou, on retrouve au niveau des mondes
forgés par ces poètes, un même tiraillement
généré par leur appartenance souvent conflictuelle,
à plusieurs cultures, à des systèmes de valeurs
différents. (Bourdette-Donon, 2000 : 17)
Le résultat de l'enquête présente les
poètes suivants : Nimrod Bena Djanrang, Koulsy Lamko, Moïse
Mougnan, Nébardoum Derlemari Abdias et Nocky Djédanoum. (Annexe
1, question 20).
Le philosophe Nimrod Bena Djanrang est une grande figure en
poésie tchadienne. Il s'impose dans ce domaine par Silence des
chemins (Pensée universelle, 1987, connu par 10% des
enquêtés, Pierre, poussière (Obsidiane, 1989),
connu à 20% et Passage à l'infini (Obsidiane, 1999),
connu à 10%. Le poète donne sens et vie au silence, celui du
départ, de la peur, du découragement. Pour ne pas tomber dans le
« silence totalitaire », dans son premier titre, le poète
essaye de rendre compte du silence à travers les chemins. Pierre,
poussière est l'évocation de la mort, cette mort qui est
éternel recommencement. La plaine de Ham est de
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refuge de la mort et l'harmattan est l'agent de celle-ci et
l'herbe folle ses vestiges. Le poète est convaincu enfin que tout sur la
terre est passage à l'infini, un cycle sans fin.
Koulsy Lamko est dramaturge mais, occupe-t-il une bonne place
parmi les poètes grâce à des poèmes engagés
qu'il rédige, déclame et place quelquefois dans ses pièces
de théâtre. Ces poèmes les plus célèbres sont
La Danse du lab et Terre bois ton sang, tous deux parus dans
Exil en 1994 et connus respectivement à 15% et 25% des
enquêtés. On retrouve également le premier poème
dans Mon fils de mon frère (pièce de
théâtre). Les jeunes hommes sortis nouvellement de l'initiation
dansent au lab. Terre bois ton sang est une chanson des morts errants
à la recherche d'une sépulture. Elle est aussi une danse
permettant aux revenants de rejoindre leur tombe dans La phalène des
collines.
Dans ces poèmes, on découvre une volonté
de décrire l'ailleurs pour dissiper les souffrances. Dans
Exils, le poète exprime correctement cette révolte en
ces termes : « Le Tchad lui-même est un théâtre
où se jouent toutes les passions inspirées par Thanatos ! Il y a
tout pour bâillonner les muses, les faire s'envoler de toutes leurs
petites ailes. Heureux que l'on puisse encore chanter, même dans la
douleur» (Koulsy, 1994 : 28)
Moïse Mougnan est le deuxième poète
prolifique après Nimrod, mais il est moins lu au Tchad. Ses textes
représentatifs Le Rythme du silence et Des Mots à
dire (éditions d'Orphée, 1986 et 1987, Montréal) sont
cités respectivement à 25% et 10% par les enquêtés.
Ces deux recueils combattent de par leur contenu le silence qui est complice
selon le poète. Il le substitue par le cri et les mots contre la
dictature. Mougnan résume sa pensée inspiratrice dans Le
Rythme du silence :
En tant qu'être humain, je ne peux pas être
insensible aux malheurs de millions de mes semblables [...]/Je ne peux pas
être sourd aux cris de douleur des orphelins, des veuves, des
opprimés [...]/ Et en tant que poète, je ne peux pas être
silencieux au génocide de mon peuple car mon silence sera synonyme de
complicité et de lâcheté. (Mougnan, 1986 :
préambule).
Dans Des Mots à dire, c'est toujours le
thème de l'engagement, celui-ci est pour le poète, une
obligation, un devoir : « Je crierai [...]/ Car de ma bouche sortira
toujours une flèche [...]/Alors tous les hommes auront droit au soleil
[...]/ Une femme criera « Liberté » [...]/Afin que la terre
devienne terre» (Mougnan, 1986, op. cit, in Taboye, 2003: 318). Le
poète reconnait qu'ils étaient plus de 500 000 personnes à
partir. Mais il est optimiste quant à
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l'issu de ce combat: « A travers les chemins qui vont
de Sarh/Moundou/À Abéché/Se construiront des routes qui
mèneront à bâtir/Un pays/Nouveau. (Mougnan,
1987,"croire encore" : 20). Ayant constaté que « les routes de
l'exil/ ce sont toujours des routes de rupture. / [...] de fracture/ [...] de
déchirure» (Mougnan, 1987, "l'Exil": 23), le
poète désire, à la même page, être le dernier
exilé : « Mon Dieu, faites de moi le dernier exilé de
mon pays ! ».
Nébardoum Derlemari Abdias voit en la poésie,
une arme pour délivrer les opprimés. C'est pour cela qu'il
s'engage aussi fermement que Moïse Mougnan. Abdias avait produit des
textes critiques sur l'instabilité politique parmi lesquels Le
Labyrinthe de l'instabilité politique au Tchad (Paris, L'harmattan,
1998). Il a d'autres ouvrages, analyses et synthèses de débats
à son actif. Cris sonore (édition d'Orphée,
Montréal, 1987) est le premier texte qu'il inscrit sur la liste des
poètes tchadiens. Dans ce recueil cité par 10% de la population
enquêtée, il dénonce la situation catastrophique du pays.
Pour Taboye :
Le poète ne fait pas que dénoncer
l'imposture, la dictature, il accuse le monde et l'Afrique
d'indifférence et de complicité. Il refuse de se résigner,
et crie son incompréhension et son impuissance. Il continue
d'espérer et l'espoir pour lui réside dans la poésie ;
c'est là qu'il crie sa douleur et sa déception (Taboye, 2003
: 290).
Le poète regrette qu' « Il y a un dictateur
/Qui fait/Ces millions d'exilés/Ces millions de
réfugiés/Ces millions d'apatrides... »
(Nébardoum, 1987, "apatride" : 35.) Le poète
regrette également que la France put abandonner le Tchad au chaos :
« quelle nourrice/ Ne donne que pus/Au nourrisson affamé
?/Dites/Quel pasteur/Ne mène son troupeau/Que par les sols arides ?/
[...] Souffrance de sous-France/ N'en finit et/Souffrance de
sous-France/ça saoule la France» (Nébardoum, 1987,
"souffrance" :18) Pour ne pas garder le silence complice, le poète
préfère écrire un poème qui ne sera fait ni de
vers, ni de prose, moins encore de mots, mais de cri, le cri de son peuple. Il
estime que ce cris éveillera ceux qui dorment sur les hécatombes
des enfants de son peuple sera « Le cri/D'un enfant/Qui
criera/LIBERTÉ» (Nébardoum, 1987, "J'écrierai un
poème" : 50). Par un "je" maître du discours, le poète ne
perd jamais espoir. Puisqu'un dictateur fait partir de millions de personnes,
le poète peut défendre ceux-ci : « Puisque
j'espère/Je me tiendrai/Devant le tribunal du
monde/J'élèverai ma voix/Que ma voix retentisse jusqu'aux
extrémités de la terre/
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Je réclamerai/Justice/Paix/Liberté/Pour les
millions de coeurs désespérés»
(Nébardoum, 1987, "Puisque j'espère" : 20).
L'auteur de la pièce : Illusions,
primée par le CTI de RFI, Nocky Diombang Djédanoum est connu dans
le monde littéraire par les oeuvres théâtrales et son
engagement pour le festival de littérature des arts et médias
qu'il dirige depuis 1994 dont il est le fondateur. Dans le cadre du projet
collectif « Rwanda : écrire par devoir de mémoire », il
écrit Nyamirambo (Lille, Fest'Africa et Bamako, le figuier,
2000, le titre de ce recueil de poème est le nom d'un quartier de
Kigali, la capitale rwandaise, et qui veut dire « amoncèlement
de cadavres, colline ou montagne de cadavres, et cela bien avant même le
génocide de 1994 » (Taboye, 2003 : 332). Ce texte connu par
25% de la population enquêtée fait de lui le poète de la
mort, le dénonciateur des crimes. Les évènements de 1994
ont rendu le quartier de tous les espoirs un lieu de désespoir et de
haine : « Depuis ce jour d'avril 1994/Où le soleil a
éclipsé derrière des collines sans crier gare/ [...]/La
terre de nos rêves/Est devenue terre que je peine à nommer »
(Nocky, 2000, cité par Taboye, 2003 : 334). Le poète ne
désespère pas malgré cette déception, il
préfère réorganiser cette terre et donner espoir à
ceux qui y vivent. C'est pourquoi il dit à cet effet : « Quoi
que je dise/Quoi qu'elle fasse/Terre de tous les noms/Cette terre est
mienne» (Nocky, 2000, cité par Taboye, 2003 :334.).
L'analyse faite des poètes et de leurs oeuvres peut se
présenter de la manière suivante :
N°
|
Auteurs
|
OEuvres
|
Pourcentage
|
Achat
|
Visibilité
|
Lecture
|
1
|
Nimrod Bena Djanrang,
|
Silence des chemins
|
|
10
|
|
Pierre, poussière
|
5
|
20
|
5
|
Passage à l'infini
|
|
10
|
|
2
|
Koulsy Lamko,
|
Danse du lab
|
|
15
|
|
Terre bois ton sang
|
|
25
|
|
3
|
Moïse Mougnan,
|
Le Rythme
|
|
25
|
|
Des Mots à dire
|
|
10
|
|
4
|
N. Derlemari Abdias
|
Cris sonore
|
|
10
|
|
|
Nocky Djédanoum
|
Nyamirambo
|
|
25
|
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Tableau V : Les poètes de renom suivis de leurs
recueils représentatifs
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