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La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

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par Robert MAMADI
Université de Ngaoundéré - Master ès Letrres 2010
  

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Chapitre 3 : Les facteurs littéraires et historiques

L'émergence d'une littérature dans un contexte postcolonial pose non seulement « un problème de ses rapports avec la littérature du pays colonisateur, mais aussi celui du cadre institutionnel dans lequel elle va se développer» (Salaka, 2003 : 4). C'est pour cela qu'il est préférable de voir les pensées développées par quelques Français ayant vécu au Tchad afin de dire en quoi ils ont influencé (ou non) les écrivains tchadiens. Le champ littéraire étant « un espace de concurrence dans lequel s'affrontent pour avoir un profit matériel et/ou symbolique, des producteurs dont les positions, à un moment donné de l'histoire du champ, dépendent à la fois de leurs dispositions initiales et de la permanence de leur prise de position» (Mouralis, 2001 : 50). Cette notion devient réellement opératoire qu'à partir du moment où ce champ devient autonome par rapport aux champs politique et économique. Les associations, les concours, les représentations et les prix auxquels une étude est consacrée sont les conséquences de cette indépendance. Les problèmes linguistique, religieux et culturel sont au contraire des éléments externes au champ littéraire mais qui méritent d'être analysés parce que selon leur appréhension, ils influencent aussi négativement que positivement la production littéraire.

1. Les écrits du colonisateur sur le Tchad.

Les Blancs ont plusieurs visées quand ils entreprennent des voyages ou des longs séjours en Afrique : l'exploitation des riches au profit de leurs pays d'origine, l'instruction des Noirs, l'évangélisation, l'assistance militaire et technique, le tourisme, etc. Expatriés, en contact avec l'Afrique, ils ont une formation ou une prédisposition leur permettant de s'intégrer dans un domaine par plaisir personnel ou en respectant l'ordre de leurs supérieurs hiérarchiques. Ceci est une piste de recherche en ce qui concerne les écrits coloniaux. Au début du 19e siècle, l'esprit colonialiste de la 3e République française ont fait du Noir un « vrai sauvage », un primitif, un barbare. Malgré cela, le contact du colon avec l'indigène produira en lui un esprit d'altérité. Vera-t-il devant lui un autre Moi, bon à découvrir. C'est pour cela que le XXe siècle marquera un regain d'intérêt et de curiosité pour les peuples et les civilisateurs exotiques. Le zèle colonial apostolique et militaire poussera les européens à produire des oeuvres classées dans les lignages de la littérature coloniale, de l'exotisme. Pour Jacques Chevrier :

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Le héros romanesque de toutes ces oeuvres est le soldat français exilé, dont la présence n'est le plus souvent qu'un prétexte permettant de dévoiler le monde malsain de la colonie où cohabitent sur un fond différencié de misère indigène, toute une faune de déclassés et d'aventuriers déchus par l'action conjuguée de l'alcool, de la drogue et des femmes. (Chevrier, 1984 : 17)

Dans cette logique s'inscrivent également les textes de : Ernest Psichari (Terres de soleil et de sommeil), Maurice Delafosse (L'âme nègre), André Gide (Voyage au Congo et Le Retour au Tchad), Michel Leiris (L'Afrique fantôme), Victor Segelen (Immémoriaux), Albert Londres (Terre d'ébènes), sans oublier ceux de Joseph Conrad et de François Céline. Ces oeuvres ont inspiré les premiers écrivains africains. De même, au Tchad, il y a une littérature coloniale publiée en France, fruit des séjours des occidentaux au pays dans le cadre de l'armée, de la religion chrétienne et des voyages d'aventure et de stage pour le ministre des colonies. Ces oeuvres que nous regroupons ici en trois catégories ont permis aux Tchadiens de savoir qu'il est aisé d'écrire des textes littéraires avec pour ancrages référentiels son propre pays. Dans ce cas, l'existence des écrits d'auteurs venant d'ailleurs est un facteur non négligeable à la connaissance de la genèse de la littérature tchadienne écrite d'expression française et au choix de Paris comme ville d'édition.

1.1 Les écrits à caractère pédagogique et spirituel

L'instruction et l'oeuvre pastorale sont une forme d'humanisme de la part des Blancs qui, dans le cadre de la coopération, décident de mettre leur connaissance académique et religieuse à la disposition du Noir.

Andrée Clair25 s'installe à Bongor au Tchad, après le Congo Brazzaville. Ses oeuvres Moudaïna (Dakar-Paris, NÉA-ÉDICEF, 1986) et Tchinda, la soeur de Moudaïna (Dakar-Paris, NÉA-ÉDICEF, 1988) sont des romans de formation, tout comme Ursu, l'enfant de la brousse (Paris, Alsatia, 1961) du père Gabriel Rey, écrit un temps bien avant. Moudaïna et Ursu, les protagonistes sont deux jeunes Massa26 qui ont suivi l'initiation et l'école nouvelle, et espèrent à une profession d'enseignant ou de médecin. Clair, enseignante et Gabriel Rey,

25 Française, titulaire d'une licence ès-lettres spécialisée en sciences humaines et professeur de lycée.

26 Ethnie majoritairement installée au Mayo-kebbi, au Sud du Tchad.

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prêtre (alias Buna Valamu) donnent, chacun dans son oeuvre, sa vision du monde. Moudaïna, le roman réaliste de A. Clair est construit autour d'une intrigue simple : en 1945, au Tchad, à Bongor, un enfant de 9 ans vit heureux, avec pour activités quotidiennes la pêche, la chasse et l'école. Madame Libert vient au collège comme professeur avec sa fille Hélène, qui sera amie à Moudaïna. D'aventures en aventures, Clair a voulu montrer dans son livre « que les gens, à travers le monde, quelles que soient leurs différences ont tant de ressemblances... » (Clair, 1986 : préface). La preuve est que Moudaïna, le fils de Tchouka et de Sounigué vit dans une famille avec Yassedi, son aînée, ses petits frères Soudsia et Tchaidoum et sa petite soeur Tchinda. L'auteur décrit la vie et les activités des Massa : la pêche, la chasse, l'agriculture, l'élevage, l'habitat et le ménage. Son personnage Hélène admire « les femmes Peules [...], les jolies Arabes [...], les femmes Saras [...], les Hohos [...], les femmes Massas, etc.» (Clair, 1986 :36).Elle regarde aussi les hommes : « Les Musulmans [...], les Massas [...], les fonctionnaires etc.» (Clair, 1986 :36). Moudaïna, quant à lui est embarrassé. Après l'initiation il reçoit des instructions : « Ne parle jamais du laba à ceux qui ne sont pas initiés. Si tu en parles, tu mourras. Ceux qui ne sont pas initiés [...], les fillettes, les jeunes garçons, les femmes, les Blancs.» (Clair, 1986 : 76). C'est la discrétion. Pour que Moudaïna puisse devenir docteur, l'auteure donne une visée pédagogique à son livre : « Il n'y a pas d'écoles en Afrique. Trop d'enfants y restent illettrés. Mme Libert se jure en elle-même qu'elle fera tout son possible pour que Moudaïna ne le reste pas» (Clair, 1986 : 61).

Pour finir avec l'instruction reçue par les Massas, Clair choisit d'écrire Tchinda, la petite soeur de Moudaïna. Ce sont les aventures (voyages, tornades, apparition de lions, fuites devant un rhinocéros, naufrage, etc.) qui donnent un caractère exotique a ce roman. Tchinda est l'histoire d'une famille heureuse en pays massa, au moment où le modernisme n'a pas encore ébranlé les traditions. C'est la continuité de l'histoire du collégien Moudaïna. La fillette éponyme s'occupe de ses frères et observe avec attention les activités féminines qui seront les siennes un jour à l'autre. Elle est passionnée par la chasse, la pêche et les soins que sa mère accorde aux animaux. En somme, les Massas sont un peuple comme les autres au centre de l'Afrique. Ils ne sont pas, selon Clair, si sauvages pour être colonisés et civilisés.

Buna Valamu est ému dès sa dédicace à sa mère, qui lui dit toujours : « Il ne faut mépriser personne. L'humble haillon peut cacher un coeur d'or.» (Valamu, 1961 : dédicace). Les réalités africaines sont chantées à travers les épisodes d'Ursu, fils de Figaussou : palabres, querelles, garde de chèvres ou des boeufs, tornade, initiation, etc. La représentation humaniste

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se lit ainsi dès la dédicace, où Buna ajoute en reproduisant le point de vue de l'un de ses amis du Centre de l'Afrique, à qui il dédie le texte en second lieu :

Des blancs qui entrent en contact avec notre race, les uns jugent au premier coup d'oeil, ils disent .
· « - Les sauvage ! Ils vivent nus.» d'autres nous regardent et disent, avec condescendance qui se voudrait paternelle .
· «- Ce sont des enfants» Enfin quelques-uns, mais, rares se taisent d'abord et, lorsqu'ils ont vécu près de nous et avec nous, et parce qu'ils nous aiment, pensent et, quelques fois disent .
· «-

Ce sont des hommes comme tous les hommes ; ils valent autant que quiconque.» (Valamu, 1961 : dédicace)

Buna Valamu est de ceux qui estiment que les Noirs sont des « hommes comme tous les hommes », malgré sa lutte sans cesse contre le paganisme ancestral. À force d'observer Ursu, Buna, le missionnaire, l'a recréé avec une philosophie nouvelle, celle de l'humanisme, de l'admiration et de l'intelligence des « sauvages ». À travers sa vie, l'auteur donne à lire une information suffisante sur la vie du peuple autochtone massa : la famille, l'agriculture, la dot, les rites et coutumes, etc. La garde des troupeaux, la qualité thérapeutique de la médecine traditionnelle que le médecin admire « ils ont parfois d'excellents remèdes [...] ce répulsif a sauvé la vie de l'enfant » (Valamu, 1961 : 33) et la maîtrise des travaux physiques sont des acquis pour le protagoniste. Le ménage, la garde des chèvres, voici une formation complète et ordonnée pour tous les Ursu du monde massa. La profession fixe du jeune survient après l'initiation. C'est à ce peuple « civilisé » que le missionnaire Buna a affaire pour l'évangile du salut. Ce schéma éducatif traditionnel exclut l'idée de la sauvagerie africaine.

Dans cette logique s'inscrivent les oeuvres de Marie Christine Koundja et de Haggar qui prônent l'unité, la solidarité et l'amour du prochain. Ces derniers donnent leur vision de la formation et de la religion au Tchad comme l'ont fait Clair et Buna. Un peu avant eux, Bangui a décrit d'une manière autobiographique la formation de l'enfant dans Les Ombres des Kôh.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery