1-3- Objectifs
Pour parvenir aux réponses à nos diverses
questions, nous avons défini des objectifs précis.
1-3-1- Objectif global
Contribuer à une meilleure connaissance du Sambaanidu
point de vue mutations intervenues du fait de sa coexistence avec le
christianisme et l'islam.
1-3-2- Objectifs spécifiques
· Recenser les fonctions sociales du rituel Sambaani.
· Présenter les changements intervenus dans le
rituel du fait des autres religions.
1-4- Clarification Conceptuelle
Dans l'optique d'une meilleure compréhension du sujet
de recherche, la clarification de certains concepts s'avère
indispensable. Il est nécessaire pour le sociologue ou l'anthropologue
de "définir les choses dont il traite afin que l'on sache et qu'il sache
bien de quoi il est question. Cela relève de la rigueur
méthodologique selon laquelle une théorie n'est valable que si
l'on identifie la réalité qu'elle représente" (DURKHEIM,
1957 : 149).
Le rituel désigne l'ensemble du déploiement
cérémoniel dans lequel s'insèrent différents rites.
Ainsi le rite est d'abord un acte symbolique verbal et/ou gestuel par lequel
l'homme tente de communiquer avec des êtres ou des puissances ; le
propre du rite est d'être prescrit, codifié,
répété et réalisé en vue d'obtenir un effet
déterminé. Pour CAZENEUVE, (1971, 334) « le rite est un
ensemble codifié d'actes, de gestes, de paroles, d'objets
manipulés et de représentation associées qui se
répète chaque fois que surviennent d'une manière
périodique ou aléatoire les événements et les
circonstances auxquels il est lié ». L'ensemble des
manifestations, des comportements, des pratiques se rapporte au rite qui est un
fait. Dans la société baatonu, Sambaani ou koro est un rituel
dans lequel sont honorés les génies tels que les
wèrèkunu qui peuvent avoir pour nom
Bio (génie du singe. Chez le Baatonu, on
appelle le singe Bio parce qu'on le considère
comme l'ancêtre de l'homme), Maré
(génie du Pullo ou Peulh. On
croit que le Peulh pourrait venir d'une région que l'on ignore),
Kpireru (génie d'hippopotame. Un animal qui
incarne la force), Gariboko (génie du niais.
L'enfant niais est considéré comme un esprit) et
Kpanro(génie de lépreux).
Le mythe quant à lui, selon le dictionnaire est un
récit qui se veut explicatif et fondateur d'une pratique sociale. C'est
aussi une parole choisie par l'histoire. Il est porté à l'origine
par une tradition orale, qui propose une explication pour certains aspects
fondamentaux du monde et de la société qui a forgé ou qui
véhicule ces mythes. Les groupes et les individus fondent leur
identité sur un mythe personnel au sens du récit approprié
et mis en représentation afin d'obtenir l'approbation et la
reconnaissance d'autrui. Il traite toujours les questions qui se posent dans
les sociétés qui les véhiculent. Le mythe a un lien direct
avec la structure religieuse et sociale du peuple et avec la cosmogonie.
Réciter le mythe produit une recréation du monde par la force du
rite. L'exigence du sacrifice est l'un des plus puissants et le mythe n'est pas
récité n'importe quand mais à l'occasion des
cérémonies comme le mariage, les initiations et les
funérailles. Cela veut dire à l'occasion d'un commencement d'une
transformation ou terminaison dont il rend compte. Le mythe se distingue de la
légende (qui suppose quelques faits historiques identifiables), du conte
(qui se veut inventif sans expliquer), et du roman (qui explique avec peu de
fondements).
Le mythe et le rite concourent donc à l'identité
de l'individu. Ces deux mots ont en commun une charge de sacralité
très prégnante. Le lien entre mythes, rites et identités
peut donc être perçu comme un élément de l'histoire
des représentations.
Dans une perspective anthropologique, la culture se
définit comme ce qui dans le milieu est dû à l'homme.
Effectivement, l'homme seul est capable de culture et c'est ce qui le distingue
des autres animaux bien que tous les deux soient à la fois des
êtres biologiques et sociaux. « Une culture est le mode de vie
d'un peuple ; alors qu'une société est l'ensemble
organisé d'individus qui suivent un mode de vie donné. Plus
simplement, une société se compose d'individus, la manière
dont ils se composent constitue une société »
(Herskovits, 1967). Ainsi, la culture pourrait être simplement
considérée comme la vie d'une société. L'auteur
reconnaît toute fois que la définition de Tylor apparaît
comme l'une des plus élaborées. Ce dernier définit la
culture comme « un tout complexe qui inclut les connaissances, les
croyances, l'art, la morale, les lois, les coutumes et autres dispositions et
habitudes acquise par l'homme en tant que membre d'une
société ». Cette définition, qui
insiste sur le rôle primordial de l'apprentissage, induit
également une étude comparative « des »
cultures humaines. Tylor est le premier à aborder les faits culturels
dans leur ensemble et leur systématisme ; il prend ainsi ses
distances avec la théorie « radicale » de
l'évolution linéaire, incarnée par Lewis Morgan.
Considérant que l'intellect humain est universel, il défend
l'idée de stades d'évolution plutôt que d'une nature
différente entre sociétés
« primitives » et sociétés
« civilisées ».Nous pourrons dire que la culture,
c'est le mode de vie de l'homme collectif, un mode de vie découlant de
la conception de la vie et des expériences. Elle est traversable
à tous les domaines de la réalité sociale. Ainsi, l'homme
ne se comprend que par sa culture à laquelle il donne un sens en usant
de symbole.
La cérémonie est une forme extérieure et
régulière d'un culte, d'un événement de la vie
sociale.
"Cohésion sociale" constitue un processus à la
fois de construction et de consolidation des liens sociaux entre les
différents segments d'une société. Et c'est bien
évidemment ce processus qui permet et assure les productions
matérielles et immatérielles. Les immatérielles (pratiques
religieuses, etc.) qui prolifèrent et multiplient les besoins à
tel point que le vocabulaire vient parfois à manquer de les nommer, ne
constituent qu'un pan de la réalité culturelle. En tant que
produit immatériel qui ne s'offre pas à la vue et affecte le
sens, le rituel n'est compris et assimilé véritablement que dans
son rapport avec un milieu ou des circonstances de pratique ; d'où
s'en dégagent des lois, un ordre, un système d'obligations, des
privilèges etc. Il s'offre à la consommation qui s'entend comme
un mode actif de relations, d'activités systématiques et de
réponse globale sur lequel se fonde le système culturel. C'est
dire donc que le Sambaani doit être mis en rapport avec son milieu de
production afin de saisir les fonctions manifestes ou latentes qu'induit son
pratique.
1- 5- Etat de la question
« La recension des écrits constitue la pierre
angulaire de l'organisation systématique d'une recherche. Aucun
chercheur sérieux n'oserait entreprendre une recherche sans avoir au
préalable vérifié l'état de la question sur le
sujet à investiguer » (Assaba, 1985 : 12). Cette exigence
d'ordre méthodologique en matière de recherche scientifique a
beaucoup influencé nos démarches orientées essentiellement
vers l'appréciation des acquis antérieurs aussi bien sur le plan
des supports écrits que de ceux relevant de l'oralité.
En Afrique en général et au Bénin en
particulier, il existe une pluralité de religions. Dans Religions et
philosophie africaine, « parler des religions traditionnelles en
Afrique, c'est reconnaître la diversité des peuples et des
tribus ». (MBITI, 1972). Chaque groupe social possède son
propre système religieux qui constitue une réalité
suffisamment importante. Il pense que l' ontologie donne en
général un caractère particulier et une couleur locale
à leurs croyances et leurs pratiques religieuses, à leur langue,
à leurs institutions et à leurs coutumes, à leur
réaction psychologique et, de façon plus générale
à tous les comportements. Pour connaitre la société
baatonu, il faut passer par son comportement religieux. En voulant observer ce
comportement religieux, il faut passer par les rites.
C'est dans ce cadre que MAUSS (1985) dans son ouvrage
intitulé
Sociologie et Anthropologie, aborde les rites dans
leur forme communicationnelle tout en révélant leur rôle
pour l'intégration des peuples baatombu dans leur communauté.
Ainsi, selon lui, les rites permettent une communication horizontale
c'est-à-dire entre les hommes et une communication verticale
c'est-à-dire entre les Hommes et les dieux. L'explication de certains
faits de l'univers par les hommes est due aux rites. Selon lui, le rite
transmet une inspiration et témoigne d'un élément, d'un
évènement mythique. Si MAUSS a pu donner les fonctions du rite,
CAZENEUVE (1971) quant à lui fait la typologie des rites dans son
oeuvre Sociologie du rite. Il distingue les rites de protection
magique, négative et religieuse. Le rite de protection magique est tout
rite institué par l'homme pour être à l'abri des mauvais
sorts. Ensuite le rite négatif est l'ensemble des rites que l'homme peut
utiliser pour jeter des mauvais sorts sur d'autres acteurs. Quant au dernier
rite, celui du religieux, il permet d'être en communication avec Dieu et
les divinités.
Le rite n'est pas seulement vu sous la forme
communicationnelle et il ne s'agit pas de faire la typologie du rite. Il faut
aussi aborder d'autres aspects. C'est dans cette optique que BALANDIER (1962)
dans L'Afrique ambiguë, parle de l'aspect coercitif des rites
sans oublier comment ils peuvent influencer les pactes sociaux et les
économies. Les « pratiques rituelles introduisaient aussi une
réglementation sévère, une sorte de dirigisme
indispensable dans le cas d'une activité capable d'ébranler des
économies primitives et vulnérables. Les accords établis
par la tradition, révèlent cette fine pratique sociologique des
Africains opérant toujours en terme d'équilibre »
(Balandier, 1969). A l'instar de MAUSS et de CAZENEUVE, BALANDIER et MALINOWSKI
ont aussi mis l'accent sur les fonctions du rite, son implication ou ses
influences sur la cohésion sociale et l'intégration de l'individu
dans sa société. Malinowski souligne dans son livre
Dictionnaire des religions que : « même si le
rite est une réponse aux besoins psychologiques du pratiquant (monde
incompris entraînant angoisse, condition d'existence
mystérieuse...), il est le ciment de la solidarité du groupe du
fait même de son expérience pratique » (Malinowski,
1984 : 1120).
Dans les Formes élémentaires
de la vie religieuse, DURKHEIM (1912) de son côté s'efforce
de montrer que les représentations religieuses sont, en fait, des
représentations collectives : l'essence du religieux ne peut
être que le sacré, tout autre phénomène (comme le
transcendant) ne caractérisant pas toutes les religions. Le
sacré, être collectif et impersonnel, représente ainsi la
société elle-même. Il rapproche rite et religion en prenant
les faits tel que la croyance et les magies aux sérieux et les attribue
au religieux. Le rite intègre dans la démonstration pour montrer
que la religion n'est pas une sorte de fantaisie : « les rites
les plus barbares ou les plus bizarres, les mythes les plus étranges
traduisent quelque besoin humain, quelque aspect de la vie soit individuelle,
soit sociale » (Durkheim, 1912 :3). En associant religion et
rite, il inclut deux éléments à savoir la croyance et les
rites. Selon lui, les croyances religieuses sont des représentations qui
expriment la nature des choses sacrées et les rapports qu'elles
soutiennent, soit les unes avec les autres, soit avec les choses profanes.
Quant aux rites, ils sont des règles de conduite qui prescrivent comment
l'homme doit se comporter face aux choses sacrées. Les rites sont avant
tout des moments d'effervescence collective : « les
représentations religieuses sont des représentations collectives
qui expriment des réalités collectives ; les rites sont des
manières d'agir qui ne prennent naissance qu'au sein des groupes
assemblés et qui sont destinés à susciter, entretenir ou
à faire renaître certains états mentaux de ces
groupes » (Durkheim, 1912 : 13).
Il ne s'agit pas de parler uniquement de la fonction du rite,
il faut aussi parler de sa morphologie. C'est dans cette perspective que VAN
GENNEP (1909) aborde la morphologie du rite. Selon lui, il existe des
étapes du cycle de vie sur le plan formel. Il en existe trois (03)
étapes : phase de séparation où l'individu sort
de son état antérieur, phase de marge où l'individu vit
une expérience liminale et une phase d'agrégation où
l'individu est réintégré dans la vie normale avec un
statut nouveau. C'est ce statut nouveau qui perme l'intégration de
l'adepte du Sambaanidans la société baatonu. Le rite favorise la
fabrication d'une nouvelle personne et cherche à recomposer l'ordre
social. Il faut souligner que le propre du rite est d'exprimer la
continuité des générations en mêlant temps
individuel et temps collectif. Mais ISAMBERT (1975, 224) quant à lui,
pense qu'il ne faudrait pas prendre en compte le côté
morphologique du rite, mais aborder aussi la dimension symbolique du rite. Le
rite est un langage efficace en ce sens qu'il agit sur la réalité
sociale. On ne peut pas faire du rite avec n'importe quoi, il faut s'appuyer
sur des symboles reconnus par la collectivité. Selon lui,
l'efficacité du rite dépend de la validité globale du
cérémonial, inséparable d'une licéité
reconnue par tous c'est-à-dire pour qu'il y ait rite, il faut qu'il y
ait un certain nombre d'opération de gestes, de mots et d'objets
convenus, qu'il y ait croyance à une sorte de transcendance.
Tout en s'investissant dans l'étude du rituel, MESLIN
(1988) quant à lui, ne manquera pas de relever dans
L'expérience humaine du divin, le côté
sacré de l'homme. On ne peut pas saisir le sacré là
où on le rencontre ; donc qu'il n'est jamais à l'état
pur. C'est pourquoi il faut partir de l'homme concret pour en venir à
l'homme ; c'est-à-dire, c'est à partir du fait religieux,
donc de l'expérience religieuse que ressort l'identité de
l'homme. Dans la même logique, BIO BIGOU pense que l'être humain a
le droit de comprendre et de connaître son identité ; chose
fondamentale pour l'évolution de la société. Les valeurs
socio-culturelles permettent l'intégration du jeune baatonu dans la
société.
Dans la Civilisation primitive
Tylor(1871) définit l'animisme comme la croyance en des entités
spirituelles supérieures, autonomes, immortelles et dotées d'une
grande puissance. Celles-ci sont rattachées à chaque enveloppe
corporelle et ont le pouvoir de mener une vie propre. Tylor tente
d'établir les raisons qui mènent les hommes à cette
croyance ; il affirme qu'à travers diverses expériences
comme le rêve ou la transe, les peuples dits primitifs sont
confrontés à des images ou visions qui leur prouvent que,
à la faveur de certains événements, leur âme peut
quitter leur corps et voyager selon son gré. De même, au moment de
la mort, l'âme quitterait définitivement le corps mais
continuerait à vivre ailleurs, la preuve de ce phénomène
se trouvant dans le fait que les personnes mortes peuvent continuer
d'apparaître en rêve aux vivants. Selon les descriptions de
l'anthropologue, l'âme est assimilée par les peuplades
observées à une sorte de fantôme, prenant l'apparence de
vapeurs ou d'ombres. On lui attribue la possibilité de migrer d'une
personne à une autre, mais aussi d'un être mort vers un vivant.
Par extension, il est entendu que le principe de l'âme n'est pas
seulement propre à l'humain mais se retrouve dans toutes les composantes
de la nature, végétaux, animaux et même objets
inanimés, et qu'une âme peut par conséquent migrer et se
transmettre indifféremment vers chacune de ces entités, quel que
soit son type. Mais les théories de Tylor sont progressivement remises
en cause par divers scientifiques, notamment MARETT, pour être finalement
abandonnées. La question de l'origine de la religion est le point
central de ces querelles. On reproche également à Tylor d'avoir
établi une pensée prenant appui sur une réalité
fausse, puisque sa théorie implique que l'animisme ait été
présent au sein de toutes les cultures de la Terre, ce qui n'est pas le
cas. Aujourd'hui, la majorité des anthropologues rejette la
théorie de l'animisme de Tylor, même si l'on utilise encore ce
terme pour désigner les religions traditionnelles et la croyance en des
esprits invisibles.
Dans son essai Anthropologie Structurale, Claude
Lévi-Strauss (1958) pense que le mythe se rapporte toujours à des
événements passés avant la création du monde ou
pendant les premiers âges. Mais la valeur intrinsèque
attribuée au mythe provient de ce que les événements,
censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une
structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au
passé, au présent et au futur.
En effet, le rite, outre sa fonction psychologique chez
l'individu, permet également le renforcement des liens sociaux, la
cohésion sociale.
1-6- Justification du
choix du sujet et du cadre d'étude
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