3-3-2 Le statut des populations indigènes
Le statut des populations indigènes peut être
bénéfique par rapport à l'attrait des ONG comme nous
l'avons vu dans la partie sur le discours du développement.
Malheureusement, ce statut souvent oublié par les politiques,
stéréotypé par les médias et
déprécié par la population ladina, porte encore
préjudice aux groupes autochtones.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Au Guatemala, l'inégalité entre les classes
sociales est principalement déterminée par l'origine ethnique. Le
racisme et la discrimination sont encore très présents. Le terme
«indígenas» (indigène), utilisé pour
désigner tous les groupes ethniques du pays, résulte d'une
construction politique et d'un processus historique (Henry Morales Lopez, 2009:
89)57.
Dans ce pays, tous les habitants s'identifient eux-mêmes
faisant partie d'une des deux catégories : ladinos (blancs et
métis) et en indigenas (autochtones). Les trais
physiques et les origines génétiques ne sont pas forcément
différentes, mais l'appartenance identitaire est pourtant très
marquée. Les ladinos trouvent des stratégies
comportementales, vestimentaires etc, pour se démarquer clairement des
indigenas. Concernant la relation entre le prestige et
l'identité ethnique, j'ai pu faire le même constat au Guatemala
que celui d'Henri Favre dans son étude sur les relations
ladinas-indigenas avec les mayas du Mexique : « Le ladino
reconnaîtra les « accros » de son arbre
généalogique d'autant plus volontiers que le montant de ses biens
et de ses revenus lui assure une situation de prestige et d'autorité
incontestable. C'est dire que l'acquis social pondère fortement
l'héritage racial et qu'une belle réussite fait aisément
oublier une mauvaise naissance. » (2011 : 74).
La distance sociale et les rapports de
supériorité/infériorité sont intégrés
et encore très peu contestés. Les indigenas n'envisagent
pas de se mesurer aux ladinos dans aucun champ d'activité
sociale, et inversement, les ladinos s'estiment implicitement ou
explicitement supérieurs aux indigenas. Plusieurs
détails et remarques quotidiennes sont révélateurs de ces
rapports. Par exemple, une famille ladina m'a un jour reproché
de marcher pieds-nus, en me faisant remarquer que c'était une pratique
indigène.
Les seules préoccupations de l'Etat envers les
populations indigènes se résument à un mouvement
indigéniste. Ce mouvement politique né au Mexique et
diffusé en Amérique latine répond à la
problématique de la question indigène sous l'angle de
l'intégration des populations autochtones à la «
communauté nationale » conçue sur le modèle
occidental. Il exclut alors ces populations de la définition des
politiques les concernant.
Selon Henri Favre, les ladinos profitent de ce
mouvement pour maintenir les mayas dans leur indianité, ce qui leur
permet de garder le pouvoir en laissant les indigenas dans une
position dépendante, forcés de recourir à des
intermédiaires et à des médiateurs dans leurs relations
à la société globale (2011 : 261). De son point de vue,
une pression sociale s'exerce en permanence pour maintenir l'indien dans son
indianité en suscitant parfois artificiellement la
57 HENRY MORALES LOPEZ, 2009, Pueblos
Indigenas, Cooperacion Internacional y Desarrollo en Guatemala, Movimiento
Tzuk Kim-pop., Guatemala: 146 p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
culture indienne si besoin. Les propos de Vicente Pineda sur
les indiens cloisonnés dans leur activité agricole
démontrent explicitement cette tendance :
« Les indiens se consacrent
généralement à l'agriculture. Ils déprécient
les autres activités et ils pensent que seule l'agriculture est capable
de satisfaire pleinement aux besoins des hommes. (...) Ouvrir aux Indiens
d'autres horizons que le travail de la terre auquel ils se consacrent avec tant
de bonne volonté ne serait pas sage, car l'agriculture a besoin d'autant
plus de bras que les habitants des agglomérations ladinas
éprouvent la plus vivre répulsion envers cette
activité. » (Pineda V. In Favre H., 2011 : 264).
Au niveau organisationnel, l'auteur explique que les relations
intercommunautaires sont dominées par les ladinos dans une
forme supérieure d'organisation, ce qui empêche une réelle
communication directe entre les différents villages, même
lorsqu'ils sont reliés par des associations d'agriculteurs ou des
associations indigènes.
3-3-3 Le développement local comme sujet
sensible de diplomatie entre groupes
d'acteurs stratégiques
Comme nous l'avons compris, les associations paysannes et les
communautés font partie d'un système d'acteurs avec des
intérêts propres à chacun.
Premièrement, les finqueros-ganaderos venus
s'installer et créant un contre-pouvoir vu précédemment,
peuvent aussi rompre les systèmes d'organisation solidaire entre les
paysans des communautés. En effet, certains de ces riches fermiers
créent des alliances individuelles avec quelques agriculteurs. Tandis
que les finqueros profitent des coûts faibles de la main
d'oeuvre autant pour l'entretien des pâturages que pour l'exploitation du
bois avant la défriche, ils offrent aux paysans qui collaborent avec eux
d'autres avantages, comme l'explique Effantin-Touyer R. :
« Par des mesures clientélistes (construction
d'une route ou d'une école), il entretient également dans la
communauté sa réputation de protecteur, qui offre du travail
à ses membres et améliore leur quotidien. Les villageois qui
servent d'interlocuteur principal au finquero jouissent donc d'un pouvoir
réel sur leurs voisins, pour un temps au moins. Ces relations entre
communauté et finca perdurent en changeant parfois de formes. Même
si le discours officiel des autorités villageoises est fait de
dénonciation de la présence et/ou de la domination
illégitime et menaçante du finquero voisin, le privilège
de son ancienneté est indiscutable. Il peut alors percevoir un
intérêt à se rapprocher de la communauté
villageoise
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
et démontrer une certaine solidarité dans
l'amélioration de ses conditions de vie. » (2006 : 152).
Pendant mes quelques semaines passées dans les
communautés, j'ai pu observer ce phénomène. Un
finquero venait très régulièrement en moto faire
acte de présence discutaient toujours avec les mêmes hommes.
Ensuite, j'ai remarqué que les bonnes relations
diplomatiques qu'entretiennent les communautés avec leur
municipalité étaient une condition nécessaire pour le
développement local des communautés. En effet, alors que les
communautés de San Lucas de Aguacates et de Poité Centro
appartiennent à la municipalité de San Luis, La Compuerta fait
partie de la municipalité de Poptún. Malheureusement, au
Guatemala, et surtout dans les zones rurales, les politiques fonctionnent
principalement grâce à des relations clientélistes et la
corruption. Il se trouve que San Lucas Aguacate et Poité Centro ont
voté majoritairement pour le président municipal au pouvoir de
San Luis. Du côté de la Compuerta, le président municipal
de Poptún qui a été élu n'était pas celui
pour qui la population a majoritairement voté. En voyant la
différence d'aménagement et de service entre les trois
communautés, notamment par rapport à la
détérioration de la route et à l'accès à
l'électricité, je m'interrogeais. Des personnes de la
fédération d'association COACAP m'ont alors expliqué cette
raison politique. Le président de la municipalité de
Poptún a décidé de ne donner aucune aide à la
Compuerta, en guise de répression à son vote. Elle sera donc
pénalisée pendant tout le temps du mandat de ce président
et tant que ce parti politique sera au pouvoir dans cette
municipalité.
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