3-3-4 Le pluralisme institutionnel : difficultés
de différenciation pour les
associations paysannes
La visibilité et la communication que permettent les
associations paysannes attirent toute sorte d'acteurs extérieurs. Nombre
d'entre eux arrivent dans les communautés en proposant des «
projets » (« proyectos ») ; privés ou publics,
de taille plus ou moins grande. Ils ont tous des intérêts
différents et invisibles, cachés sous leur apparence
institutionnelle. En plus des ONG, il y a les politiques, les entreprises
privées en tout genre, les institutions religieuses, etc. Pour les
associations locales, il est très difficile de différencier ces
acteurs institutionnels, qui ont pratiquement tous la même manière
de se présenter. En effet, comme en fait part Yves Guillermou, «
les groupes de base sont fréquemment en contact avec d'autres
catégories d'interlocuteurs, notamment les « groupes de services
» : mais qui fonctionnent en fait d'une manière similaire à
celle des ONG locales. Ces groupes fournissent un appui multiforme aux
producteurs, notamment en matière de vulgarisation et conseil technique,
approvisionnement
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en intrants et commercialisation des produits - ce qui les
place dans bien des cas en concurrence avec les unions paysannes et les ONG
officielles.» (2003 : 9)
Cependant, certains de ces acteurs institutionnels n'apportent
pas forcément des choses positives pour les communautés, et
lorsque la population s'en rend compte, il est déjà souvent trop
tard.
Comme nous l'avons vu dans la première partie, j'ai pu
voir le comportement de deux de ces acteurs: Des représentants du
Ministère de l'Agriculture, Elevage et Alimentation (MAGA) et une
entreprise privée pharmaceutique. J'ai aussi pu remarquer quelques-uns
des risques et effets négatifs dont m'ont fait part les populations par
rapport à ces acteurs :
Le MAGA est venu dans les communautés pour un projet de
microcrédit avec les agriculteurs de la même association qui
travaillent pour le projet de cacao. La moitié des membres des
associations de deux des trois communautés a signé le contrat
avec le MAGA pour ce projet. En offrant aux membres du projet des
crédits de 3000 quetzales/personne (environ 300 euros), cela a
attiré beaucoup de personnes. Néanmoins, la dépense de cet
argent est contrôlée par le MAGA : en effet, ces crédits
doivent être dépensés en engrais et répulsifs
chimiques d'une certaine marque, d'une entreprise avec qui le MAGA et la banque
de crédit ont aussi des accords. Cette incitation à l'utilisation
de produits chimiques donne lieu à des avis partagés dans la
communauté. Certains agriculteurs pensent que cela peut les aider, mais
d'autres sont réticents et craignent des répercutions. De plus,
ces crédits doivent être remboursés un an après la
signature du contrat. Les agriculteurs ayant signé se voient contraints
d'utiliser ces produits pour parvenir au rendement demandé et être
en mesure de rembourser. La communication des conditions du projet n'ayant
apparemment pas été claire au départ, certains qui avaient
signé le contrat n'avait pas compris cette condition et sont maintenant
« pris au piège ». En plus d'être nocifs pour le
développement durable des communautés, ces projets impliquant
l'utilisation d'intrants chimiques représentent aussi un risque pour le
projet cacao. Les récoltes de cacao se vendront en commerce
équitable, de manière labellisée, et si elles comportent
des traces de tels produits, elles deviendront invendables.
L'entreprise pharmaceutique, elle, est venue faire des
diagnostics de santé gratuits avec du matériel médical.
Nombreux se sont présentées, car il y a un réel besoin au
niveau de la santé dans les trois communautés du fait de la perte
des savoirs de médecine traditionnelle. A la fin des diagnostics, le
médecin imprimait des feuilles avec le résultat des anomalies et
maladies détectées chez les personnes. Puis, la prise en charge
s'achevait ainsi. L'entreprise proposait
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ensuite un panel de médicaments bio (vitamines...)
très chers, certains coûtant plus de 500 quetzales (50
euros) ; même les personnes ladinas de classe moyenne n'auraient
pas pu se les procurer. Pour comprendre comment fonctionnaient le
médecin et les « infirmières », j'ai moi-même
passé ce diagnostic. Il s'agissait apparemment d'un appareil de haute
technologie, qui prenait le pou de la main et qui retranscrivait à
l'ordinateur tous les problèmes de santé. Ainsi, n'ayant pas de
connaissances en médecine, j'ai obtenu un résultat très
négatif (dans certains domaines alarmant) que le médecin m'a
décrit : Des anomalies des mesures pour le foie, le sang, le
cholestérol, ... Je me sentais pourtant en bonne santé.
Arrivée en France, j'ai fait des analyses qui ont totalement
démenti ces données. Je ne sais pas quels ont été
les résultats pour les autres patients, mais en voyant certaines
personnes angoissées, j'ai compris que beaucoup de résultats
étaient annoncés comme mauvais. Le but de cette entreprise serait
donc de vendre leurs produits en alarmant les personnes sur leur santé.
En tant que française ayant l'habitude des structures de santé
occidentales, j'ai pu m'inquiéter de ces résultats. Pour cette
population qui est rarement à même d'être soignée par
des structures de ce type, le fait de voir les médecins arriver avec
l'uniforme et du matériel très moderne leur a donné
confiance et crédibilité en ces diagnostics.
Les intentions sous-jacentes des acteurs extérieurs
sont donc très difficiles à cerner pour les populations. Les
communautés sont très souvent sollicitées par
différentes institutions, mais par manque de moyens et de temps pour se
renseigner réellement sur ces acteurs, elles choisissent souvent la
solution la plus rentable à court terme.
Selon J-P Jacob, il convient de ce point de vue de nuancer
l'affirmation de James Wunsch (1990 : 287), selon laquelle les paysans sont
sélectifs et n'ont pas de peine à percevoir qu'ils ont de
multiples besoins et savent jouer du pluralisme institutionnel (Jacob J-P, 1992
: 4)58. Selon les institutions, les objectifs de
développement, les objectifs commerciaux, ou les objectifs politiques ne
sont pas simples à détecter à première vue.
Cette difficulté est ressentie et reconnue par les
associations avec lesquelles j'ai travaillé. N'ayant pas toujours les
moyens à elles-seules de reconnaître les acteurs institutionnels,
les agriculteurs ont développé une méfiance envers toutes
les institutions venant de l'extérieur. Ne sachant pas quels sont leurs
intérêts, ils se méfient des signatures, des contrats etc.
Les villageois font souvent appel aux personnes reconnues comme étant
les plus aptes à
58 JACOB J?P., 1992, « Quelques
réflexions sur la multiplicité des intervenants externes et la
multiplication des organisations paysannes (op) au Burkina Faso.»,
Bulletin de l'APAD, n°3, Revue Apad (ed.) : 5 p.
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comprendre le monde institutionnel pour étudier les
situations. C'est pourquoi avant chaque projet, des réunions entre les
anciens et les leaders sont organisées, afin de déterminer si les
avantages à tirer des projets sont plus élevés que les
risques qu'ils encourent. Selon Y. Guillermou, la méfiance des
producteurs entraîne une généralisation de l'attribution de
la logique commerciale et des visées hégémoniques à
toutes les institutions extérieures (Y. Guillermou, 2002 : 9).
Cela entraîne des difficultés de communication
pour les ONG qui sont assimilées ou confondues aux autres institutions
avec lesquelles les agriculteurs ont eu de mauvaises expériences. C'est
aussi la raison pour laquelle le changement fréquent de personnel dans
les ONG est un obstacle majeur pour établir un climat de confiance.
Dans la communauté de la Compuerta par exemple, un
agriculteur était très méfiant et sur la défensive
face l'ONG ProPetén. Il m'a ensuite dit que ProPetén leur avait
volé de l'argent il y avait trois ans de cela, lors d'un projet
d'élevage bovin. Par la suite, j'ai su que ce projet n'avait pas
été réalisé par ProPetén, mais par une
entreprise de la région. Cette confusion entre les acteurs a
augmenté sa méfiance.
A travers des réflexions telles que le plan de
développement que nous avons élaboré avec les associations
dans le cadre du stage, une meilleure sélection des institutions
partenaires peut être faite. En effet, grâce à la
diversification des partenariats, le choix réfléchi des
activités et des acteurs, mais aussi et surtout le fait d'être
émetteurs de demandes plutôt que récepteurs de propositions
toute faites (comme les exemples ci-dessus), permet une meilleure
visibilité et une meilleure confiance.
Cette dernière partie nous a permis de relativiser la
marge de manoeuvre des associations paysannes et leur poids en tant qu'acteur
dans le développement durable communautaire, dans la région du
Petén. En effet, la mise en évidence des différents enjeux
internes et externes des acteurs, les limites liées aux discours du
développement, et le contexte économique et social dans lequel se
trouvent les communautés, nous ont permis de comprendre que la situation
qui est parfois hors de portée des associations. Le développement
local dépend en fait de multiples relations de conflits, d'associations
et de négociations dont le résultat dépend en grande
partie des forces et du poids politique et économique des
différents groupes. Le renforcement des capacités d'action des
associations paysannes résident alors dans leurs capacités
à s'approprier et à maîtriser la connaissance de ce
contexte institutionnel qui les
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entoure, afin d'obtenir plus d'autonomie et de créer
elles-mêmes les conditions de leur durabilité.
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