3-2-2 Le paternalisme très enraciné
Parallèlement au désengagement de l'Etat
vis-à-vis des problèmes communautaires, la
décentralisation est encore très difficile au Guatemala.
L'organisation des institutions municipales et communautaires est un
impératif économique urgent et essentiel, mais il reste un
processus inachevé. Comme le décrit Omar Bessaoud pour le cas du
Maghreb, les associations agricoles et rurales sont aussi au Guatemala sous la
tutelle et/ou l'autorité des administrations locales, ce qui limite leur
autonomie et leurs capacités d'intervention (Omar Bessaoud, 2008 :
13).
L'attitude générale de ces associations est
souvent très active dans la recherche de projets et de partenaires, mais
lorsqu'ils signent un accord pour démarrer un projet, elles deviennent
plus passives par rapport à la gestion. A l'intérieur des
communautés, la légitimité des responsables des
associations repose plus souvent sur leur capacité à drainer des
ressources financières et matérielles ainsi que des projets
d'ONG, qui sont visibles directement, plutôt que de gérer et
d'organiser des projets internes. C'est ainsi que dans la communauté de
la Compuerta, le président de l'association, bien que passif par rapport
à ceux des deux autres associations, était bien vu par les
membres. Il avait réussi à apporter ce projet à la
communauté en premier par rapport aux deux autres. Par contre, le jour
où les plants de cacao ne sont pas arrivés comme prévu, il
était très nerveux car pour les villageois, il en avait
l'entière responsabilité. De ce fait, il allait recevoir les
critiques et revendications des agriculteurs.
Généralement, au Guatemala, en ville comme dans
les zones rurales, la population accuse le gouvernement de tous les
disfonctionnements, car selon elle, il est le seul acteur à pouvoir
faire changer les choses. Une attitude attentiste est visible, et on entend
souvent dire « Saber
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
si el gobierno se va a recordar de nosotros »
(« Qui sait si le gouvernement va se souvenir de nous »).
Le fonctionnement paternaliste de l'Etat et de la
société civile envers la population est une réalité
de longue date au Guatemala. Ce fonctionnement est à la fois volontaire
de la part les autorités, mais aussi inconsciente et vécue de
manière habituelle par les populations, surtout par rapport aux groupes
indigènes, comme nous le verrons ensuite. Ainsi, il est courant de voir
des partis politiques ou des grandes entreprises venir aider les populations,
bien sûr pour des intérêts clientélistes, mais cela
renforce ce fonctionnement paternaliste.
Pour aborder la question du paternalisme du côté
des populations, nous avons noté les critères historiques et
économiques qui peuvent expliquer leur passivité
stratégique face aux institutions et aux politiques extérieures.
Cependant, il serait intéressant d'effectuer des études
anthropologiques pour pouvoir analyser ce phénomène par les
systèmes de parenté des q'eqchi'. En effet, dans son
ethnographie, Liza Grandia (2009)49 montre que les liens de
parenté des q'eqchi' se basent sur la famille nucléaire, mais que
la place du père, des frères et des beaux-frères (oncles)
sont particulièrement importantes. Dans la langue q'eqchi', il y a deux
noms pour désigner couramment les frères, en distinguant les
frères aînés ([w]as) et les frères cadets
([w]itzin). Il y a également un nom spécifique pour
désigner les soeurs aînées (chaq'na) (Grandia L.,
2009 : 70-71, K'ulb'il Yol Twitz Paxil, 200450). Cette importance
donnée aux hommes et au rang dans la famille qui leur confère une
autorité reconnue nous fait nous interroger sur les liens qu'il pourrait
y avoir entre la parenté et le paternalisme. Dans les théories
anthropologiques anglaises des années 1950, la terminologie
utilisée dans les systèmes de parenté a été
ramenée aux mécanismes psychologiques d'apprentissage des
réalités sociales. Par exemple, A.R Radcliffe-Brown (1952) «
considère la parenté comme « un domaine
privilégié de droits et de devoirs » qu'organisent les
terminologies en fonction d'un certain nombre de principes « moraux »
(autorité, indulgence affective, etc.) qui tiennent eux-mêmes
à la nécessaire unité des groupes de parents (en
dernière analyse des groupes d'unifiliation). (...) En dehors de ces
implications épistémologiques, cette approche a contribué
à attirer l'attention sur un autre aspect de l'organisation et de la
parenté en système : la prescription sociale des attitudes.
(Bonte P. et Izard M., 1991 : 554)51. Sans prétendre
voir en cette théorie une explication globalisante sur le comportement
décrit comme
49 GRANDIA L., 2009, Tz'aptz'ooqeb' El despojo
recurrente al pueblo q'eqchi'. Avansco, Guatemala: 454 p.
50 K'ULN'IL YOL TWITZ PAXIL, 2004, Xtusulal Aatin
Sa' Q'eqchi' Vocabulario Q'eqchi'. Academia de Lenguas Mayas de Guatemala,
Guatemala: 411 p.
51 BONTE P. et IZARD M., 1991, Dictionnaire de
l'ethnologie et de l'anthropologie. Presse Universitaire de France, Paris : 841
p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
« passif » par les institutions, elle pourrait nous
aider à mieux comprendre les relations entre les acteurs. Nous pourrions
nous demander si certaines attitudes « paternalistes » des politiques
et des institutions envers les groupes q'eqchi' peuvent être
assimilées inconsciemment à l'importance de l'autorité et
du respect attribués aux hommes et au rang dans la famille, dans le
système de parenté q'eqchi'.
Pour finir, même dans les rares cas où les ONG et
les associations locales réussissent à établir une
relation encourageant une bonne participation des populations, ce
fonctionnement est totalement remis en cause lors de l'arrivée d'autres
acteurs qui ont un fonctionnement de communication totalement
déséquilibré. Par exemple, lors de la venue des politiques
et des entreprises privées, la démarche est souvent simple et
rapide : c'est une relation de don contre don où la participation et la
durabilité n'ont pas leur place. Les partis politiques donnent de la
nourriture, des vêtements, construisent des bâtiments, en
échange de votes. De la même manière, les entreprises
offrent des services et produits en échange de publicités, achats
... En voyant cette facilité d'accès aux produits dont ils ont
besoin par l'alliance directe et essentiellement économique avec ces
acteurs extérieurs, les populations ne voient parfois plus
l'intérêt de participer à des projets longs, pour lesquels
les résultats ne sont pas toujours sûrs ni visibles
immédiatement.
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