2-1-4 Le développement communautaire : une
notion à clarifier
L'intérêt pour la dimension communautaire du
développement insiste sur les microprocessus de changement et sur la
valorisation des ressources endogènes. C'est un type de
développement qui prône la recherche de solutions adaptées
aux problèmes particuliers dans une zone spécifique. Il tient
compte des données écologiques et culturelles et des
nécessités immédiates et à long terme. Cette
démarche requiert donc une approche anthropologique et une vision
holiste des problèmes.
Cependant, ce qui est communément appelé «
communauté », « développement communautaire », ou
encore « action communautaire » dans le discours du
développement regroupe un grand nombre de contextes et de besoins
variés. Dans le cadre de notre étude, le terme «
communauté » permet de définir à la fois un lieu
commun et un groupe de personnes qui partagent un certain nombre
d'éléments tels que la langue, les traditions, ou les valeurs. En
revanche, dans les « communautés » que j'ai
étudiées, il y avait une séparation claire entre deux
groupes qui sont les indigènes q'eqchi' et les ladinos. La
proximité des personnes n'implique donc pas leur ressemblance. Par
contre, leur identité communautaire était clairement
exprimée : lorsque je demandais à un q'eqchi' ou à un
ladino d'où il venait et à quel endroit il se sentait
plutôt identifié entre petenero (habitant du
Petén), San Luis/Poptun (les municipalités) ou leur
communauté, aucun n'hésitait dans sa réponse. Ils
répondaient tous qu'ils se sentaient d'abord appartenir à la
communauté et ensuite à la région. Leur
18 In JACOB J?P., 1992, «
Quelques réflexions sur la multiplicité des intervenants
externes et la multiplication des organisations paysannes (op) au Burkina
Faso.», Bulletin de l'APAD, n°3, Revue Apad (ed.) : 5 p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
appartenance à un même groupe uni pouvait aussi
se remarquer à certaines occasions de confrontation avec d'autres
groupes. Par exemple, lors des matchs de football intercommunautaires, j'ai
retrouvé cette identité de groupe et cette unité face aux
autres.
Il serait alors, contenu de ces différences et
hétérogénéités, peut-être plus
adapté d'utiliser l'expression de développement local pour
exprimer l'idée de taille qui est finalement la plus commune aux projets
de développement dits « communautaires ».
Certains auteurs (Chauveau, 199119 ; Bernardi,
1987) ont vivement critiqué le développement communautaire, en
lui attribuant une fonction de « stimulation de besoins ».
Par exemple, Bernardi, dans Le développement participatif, a
évoqué que « l'importance attribuée au
thème du développement communautaire reflétait
l'intérêt des administrations coloniales à l'égard
des populations locales, qui se traduisait par une action visant à
susciter au sein des communautés autochtones « la conscience et le
besoin de développement ». Le principe du développement
communautaire se fondait sur une « perception erronée de sentiment
communautaire local. ». (Bernardi, 1987 : 348-9)20.
Pourtant, je ne suis pas de cet avis pour le cas du Guatemala.
Effectivement, je peux comprendre, dans des cas rares où les
communautés sont isolées du reste de la société et
qui sont établies depuis des générations, sur des terres
suffisamment fertiles et de taille suffisante pour la subsistance de ses
membres, que cela soit possible. C'était peut-être le cas à
l'époque où l'auteur a écrit cette critique. Mais au jour
d'aujourd'hui, au Guatemala, même les communautés les plus
isolées ont forcément un contact avec l'extérieur. De
plus, la pression agraire est telle qu'on ne peut pas dire que le
développement communautaire soit une volonté de provocation d'un
besoin inexistant et même si c'était le cas, la volonté de
stimuler un tel sentiment ou besoin ne revient pas à dire qu'il n'existe
pas.
2-2-5 Le Développement durable
: élément intrinsèque de la
culture Maya Q'eqchi' ? Les maya q'eqchi' sont reconnus pour
être le groupe maya du territoire ethnique le plus étendu, ayant
des croyances spirituelles qui se rapportent essentiellement aux
éléments naturels, et une connaissance de centaines
d'années antérieures sur la gestion des ressources naturelles
dans les tropiques humides. Ils ont depuis toujours cultivé une riche
agriculture de type mésoaméricain, basée sur une culture
communautaire ritualisée, qui leur facilite
19CHAUVEAU J-P., 1991, Enquête sur la
récurrence du thème de la « participation paysanne »
dans le discours et les pratiques de développement rural depuis la
colonisation (Afrique de l'Ouest). In Bonnefond Philippe (ed.). Modèles
de développement et économies réelles. Chroniques du Sud,
IRD, Montpellier : p. 129-150.
20 Cité p.51 In TOMMASOLI M., 2001,
Le développement participatif. Analyse sociale et logique de
planification. Karthala, Paris : 265 p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
l'application de stratégies au service du bien commun :
depuis la colonisation, ils sont en situation défavorable et victimes de
discrimination ethnique.
Dans la cosmologie maya, une des représentations les plus
importantes, et utilisée dans presque chaque cérémonie est
le symbole des quatre points cardinaux :
Ce schéma, symbolisé par des bougies et/ou
fleurs de couleur pendant les cérémonies, est
une représentation physique de
l'énergie spirituelle maya. Le cercle est divisé en quatre
parties qui représentent les quatre points cardinaux. Chaque couleur
représente à la fois : Un élément naturel (Feu,
Eau, Terre, et Air), les quatre niveaux de l'existence (Spirituel, Emotionnel,
Physique, et Mental), un élément du corps humain (le blanc :
dents ; le rouge : sang ; le jaune : peau ; le noir : cheveux) et une
variété de maïs (maïs blanc, maïs rouge, maïs
jaune et maïs noir). A l'intérieur du cercle, le bleu correspond au
ciel et le vert à la végétation.
Dans cette représentation du monde du point de vue des
Maya, chaque partie du corps humain est reliée aux autres
éléments de la nature. Toutes les parties de cette
représentation holistique sont reliées entre elles et
interdépendantes. Cette conception pousse à construire et
maintenir le « tuqtukilal », qui signifie « vivre en
paix », ou « vivre en équilibre » en q'eqchi'. Ces
valeurs et représentations sont toujours présentes aujourd'hui
dans les villages q'eqchi'.
Nous pouvons nous rapporter à l'analyse de Mary Douglas
sur la notion de pollution, dans son ouvrage Purity and danger: An analysis
of concept of pollution and taboo (1966) :
« Les notions de pollution s'insèrent dans la
vie sociale sur deux plans, l'un fonctionnel, l'autre expressif. Dans le
premier cas, qui est aussi le plus évident, des individus cherchent
à influencer le comportement de leurs semblables. Les croyances
renforcent les contraintes sociales. [...] quand on étudie de
près ces croyances, on découvre que les contacts
considérés comme dangereux portent aussi leur charge de symboles.
C'est sur plan, plus intéressant, que les notions de pollution sont
liées à la vie sociale. Je crois que certaines pollutions
servent d'analogies pour exprimer une idée générale de
l'ordre social. [...] Il vaudrait mieux les interpréter
comme l'expression symbolique des relations entre différents
éléments de la
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
société, comme le reflet d'une
organisation hiérarchique ou symétrique qui vaut pour l'ensemble
de la société » (Douglas, 1966, p.25).
Ces dernières décennies, l'idéal
harmonieux de l'homme lié à la nature de la cosmologie maya a
été lourdement perturbé par de nouvelles
réalités, soumises aux d'obligations matérielles, aux
pressions diverses des autres groupes sociaux et à l'arrivée de
nouvelles religions.
De plus, cette population q'eqchi' a vécu
différents niveaux de changements, parfois radicaux, comme la
période de travail dans les grandes fermes dans les années 1960,
puis la migration vers ces nouvelles terres comme évoqué
précédemment. Ces bouleversements dans l'histoire des q'eqchi'
ont rajouté des difficultés, comme la perte de quelques
connaissances et savoirs locaux pour cultiver les terres de manière
durable, ou pour se soigner grâce aux plantes. Selon l'analyse de M.
Douglas, ce serait alors non pas seulement une perturbation de la croyance
symbolique liée à la nature, mais l'organisation sociale dans son
ensemble qui serait ébranlée.
Par rapport au phénomène migratoire, une
étude d'un groupe de chercheurs ayant travaillé sur la
région du Petén est très intéressante. Elle montre
que l'attitude de conservation des ressources naturelles n'est pas seulement
liée à la culture et à la cosmologie des groupes, mais
aussi au temps de résidence dans un endroit. En effet, cette analyse
démontre que plus le temps de résidence des populations dans un
même endroit est long, plus il y a de possibilités qu'elles
adopteront des pratiques et attitudes compatibles avec la conservation des
ressources naturelles (Grandia L., Schwartz N., Obando O., 2001 :
921 ; Obando Samos O., Grandia L. & Schwartz N.,
201022). Même si cette hypothèse n'a pas tenu compte
des différences générationnelles, elle n'en est pas moins
significative. L'attachement à la terre serait donc un des points les
plus importants pour une bonne gestion des ressources. En cela,
l'insécurité foncière est un obstacle majeur au
développement durable de la région, car comme nous le verrons
dans les résultats obtenus des diagnostics, c'est un des
problèmes les plus cruciaux aujourd'hui pour ces communautés.
2-2 Les résultats obtenus des diagnostics et des
plans de développement
A la fin de la collecte de données sur le terrain, j'ai
pu écrire les documents de diagnostics et plans de
développement.
21 OBANDO S., GRANDIA L. & SCHWARTZ N., 2001,
Salud, Migración y Recursos Naturales en Petén. INE
(Instituto Nacional de Estadistica), Guatemala: 170 p.
22 Obando Samos O., Grandia L. & Schwartz N.,
2010, Tierra, Migración y Vida en Petén, 1999-2009. Instituto de
Estudios Agrarios y Rurales, Guatemala: 106 p.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Les diagnostics se composent d'une partie concernant les
données générales sur les aspects géographiques,
socioculturels (histoire, population, culture, accès aux services,
activités, ressources, activités et disponibilités par
genre), institutionnels et politiques des communautés. La
deuxième partie des diagnostics concerne l'analyse des principaux
problèmes ressentis, les faiblesses, obstacles, forces et
opportunités des communautés, ainsi que la priorisation des
problèmes et la formulation de recommandations.
Nous allons examiner quelques-uns de ces résultats pour
mieux comprendre le rôle des associations dans des contextes comme
celui-ci.
Premièrement nous allons présenter quelques
données générales qui aident à comprendre les
difficultés et atouts des communautés, puis nous
présenterons les solutions envisagées lors des diagnostics.
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