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Pérégrinations dans l'empire ottoman : récits & voyageurs français de la seconde moitié du XVI e siècle .

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par Paul Belton
Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance, Université François-Rabelais Tours - Master  2011
  

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2. L' Orient rêvé : un paradis terrestre ?300

En effet, l'île, par son caractère relativement protégé301 et souvent autonome, par son aspect unifié et par la diversité qu'elle porte en son sein302, peut apparaitre comme un archétype du paradis, ou du moins, comme un ersatz de celui-ci. Mais les territoires insulaires ne sont pas les seuls à prendre ce caractère merveilleux et attrayant sous la plume des voyageurs.

À propos de l'« Arabie Heureuse », Nicolas de Nicolay affirme :

« Cette région, sur toutes les autres du monde, est la plus féconde et abondante en choses précieuses et aromatiques. Aussi elle porte froment en abondance, olives et tous autres excellents fruits. Et est arrosée de divers fleuves et fontaines très salubres. Le pays méridional est peuplé de plusieurs belles forêts, pleines d'arbres qui portent l'encens et le myrrhe, palmier, roseaux, cinnamome, canelle, casse et ledanum, étant l'odeur qui vient de ces arbres, au sentiment des hommes, de telle douceur et suavité qu'elle semble plutôt chose divine que terrestre et humaine. »303

Remarquons, tout d'abord, le processus littéraire d'accumulation d'arbres et d'espèces végétales, qui mime cette diversité et donne l'impression d'abondance à la lecture. Ensuite, relevons cette impression de paradis, qui culmine dans la dernière phrase de ce passage, où le lecteur se voit transporté vers un territoire merveilleux. Dans le même ordre d'idée, au Chapitre 107 des Observations de plusieurs singularités, Pierre Belon du Mans offre aux lecteurs une description assez idyllique :

« En passant par-dessous lesdites Portes de Cilicie, chacun de la troupe voyant les arbres d'andrachnes porter leur fruit à trochets, déjà rougis et mûrs, rompaient des rameaux et allaient manger par le chemin... ».

Les hommes tendent le bras et prennent ce que la nature leur offre gracieusement, dans son

300 Ne pouvant, dans le cadre de ce travail, nous étendre trop longuement sur ce problème passionnant, nous restreindrons notre étude à la déclinaison de ce motif du paradis dans les récits de voyages orientaux, mais nous renvoyons le lecteur plus curieux à l'abondante littérature sur le sujet, notamment à l'étude assez complète de J. Delumeau, Une histoire du paradis, Fayard, 1992.

301 Pour appuyer ce rapprochement rappelons que dans la Genèse le paradis terrestre est entouré de quatre grands fleuves, qui lui confèrent ce caractère d'isolement naturel et cette protection par les eaux, que nous retrouvons dans l'île (barrière naturelle aquatique de moins en moins efficace avec les progrès de la navigation et le développement croissant de la piraterie à l'époque).

302 L'île, de par la biodiversité qu'elle porte, ne serait-elle pas une sorte d'Arche de Noé naturel ? Véritables microcosmes, certaines îles sont, en effet, des terres de refuge pour les êtres vivants, des réservoirs d'espèces rares et de ressources précieuses, que ne manque pas de visiter un amoureux de la nature comme Pierre Belon. Il adopte volontairement un itinéraire, qui lui permettra de les parcourir et de les découvrir (voir à ce propos la première partie de ce travail, où nous rappelons que Belon se sépare de l'ambassade et chemine selon un itinéraire moins directe et rapide, pour les besoins de sa propre démarche).

303 Nicolas de Nicolay, quatrième livre des Navigations & Pérégrinations, chap.XI, p.222.

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abondance ; ses fruits ont un arrière goût d'Éden, de même, que ces pages ont quelque chose d'une réminiscence de l'état antérieur à la chute, quand la nature était d'elle même féconde. Quelques régions d'Orient semblent conserver ce caractère spontané et luxuriant, qui ressort surtout de la comparaison avec ce que connait l'Europe, nous en trouvons l'exemple, lorsque Pierre Belon écrit : « L'herbe de basilic est semée par les campagnes d'Égypte, croissant trois fois plus grande qu'en ce pays-ci. »304. La nature en Orient est parfois très généreuse, elle fait don de ces bienfaits à celui qui passe, elle rend au centuple à celui qui la cultive305. Elle apparait dans une majestueuse abondance au voyageur patient et attentif, qui, tout en cheminant, se nourrit de cet ailleurs si doux et merveilleux, son corps se rassasie des dons de la terre et ses sens mêmes s'enivrent parfois de ces délices orientaux...

Pour achever cette comparaison entre nos textes, étudions un extrait du troisième voyageur de notre corpus, qui lui aussi plonge le lecteur dans des terres proche de l'Éden, lorsqu'il évoque Damas :

« Les jardinages sont cousus avec la ville, qui l'embellissent d'avantage, d'autant que, comme dict est, les arbres y sont verds en toute saison, tellement que pour la beauté du lieu, il y en a, qui veulent dire, que c'estoit là le paradis terrestre. Il faut que le climat y soit merveilleusement tempéré : par ce qu'ils ont tous fruicts que nous avons en Europe, comme poires, prunes, abricots, pêches, pommes, amandres, orenges, citrons, limons, poncilles, grenades, olives &

autres. & encore la cassia, carobbes, dattes, cannes de succre, muses, cotton, cyprès, & autres arbres, & fruicts, que nous n'avons pas. »306

Encore une fois, l'accumulation contribue à l'impression d'abondance, c'est la formidable concentration en un seul espace, d'autant d'espèces différentes, qui lui confèrent une dimension paradisiaque. En effet, l'aura merveilleuse, qui entoure l'Orient dans les imaginaires et dans l'expérience viatique, est très liée aux plantes et produits rares qu'on y trouve, aux richesses, qui s'y cachent parfois et s'y montrent d'autres fois307. Cette variété et diversité de plantes donne aux

304 P. Belon, Second livre des Observations, chap.40, p.308. Endentons bien que « ce pays-ci » fait référence à la France, du point de vue de laquelle se place Belon pour ses lecteurs.

305 À de nombreuses reprises dans leurs récits, Pierre Belon et Jean Palerne insistent sur cette fertilité des terres agricoles du Proche Orient.

306 Jean Palerne, chap.LXXXIV, p.211-212.

307 À cet égard, on pourrait invoquer la notion « d'El dorado », au sens large, d'un lieu caché et lointain -qu'il faut conquérir et découvrir- qui contient des richesses immenses (d'autant plus immenses qu'elles sont indéfinies et que ce territoire est très réceptifs aux projections les plus irréelles et démesurées des imaginaires) et déclenche, de ce fait, la convoitise des hommes (voir, à propos des effets réels de ces lieux imaginaires sur les explorateurs des Amériques, l'article « Le mythe de 'El Dorado' » dans l'ouvrage collectif Voyager à la Renaissance, Colloque de Tours, 1987). La richesse des terres orientales est exaltée par les auteurs à maintes reprises -elle participe grandement de l'attraction occidentale pour l'Orient, qui dans ce cas est purement intéressée par des considérations matérielles. Finalement, comme pour confirmer cette idée d'un Orient « el dorado » nous pouvons rappeler que Pierre Belon consacre plusieurs chapitres à l'or d'Amérique, mais également à celui d'Orient (chapitre 50 « Des mines d'or & d'argent du Grand Seigneur... » et chapitre 51 « Autre discours sur l'or... » dans

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hommes des aliments et des ressources, mais aussi des médicaments, des remèdes estimables & précieux, ou encore, des marchandises luxueuses et couteuses. Dans le récit d'un médecin botaniste comme Belon, la nature orientale apparait comme un véritable trésor, pour qui sait y puiser comme il faut, pour qui sait reconnaitre les propriétés de chaque plante308. Avant de clore cette partie, nous voudrions parler d'un autre lieu typique, qui, un peu à la manière de l'île, peut prendre des allures assez paradisiaques : « le Mont », autrement dit, le sommet d'une montagne. On peut trouver un exemple de cette idée, lorsque Pierre Belon annonce le contenu de son chapitre 42, en l'intitulant « Des plantes singulières du mont Athos, provenantes naturellement sans être cultivées. ». Ce caractère spontané de la végétation est admirable pour l'observateur, le superlatif est de rigueur pour évoquer ce lieu : « J'ai trouvé le mont Athos herbu sur tous autres lieux où j'aie oncques mis le pied »309 affirme ce connaisseur des choses et espaces naturels. Il confirme notre rapprochement avec l'Éden, lorsqu'il écrit : « Ce lieu est bien dû, car il est séant à gens solitaires, digne d'être comparé à un paradis de délices, pour gens qui aiment à se tenir aux champs. »310. Nous pouvons donc souligner ce rapprochement entre l'île et la Montagne, qui mériterait d'être étudié plus spécifiquement dans un autre travail ; ces deux lieux sont protégés et isolés, ils contiennent de nombreuses merveilles naturelles, qui se révèlent aux voyageurs curieux de les parcourir, ayant bravé les obstacles (terrestres ou maritimes) pour s'y rendre.

Au final, nous pouvons donc bien affirmer, que l'Orient, en certains lieux, peut prendre des dimensions paradisiaques sous la plume des voyageurs. La Terre Sainte reste, bien sûr, un lieu de prédilection pour ce genre de discours, Jérusalem apparait, par exemple, sous la plume de Belon, comme une terre d'abondance : « Ces montagnes sont si abondantes en toutes espèces d'arbres et herbes sauvages et aromatiques qu'on les peut comparer au Mont Ida en Crète... »311. Si la nature orientale, expérimentée par les voyageurs, joue un rôle important dans cette représentation assez onirique de l'Orient, les références littéraires et culturelles vont, elles aussi, transformer les terres ottomanes -à la fois dans le regard que porte sur elles les voyageurs et dans la représentation écrite

le Premier livre des Observations), sujet au coeur des préoccupations de l'époque (le récit de voyage est encore dans ce cas un miroir des intérêts européens).

308 Nous renvoyons le lecteur à certains chapitres exemplaires à ce sujet : chap.51 du Tiers-livre, nous y apprenons l'utilisation en Turquie de certaines plantes comme somnifères : « Les Turcs ont des merveilleuses expériences de plusieurs choses, comme pour faire dormir soudainement. Voudrait-on chose plus singulière que de trouver drogue pour faire incontinent dormir quelqu'un qui ne peut se reposer ? Ils vont chez un droguiste auquel demandent pour demi-aspre de la semence de tatoula. Puis la baillent à celui qui ne peut dormir... » (p.525-526) ; au chapitre 102 du Second livre, Belon met en avant les vertus de la rhubarbe (p.413-414), de même, au chap.59 du Premier livre, il évoque un remède, qu'il réalise avec les plantes dont il dispose : « Faisant un médicament à un splénétique à La Cavalle, je trouvai la manière de faire ce que les Anciens appelaient elaterium.. » (p.193);etc.

309 P. Belon, Premier livre des Observations, Chap.42, p.143.

310 Idem.

311 Belon, chap.81, second livre, p.373.

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qu'ils en donnent- et leur conférer une dimension attirante, si ce n'est merveilleuse...

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo