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John rawls et la question de la justice: une lecture de theorie de la justice

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par Israel Jacob Barouk MEKOUL
Université de Yaoundé I Ecole normale superieure de Yaoundé - DIPES II 2014
  

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2.2. : LE PRINCIPE DE REPARTITION DES BIENS

On peut énoncer le principe de répartition des biens de la manière suivante : « Les inégalités économiques et sociales [...] doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (le principe de différence) »108. Ce principe a pour rôle fondamental de répartir les biens entre les membres de la société, de façon à ne laisser personne de côté, et cela de manière juste et équitable. C'est pourquoi, admettre les inégalités n'est pas une mauvaise chose en soi, à condition que cela permette de maximiser le bien des plus défavorisés.

La répartition est liée aux systèmes de production, puisqu'elle traite des questions d'efficacité économique et des inégalités socio-économiques. Notre analyse du principe de répartition se déroulera à partir de deux idées principales, à savoir : la prise en compte des inégalités, la question de la justice distributive et l'idée de réciprocité.

Pour ce qui est de la question des inégalités, il est intéressant de souligner le système de production qui est l'organe même de la prise en compte des inégalités. Les deux ne peuvent pas être séparés car, dans un système de production, régi par des règles publiques, on retrouve les favorisés et les défavorisés. Ce système étant défini par des règles publiques, tous ceux qui y participent ont, en quelque sorte, l'obligation de les observer, dans la mesure où ces règles elles-mêmes sont issues de la coopération sociale. Leur première fonction est d'organiser la vie économique et sociale au sein du groupe en assignant à chaque membre de la société un rôle dans la distribution des tâches. Cette organisation des systèmes de production tient, en outre, compte du traitement des personnes, précisément à travers les salaires qui leur sont attribués. C'est pourquoi, il n'est pas possible de parler de salaire sans tenir compte de la production. Rawls définit le système de production comme « la manière dont ses règles publiques organisent l'activité productive, spécifient la division du travail, assignent des rôles variés à ceux qui y sont engagés et, ainsi de suite »109. Tout traitement de salaire dépend de la qualité de la production. Si l'on veut avoir des augmentations au niveau du traitement, il est important de produire plus. Même dans les salaires, les inégalités sont acceptables selon le principe de différence. Ce qui est plus important, c'est que les personnes qui ont des salaires élevés permettent à toutes les couches de la société de bénéficier des services de tous et même

108 Ibid., p. 70.

109 Ibid., p. 95.

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des personnes nantis. Certaines inégalités salariales devraient permettre à ceux qui perçoivent des gros salaires d'être capables de rendre la vie plus humaine. Par exemple, en créant des structures qui tiennent compte des personnes défavorisées. Ainsi, l'idée de justice équitable dans un système d'inégalités économiques et sociales qui soient à l'avantage de tous, pourra être réalisée.

Pour John Rawls, eu égard aux disparités sociales, la seule attitude justifiable, est celle où, malgré la différence, les inégalités procurent un avantage aux personnes les plus défavorisées. Cela voudrait dire, que « si les attentes des plus favorisés diminuaient, les perspectives des plus défavorisés diminueraient aussi. Des attentes encore plus élevées augmenteraient les attentes des plus désavantagés »110. Ce qui pourrait permettre à chaque citoyen de maximiser ses attentes, du plus au moins aisé, car même s'il existe des différences salariales, la croissance dans une économie de marché améliore le niveau de vie de chacun.

Rawls insiste aussi sur les risques de fracture sociale entre les pauvres et les riches, car l'accentuation des différences entre les classes sociales « transgresse le principe de l'avantage mutuel aussi bien que celui de l'égalité démocratique »111. Rawls voudrait ici montrer que, même s'il existe des différences dans la possession des biens, elles doivent être moindres. Sa thèse ne consiste donc pas à soutenir l'idée que tous les citoyens doivent avoir les mêmes richesses, car le principe de différence ne se rapporte pas à l'accession aux avantages sociaux-économiques, de façon égalitaire, mais plutôt à la possibilité, pour les citoyens d'obtenir, au cours de leur vie, des biens. Et ce, grâce à la diversité sociale existante. Ce principe suggère la prise en compte des inégalités dans la distribution d'avantages sociaux. Il est de ce fait nécessaire que les plus favorisés et les plus défavorisés travaillent pour arriver à instaurer ce système dans la répartition. De ce point de vue, la justice est compatible avec l'efficacité, parce que l'amélioration de la situation des uns engendre nécessairement l'amélioration de celle des autres. Mais, il est important, pour Rawls, de noter qu'en dépit de cette adéquation, la justice demeure supérieure et prioritaire à l'efficacité, d'autant plus que le principe de différence en lui-même n'exige pas une croissance économique continuelle sur plusieurs générations dans le but de maximiser à l'infini les attentes des plus défavorisés.

Le principe de différence s'appuie également sur la justice distributive. Du latin distributiva justitia signifiant : « le juste dans les distributions », la justice distributive règle la répartition des biens entre les membres de la société pour le bien commun. Elle considère les

110 Idem., Théorie de la justice, p. 210.

111 Ibid.

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mérites des individus, et distribue les biens selon une part proportionnelle à ceux-ci112. L'échelle des mérites n'est pas universelle et varie en fonction du régime politique et des valeurs qu'il proclame : la vertu pour l'aristocratie, la richesse pour l'oligarchie, la liberté ou le mérite en lui-même pour la démocratie. À la différence de la justice commutative qui ordonne l'égalité des parts échangées, la justice distributive est fondée sur une égalité géométrique. Elle commande l'égalité des proportions à raison des mérites. Et le rôle de l'Etat est de les répartir.

A ce niveau, Rawls est redevable à Aristote. Mais, il s'en distingue, lorsqu'il souligne qu'on ne peut pas uniquement distribuer les biens, les honneurs, les charges dans une société objective et hiérarchisée. On doit aussi distribuer les libertés de base, les droits fondamentaux que la modernité a attribués également à tous les individus. Car, pour que les honneurs, les biens soient bien distribués et satisfassent les individus, ceux-ci doivent être libres ou en santé. Comment un homme malade peut jouir de ses biens ? L'Etat doit d'abord se soucier des biens premiers avec les biens secondaires.

C'est pourquoi, c'est l'égalité qui est au fondement de la justice distributive. Elle donne à chacun la part qui lui revient. Mais elle s'inquiète aussi des démunis. C'est pour cela, qu'avec Rawls, ce fait de donner à chacun ce qui lui revient sera infléchi pour tenir compte des désavantagés. La société juste sera donc celle qui réussit à bâtir une équité minimale entre les individus, afin d'éviter le pire si quelques uns possédaient tout et ne laissaient rien aux autres. L'intérêt de la justice distributive est qu'elle s'efforce de réfléchir sur les critères nécessaires pour assurer le partage équitable des biens. Faut-il se limiter aux besoins des individus ? Faut-il insister sur ce qu'il produit ? Ou alors, tenir compte de ses droits ou de ses origines ?

La justice distributive de Rawls se fonde avant tout sur des données sociologiques, en premier lieu le fait que les inégalités se transmettent de père en fils et deviennent des inégalités subies depuis la naissance, ce qui est un état de fait injuste. Elle admet donc l'existence d'une inégalité (en version originale anglaise : unfairness) originelle qui est injuste. Il distingue ainsi la liberté commerciale qui régule le marché, et la liberté personnelle où réside le seul et unique concept de justice.

En effet, dans une société, il y a un conflit d'intérêts et une identité d'intérêts entre les individus; et, pour les régler, « Il faut donc un ensemble de principes pour choisir entre les

112 Selon Saint Thomas d'Aquin, cité dans, Le droit naturel, Que sais-je ?, Alain Sériaux, PUF, 1999

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différentes organisations sociales qui déterminent cette répartition des avantages et pour conclure un accord sur une distribution correcte des parts. Ces principes sont ceux de la justice sociale. Ils fournissent un moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base de la société et ils définissent la répartition adéquate des bénéfices et des charges de la coopération sociale. »113

Enfin, le principe de différence tient compte de la réciprocité114. La réciprocité est en contradiction avec l'utilitarisme qui privilégie les individualités au profit des plus grands groupes. Cette notion est introduite par Rawls pour contrer le principe utilitariste du plus grand bonheur pour le plus grand nombre : « le fait que le principe de différence comprenne une idée de réciprocité le distingue du principe d'utilité restreinte »115.

John Rawls considère la réciprocité comme un idéal dans la société démocratique qui constitue la trame essentielle de la théorie de la justice comme équité. Rawls souligne, en effet, que sa théorie est une théorie pour les sociétés démocratiques. Ainsi donc, tant qu'ils sont concepteurs de la société, les citoyens doivent avoir comme idéal social de base la réciprocité, d'autant plus que les principes de la justice ne doivent pas être considérés comme des normes imposées de l'extérieur, ou venant d'une autorité quelconque. Les principes de la justice sont le fruit de la coopération sociale entre les individus. L'idée de réciprocité, en tant qu'elle reconsidère les hommes dans une dimension totalement « non arbitraire » et symétrique (mutuelle), s'impose. C'est pourquoi, l'idée de réciprocité aboutit nécessairement à la justice comme équité. On pourrait même dire que « l'idée de réciprocité se situe entre celle d'impartialité (qui est altruiste et qui est motivée par le bien général) et celle d'avantage mutuel. La réciprocité, dans le cadre de la théorie de la justice comme équité, est une relation entre citoyens exprimé par les principes de la justice qui gouvernent le monde social »116.

Nous l'avons vu, dans la position originelle, les partenaires sont dans une position réciproque et sont conscients des retombées des choix qu'ils devront faire. Par exemple, ils savent que les principes qui seront adoptés prendront en compte les réalités de la vie de tous les citoyens. De ce fait, le fait qu'ils soient dans une situation symétrique les conduira à faire des choix qui prendront en compte les dimensions sociales et économiques de la société. La division égale est prise comme point de départ ; dès lors maximiser le travail, c'est travailler pour tout le monde tout en étant conscient que le plus important, est de promouvoir

113 John Rawls, Théorie de la justice, pp. 30-31

114 Ibid., p. 97.

115 Ibid., p. 171.

116 Marie Bruno Borde, « Justice et Démocratie. La philosophie politique de John Rawls », dans Bulletin de Littérature Ecclésiastique, n°1, (janvier-mars 2003), 43-60.

l'amélioration des conditions de vie des plus défavorisés. On peut comprendre Rawls lorsqu'il affirme que, la division égale étant comme le fondement de cette distribution, « ceux qui ont acquis davantage doivent le faire en des termes acceptables pour ceux qui ont acquis moins, et en particulier pour ceux qui ont acquis le moins »117. Rawls ne sépare pas la division égale de l'idée de réciprocité parce que, pour lui, elles sont complémentaires, car comme idées de base, elles permettent que les plus favorisés tiennent toujours compte des défavorisés, au sens où leur pleine richesse ne peut être effective que lorsqu'ils sont conscients que le moins favorisé possède un minimum pour sa survie. Et l'idée même de réciprocité vient du fait que, comme les deux principes étudiés plus haut, elle s'applique à la structure de base de la société. C'est donc ce lien avec la structure de base qui donne à l'idée de réciprocité son vrai sens et sa consistance, car les contingences ne doivent pas affecter les structures sociales, que ce soit à l'avantage ou au détriment des défavorisés comme des favorisés. L'idéal, c'est de partir de la réciprocité, puisque les principes sont ceux de la justice comme équité. L'équité repose fondamentalement sur la réciprocité : il y a équité entre citoyens lorsque tous prennent conscience qu'ils partagent les mêmes droits et les mêmes libertés. Ces droits et libertés vont de pair avec les devoirs à accomplir. Cette idée de réciprocité nécessaire pour le choix des principes est une des idées essentielles du principe de différence de la théorie de la justice.

En guise de conclusion à ce deuxième chapitre, nous pouvons retenir que les principes rawlsiens de la justice sont de deux ordres : le principe d'égale liberté et le principe de différence. Ces deux principes soulèvent des limites que nous allons examiner dans la deuxième partie.

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117 John Rawls, La justice comme équité, p. 172.

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DEUXIEME PARTIE :

LES PROBLEMES LIES A LA CONCEPTION

RAWLSIENNE DE LA JUSTICE

Cette partie est essentiellement évaluative. Dans cette optique, nous allons relever les points d'ombre de la justice rawlsienne. En effet, la conception rawlsienne de la justice s'appuie sur le « voile d'ignorance » pour dégager des principes qui seront respectés par tous les partenaires. Puisque les partenaires vont se retrouver dans la vie pratique, se pose alors la question de la garantie de l'accord initial. Autrement dit, comment être sûr que les choix opérés par les partenaires ne seront pas violés par eux.

Quel gage de sureté faut-il attendre des partenaires sortis de la position originelle ?

La question de la juste égalité des chances soulève le problème de la liberté : l'obligation à la solidarité envers les défavorisés ne s'apparente-t-elle pas à une forme de contrainte ?

Bien plus, la revendication de la liberté sans prise en compte de l'environnement dans lequel elle doit s'exprimer ne court-elle pas le risque d'être liberticide?

Notre critique dans cette partie aura deux volets : d'une part, nous critiquerons le « voile d'ignorance » et le principe de juste égalité des chances ; puis, nous dégagerons les limites apportées à certains droits et libertés.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera