2.3.5.2 Le Cameroun dans les
mouvances de l'éducation pour tous
Le Cameroun, pays majeur de la Communauté
Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale, représentant
à lui seul environ la moitié du PIB de la communauté,
ancien pays à revenu intermédiaire qui avait quasiment atteint la
scolarisation primaire universelle au début des années 80, a
énormément souffert, ainsi que son système
éducatif, de la crise des années 90. Ramené comme la
Côte d'Ivoire au nombre des pays à faible revenu, il a
dû diminuer sévèrement en 1993 le salaire des enseignants,
dont le pouvoir d'achat a été encore réduit par la
dévaluation du franc CFA. Malgré une population scolarisée
en hausse constante au cours de la dernière décennie, plus
de 4 enfants sur 10 ne terminent pas l'école primaire, seule
garantie d'une espérance d'alphabétisation à
l'âge adulte de plus de 80%1. Le système, qui reste
affaibli, va devoir affronter, pour relever le défi de la Scolarisation
Primaire Universelle, une pression démographique énorme (plus
d'un tiers d'enfants d'âge scolaire en plus d'ici 2015) et une
importance du VIH/SIDA doublement accablante (par l'augmentation du
nombre d'orphelins et la diminution du nombre d'enseignants valides).
Pari apparemment difficile à gagner. Pourtant, le pays retrouve son
niveau économique d'avant crise et semble de retour sur le chemin de
la prospérité ; les taux de scolarisation sont
constamment en hausse ces dernières années, en particulier
depuis la gratuité de l'école instaurée à la
rentrée 2000, et de grandes opportunités de financement
pourraient alléger la contrainte financière. Quels sont
réellement les défis à relever avec l'objectif d'EPT
? Quels obstacles pour le Cameroun ? Quelles pistes pour les
politiques éducatives futures ?
v Les défis
- Augmenter quantitativement la scolarisation
L'éducation, comme l'ensemble des secteurs
économiques et sociaux, a pâti de la crise du début
des années 1990. Depuis 1995, cependant, les taux bruts de
scolarisation sont en hausse, excepté au secondaire second cycle et au
secondaire technique, où on note un léger recul depuis 2000/01.
Le taux du primaire atteint ainsi 105,4% en 2003, niveau bien supérieur
à la moyenne africaine. Cependant, ce taux est non seulement
gonflé par les redoublements (qui sont très importants au
Cameroun), ce qui explique en grande partie son niveau supérieur
à 100, mais en plus il cache ce qui se passe réellement au
cours du cycle. Si l'on y regarde de plus près , on
s'aperçoit que le système camerounais est
caractérisé par un bon accès à l'école, m
ais un achèvement faible du cycle primaire. Le taux brut
d'accès est en effet de l'ordre de 95 %, ce qui indique que
l'accès à l'école n'est plus un problème
déterminant au Cameroun, en particulier depuis la suppression des frais
d'écolage à la rentrée 2000. En revanche, le taux
d'accès en 6èm e année reste faible, avec 6 enfants sur 10
seulement qui atteignent cette classe. Notons la dualité du
système camerounais, avec ses sous-systèmes francophone et
anglophone hérités du passé colonial du pays et
prépondérants respectivement sur 8 et 2 provinces du pays. Dans
le sous-système francophone, où l'école primaire dure 6
ans, seuls 60% des enfants entrant en première année
atteignent la fin du Cycle alors que dans le sous-système anglophone
ce sont près de neuf entrés sur dix qui atteignent la classe de 6
ème, 74% atteignent la fin du cycle (qui dure 7 ans). Le taux de
transition vers le secondaire est cependant plutôt faible dans le
sous-système francophone si bien que les niveaux de scolarisation
s'équilibrent au secondaire. Quoiqu'il en soit, les objectifs Education
Pour Tous et du Millénaire, auxquels le Cameroun a adhéré,
supposent d'atteindre un taux d'accès à l'enseignement
primaire de 100 %, mais aussi un taux d'achèvement de 100 % du cycle
primaire en 2015. Pour atteindre cet objectif, l'effort fait au cours des
dernières années devra être fortement intensifié :
par rapport aux 1,6 % gagnés sur l'achèvement en moyenne
annuelle depuis 1995, il faudra progresser de plus de 3% par an au cours des
12 prochaines années pour atteindre le but fixé.
L'importance du secteur éducatif privé
camerounais (18%) lui offre une chance de support en terme d'offre, à
condition toutefois que le choix des familles soit
déterminé par des possibilités financières
réelles et non par des déficiences du système public.
- Améliorer la qualité
Les objectifs du Millénaire, comme ceux de
l'Education Pour Tous, incluent aussi une dimension de qualité de
l'enseignement, la scolarisation n'ayant pas de valeur en soi si les
acquisitions des élèves ne sont pas réelles. Les
études PASEC réalisées en 1995/96, à partir
d'épreuves uniformes entre les pays en 2ème et 5ème
année, révèlent que, pour le sous-système
francophone sur lequel l'étude a porté, le niveau des
élèves du Cameroun est assez bon, comparativement aux autres
pays enquêtés : les élèves camerounais sont
premiers en français et deuxièmes en mathématiques,
à la fois au CP et au CM1. Au niveau secondaire, les enquêtes
MLA5 montrent que le niveau des acquisitions au Cameroun est
également comparativement bon en sciences. Cependant, le taux de
réussite au Certificat d'Etudes Primaires (CEP) est relativement
faible, en particulier dans le sous-système francophone (55% de
réussite contre 75% dans l'anglophone), indiquant que le niveau
des élèves est encore inférieur aux attentes nationales.
L'examen des conditions d'enseignement révèle que d'importants
progrès peuvent être faits sur les intrants de la qualité :
un quart des élèves, par exemple, ont moins d'une place
assise pour 2, et le taux d'encadrement, de 64 élèves
par maître, est bien supérieur à la moyenne africaine (42)
et a fortiori à l'objectif proposé par le cadre indicatif Fast
Track (40). L'amélioration de la qualité nécessitera la
mise à disposition de ressources humaines et matérielles
supplémentaires jusqu'aux écoles. Ce défi qualitatif
renvoie par ailleurs au défi quantitatif, puisqu'un taux d'encadrement
de 40 élèves par maître impliquerait, pour scolariser tous
les enfants du primaire, de disposer en 2015 de 84 000 enseignants environ
(ils étaient 36 000 en 2003), soit un rythme de recrutement
plus de 3 fois supérieur à celui des 12 dernières
années.
- Améliorer l'équité
Enfin, les objectifs du Millénaire sont aussi des
objectifs d'équité. Or le système camerounais est
caractérisé par de fortes disparités. Les
disparités de genre sont en fait principalement marquées
dans le primaire (cf. Graphique 2), dans les régions où la
demande est déjà faible(dans certaines régions, les filles
sont au contraire avantagées par rapport aux garçons) : sur les
3 régions les plus faiblement scolarisées (Grand Nord :
Extrême-Nord, Nord et Adamaoua), pour 7 garçons qui terminent le
cycle primaire, seules 3 filles le font. Mais ces disparités de genre
s'estompent dans la suite de la scolarité. Ce sont alors les
disparités géographiques, entre les différentes provinces,
qui sont les plus importantes au premier cycle du secondaire. Finalement, ce
sont les écarts de revenus qui discriminent le plus la scolarité
des enfants, et ce de plus en plus fortement au cours de la scolarité :
les chances des enfants des ménages les plus riches d'atteindre le
second cycle secondaire sont 40 fois plus élevées que celles
des enfants les plus pauvres. Le défi de la scolarisation
consiste donc non seulement à augmenter les scolarisations, mais
en plus à cibler les efforts sur les populations les plus
vulnérables.
v Les obstacles
- Un manque de moyens
Les difficultés économiques du pays ont sans
nul doute porté préjudice au système. Mais est ce encore
un réel frein ? La réponse peut être nuancée
au vu des arbitrages budgétaires effectués. Le Cameroun
bénéficie en effet d'un PIB par habitant relativement
élevé, et d'une pression fiscale qui lui permet de
prélever pour le budget 20% de la richesse nationale. C'est la part du
budget allouée à l'éducation qui est faible, 14%, ainsi
qu'en son sein la part allouée au primaire, 42%, bien inférieures
aux moyennes africaines (respectivement 19% et 49%) et aux valeurs de
référence du cadre indicatif Fast Track (20% et 50%). Il
existe donc apparemment d'importantes redéfinitions possibles des
priorités budgétaires au sein du budget actuel pour
privilégier l'éducation en général et le primaire
en particulier. Notons que ce faible engagement au niveau primaire se fait au
bénéfice du secondaire, qui reçoit une part du budget
éducatif une fois et demi plus grande que dans les autres pays
africains comparables.
Il en résulte que la dépense moyenne par
élève au primaire est la plus faible d'Afrique (7% du
PIB/tête). Outre le faible budget alloué, cette position
comparative s'explique certes par une couverture quantitative relativement
bonne (la dépense globale est répartie sur un nombre
important d'élèves), mais aussi par le taux d'encadrement
particulièrement élevé et le salaire moyen des
enseignants, qui reste bien supérieur en moyenne en Afrique (4,6 fois le
PIB/habitant contre 3,9 au Cameroun).
- Une situation précaire du corps enseignant
La précarité de la situation enseignante
est en premier lieu d'ordre financier : après la réduction
des salaires en 1993 de 70% et la dévaluation du franc CFA
l'année qui suivait, le pouvoir d'achat des enseignants a
chuté de manière spectaculaire, portant gravement atteinte
à leurs motivations et à l'attractivité de la profession
auprès des éventuelles nouvelles recrues. Bien que les salaires
aient depuis légèrement augmenté, les perspectives
d'évolution salariale et les primes d'éloignement pour ceux
qui sont affectés loin de chez eux ont été
supprimées. Outre cela, au niveau des écoles primaires les
écoles d'instituteurs, qui entre 1998-2003 ont peu de candidats (2 600
contre les 9.200 places offertes), proposent des formations onéreuses et
ne peuvent, contradictoirement, garantir l'embauche aux diplômés
(la première intégration depuis 1996, comme vacataires, a
concerné les 1 700 plus anciens parmi les quelques 20 000
diplômés depuis lors) malgré le manque d'enseignants, ce
manque en particulier dans certaines zones rurales, a amené les
populations à trouver des solutions alternatives, en recrutant et en
rémunérant elles-mêmes des enseignants en son sein,
souvent peu ou pas formés. Ces « maîtres-parents »
au niveau du primaire et enseignants représentent aujourd'hui plus d'un
quart de l'ensemble des enseignants. Cela soulève des problèmes
d'équité entre les enseignants, au niveau de la
rémunération, entre les élèves, qui ont des
enseignants de niveau très inégal, mais aussi entre les
familles, dont certaines, souvent parmi les plus pauvres, doivent
prendre en charge la rémunération des maîtres. Notons
que le système camerounais est marqué par le fait que les
dépenses d'éducation des ménages correspondent à
près du tiers des dépenses totales engagées pour la
scolarisation Primaire publique. Il est donc important de veiller à ne
pas alourdir encore ce poids supporté par les familles. Cette situation
provient notamment d'une gestion approximative du corps enseignant, dont on ne
connaît d'ailleurs pas le nombre exact : les différentes sources
ministérielles divergent. En conséquence, les enseignants ne
sont pas affectés, comme on pourrait s'y attendre, en fonction
du nombre d'élèves dans les écoles : au contraire
45% des décisions d'allocation dans des écoles
relèvent des critères autres que celui du nombre
d'élèves inscris (favoritismes ou méconnaissance de la
réalité de terrain), plaçant le Cameroun dans une des
mauvaises position quant à la gestion des enseignements et nuisant
à la bonne utilisation de cette ressource déjà rare dans
le pays.
- Une efficience problématique
Cette gestion chaotique du corps enseignant participe de
l'efficience assez faible du système camerounais. Celle-ci se
manifeste en premier lieu au niveau de l'efficacité interne, et
en second lieu dans la transformation des ressources en résultats.
Concernant le premier aspect, le système camerounais est
caractérisé par une rétention au cours du cycle
primaire assez faible et une présence très importante du
redoublement, en particulier dans le sous-système francophone
(28%, contre 17% dans le sous-système anglophone). Or le
redoublement, dont l'efficacité sur le niveau des élèves
est infirmée empiriquement, a un coût important pour le
système, puisqu'on peut lui imputer plus de 20% des dépenses du
cycle. Notons que la différence entre les deux
sous-systèmes dans les niveaux de redoublement équivaut
à celle qu'on observe entre les pays africains francophones et
anglophones et correspond visiblement à une conception différente
des apprentissages et de l'évaluation entre ces deux cultures.
Par ailleurs, la comparaison entre les ressources disponibles
par élève dans les écoles et les connaissances acquises
montre que ces deux dimensions sont peu liées. Cela peut
appeler deux conclusions : soit une partie des écoles ont «
trop de moyens », puisqu'elles n'enseignent pas mieux que les
autres, auquel cas ce surplus pourrait être utilisé
ailleurs ; soit il est urgent de mettre en place des mesures pour s'assurer
que les moyens (personnel qualifié, matériel
pédagogique,..) alloués aux écoles servent
effectivement à améliorer la qualité de l'enseignement.
v Les pistes
d'amélioration
- Améliorer la gestion et l'efficience
Que ce soit dans le contexte actuel de ressources
limitées ou dans la perspective de financement
supplémentaire (augmentation des budgets nationaux et/ou aide
extérieure), une amélioration de la gestion du
système s'impose. L'engagement du Cameroun vis-à-vis de
l'éducation devra être plus marqué, par des arbitrages
budgétaires sans ambiguïté, pour bénéficier de
différentes initiatives internationales, mais surtout il conviendra de
veiller à ce que toutes ces ressources bénéficient
bien à l'extension et à l'amélioration qualitative
de l'école.
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