La régulation des télécommunications au Congo( Télécharger le fichier original )par Audry Jostien EYOMBI Université Marien Ngouabi de Brazzaville - Master en droit public 2012 |
B. ARPCE : une Juridiction ?Il va s'agir de se demander si malgré la spécificité du pouvoir de sanction attribué à l'agence, l'exercice de ce pouvoir peut s'apparenter à l'exercice du même pouvoir par une juridiction. L'intérêt de cette interrogation peut résider dans le fait que l'ARPCE, une autorité administrative, soit dotée d'un tel pouvoir. Il est mieux de réfléchir sur le fait que l'exercice de ce pouvoir (notamment à propos de la procédure de prononcer des sanctions), se doit de respecter ou non les mêmes principes que la procédure devant les juridictions, l'on pense notamment au principe du procès équitable, des droits de la défense(120) et bien d'autres1(*) En effet, l'ARPCE peut infliger des sanctions personnelles privatives de droit : il peut par exemple s'agir de restriction ou même d'interdiction de l'exercice de l'activité relevant de son domaine. Il peut aussi s'agir tout simplement des sanctions pécuniaires. D'emblée, on peut l'affirmer au même titre que le professeur Placide Moudoudou que l'ARPCE, comme les autres autorités de régulations « ne sont pas des juridictions »(121).A cet effet, deux raisons fondamentales, évoquées par le doyen Moudoudou illustrent bien cette affirmation. La première raison réside en ce que « les décisions de l'agence de régulation ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée ». En effet, l'autorité de la chose jugée qu'évoque le professeur Placide Moudoudou, est une autorité attachée à un acte juridictionnel, qui interdit la remise en cause en dehors des voies de recours légalement ouvertes(122). Les parties sont tenues de se conformer au jugement qui a été prononcé. Il en va notamment ainsi pour l'administration. Aucune considération, relevant de l'opportunité ou du droit, aussi sérieuse soit-elle, ne peut justifier l'inexécution de la chose jugée(123). Il y'a chose jugée lorsque la même demande, entre les mêmes parties, agissant en les mêmes qualités, portant sur le même objet, soutenue par la même cause, est à nouveau portée devant une juridiction. La notion de la chose jugée est dite `'relative'', lorsqu'elle ne crée de droits ou obligations qu'en faveur ou à l'encontre de ceux qui ont été parties ou représentés à l'instance(124). Pourtant la décision ayant autorité de chose jugée est opposable aux tiers, qui doivent la respecter, sauf à former une tierce opposition. Elle est dite `'absolue '' ou `'erga omnes'' lorsque les effets juridiques de la décision rendue s'imposent à tous, non seulement aux parties à l'instance, mais également à l'ensemble des tiers lato sensu.1(*) Une analyse minutieuse de l'exercice du pouvoir de sanction, nous laisse comprendre qu'elle n'est finalement pas une juridiction stricto sensu. Contrairement aux juridictions, l'agence de régulation est soumise aux régimes de mise en demeure(125). En effet, ses sanctions sont prononcées après que l'entreprise mise en cause a reçu notification des griefs et a été mise à même de consulter le dossier et de présenter ses observations écrites et orales. A titre exceptionnel, et lorsque le manquement est particulièrement grave, notamment au regard de l'importance de la règle concernée ou des conséquences préjudiciables que sa violation entraine pour le secteur, ou lorsqu'il résulte de la non exécution d'une décision de règlement de litige, des mesures provisoires peuvent être adoptées, sans mise en demeure, en attendant de prendre des mesures définitives. Les mesures provisoires ne peuvent produire d'effets que durant une période limitée, laquelle ne peut être supérieur à six semaines. Il faut aussi noter que les décisions de sanctions sont motivées et notifiées à l'entreprise intéressée. Elles peuvent être rendues publiques. Cette procédure est vraisemblablement différente à celle d'une juridiction proprement dite. De même, le pouvoir de sanction que dispose l'ARPCE est soumis à un encadrement très strict. Les exigences requises ne sont les mêmes que les juridictions tant administratives que judiciaires sont soumises lorsqu'elles prononcent des sanctions. Le pouvoir de sanction est soumis un contrôle à posteriori dans son exercice, non plus par des autorités administratives mais des autorités juridictionnelles. L'ARPCE est une autorité administrative par essence, elle prend des décisions qui font griefs(126) .Ces décisions y compris ces sanctions peuvent faire l'objet d'un recours juridictionnel(127).1(*) La nature de l'agence pourrait conduire logiquement à confier à la juridiction administrative le soin d'exercer un contrôle sur les actes qu'elle prend. Toutefois, dans un souci d'efficacité et de simplicité, notamment en matière économique, la compétence pour connaitre des recours exercés contre les décisions prises par l'agence de régulation est conférée à la Cour suprême. En effet, la loi 9-2009 du 25 novembre 2009, portant réglementation du secteur des communications électroniques prévoit que `' la voie de recours offerte en contestation des décisions rendues par l'agence, est le recours en annulation ou une demande de sursis en exécution devant la Cour suprême'' (128). Il est nécessaire de noter qu'en désignant la Cour suprême comme l'organe compétent à exercer le contrôle sur les actes de l'agence de régulation et ses décisions, la loi du 25 novembre a résolu un problème qui reste entier en France (129). Alors que les recours contre les décisions prises par l'Autorité de Régulation de Télécommunications en France, lorsqu'elle est saisie d'un différend sont de la compétence de la Cour d'appel de Paris, la loi du 26 juillet 1996 précise que ses décisions prononçant une sanction peuvent faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat. Une telle sanction pourrait intervenir dans l'hypothèse où l'une des parties ne se conformerait pas à une décision prise par l'ART en matière de règlement de différends. Il pourrait en résulter qu'une même affaire donne lieu à l'intervention tant de la Cour d'appel de Paris, sur recours exercé contre la décision prise par l'ART pour le règlement du différend, que du Conseil d'Etat, sur recours exercé contre une éventuelle décision de sanction prise par l'ART pour mauvaise exécution ou refus d'exécution de la décision de règlement du différend. La deuxième raison est simplement le fait que l'agence de régulation est « ouverte à des personnalités choisies en règle générale pour leur expérience et leur impartialité » (130). Le règlement CEMAC qui pose les bases juridiques pour la réglementation des différents pays membres de l'institution sous régionale, met en exergue des critères à chercher pour la désignation des membres de l'agence nationale de régulation(131). Les critères qui seront plus tard repris par la législation congolaise en vigueur(132). L'ouverture « à des personnes choisies en règle générale », qui ne sont pas forcement les professionnels de justice, déclasse l'agence de régulation dans le rang des juridictions. 1(*) * 127. Le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 5 mai 1944, «Dame Veuve TROMPIER GRAVIER », GAJA, p., 357, a donné une approche de définition sur les droits de la défense en affirmant qu' : « (...) une telle mesure ne pouvait légalement intervenir sans que la dame veuve Trompier-Gravier eut été mise à même de discuter les griefs formulés contre elle ».
128. Moudoudou(P), « Les tendances du droit administratif en Afrique noire francophone », Op. Cit, p. 51. 129. Lexique des termes juridiques, Paris, 18e éd., Dalloz, 2011, p. 140. 130. Ibid., p. 140. 131. Chapus(R), Droit administratif général, Paris, Montchrestien Tome 1, 2001, 15e éd. * 132. Article 171 de la loi 9-2009, du 25 novembre 2009. * 133. Conseil d'Etat, Ass., 2 juillet 1982, Huglo, Rec. 257, AJ 1982.657, concl. Biancarelli, note Lukascewiez ; D. 1983.IR. 270, obs. P. Delvolvé. 134. «Le recours pour excès de pouvoir(...) contre l'acte de concession, recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif, et qui a pour effet d'assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité ».Conseil d'Etat, Ass., 17 février 1950, Ministère de l'agriculture c. Dame Lamotte, Rec. 110. 135. Article 142, loi du 25 novembre 2009. * 137. Lombard(M), Droit administratif général, précité, p. 121. 138. « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les constitutions du renouveau démocratique dans l'espace francophone africain : régimes juridiques et systèmes politiques », Holo (T), RBSJA, 2006, n° 16, pp.29-30. 139. Règlement CEMAC, Op. Cit. , article 4-3 140. Loi n° 11-2009, article 10. 141. Loi du 20 mai 2005, portant création de l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes, (ARCEP). 142. Décret n°2007-209 du 10 Mai 2007, l'Autorité Transitoire de Régulation des Postes et Télécommunications (ATRPT). 143. Article 1er, loi du 25 novembre 2009, portant création de l'ARPCE. |
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