3. ... dans un paysage institutionnel complexe
En France, il y a une volonté politique quant au
maintien à domicile des personnes âgées de plus de 60 ans
et le placement en établissement des personnes handicapées de
moins de 60 ans. Ces injonctions dépendent pour une part des
représentations que se font les structures administratives
chargées de décider du maintien à domicile ou du placement
en établissement. Or, ces structures, ont du mal à imaginer la
vie à domicile des personnes en situation de handicap alors qu'elles
l'érigent comme norme, « parfois au-delà du
raisonnable ». D'autre part, les décisions d'entrée en
établissement sont fortement liées aux coûts qui impliquent
ces décisions : à dépendance équivalente, le
coût du maintien à domicile sera plus élevé pour une
personne handicapée que pour une personne âgée, et la
situation inverse s'observe pour le placement en établissement.
L'utilisation du terme
« dépendance » pour les personnes âgées
victimes de maladies ou de handicaps, à la place des termes de
« handicap » ou « invalidité »,
est révélatrice de l'organisation de notre système :
un homme ou une femme de moins de 60 ans gardant des séquelles d'un
accident vasculaire cérébral est une personne
handicapée ; ses 60 ans passés, il ou elle devient alors une
personne âgée dépendante.
Cela relève d'effets notoirement pervers. Notre
société instaure une barrière d'âge que nous
pourrions qualifier d'artificielle, qui apparaît souvent
discriminatoire.
L'âge de 60 ans ne correspond pas, et correspondra de
moins en moins, à un seuil significatif du vieillissement.
Le problème que représente la fixation de ce
seuil a été notamment avancé dans l'ouvrage de Florence
WEBER : Handicap et dépendance. Drames humains, enjeux
politiques.
En effet, pour elle, cette limite des « 60
ans », s'étant imposée du fait de la définition
salariale de la protection sociale en France, ne fait pas sens si l'on
s'intéresse aux « parcours de vie », autrement dit
aux besoins réels exprimés par la personne.
Si ces parcours, marqués par la dépendance,
devaient se rapprocher d'un âge, il serait plus celui de 50 ans. Un
second seuil, d'après l'auteur, serait celui des 85 ans.
Or, à l'heure actuelle, avoir 60 ans relève
uniquement du changement dans le régime de prestations et l'ouverture de
différents droits. D'autant plus que, en ce qui concerne les couches
sociales les plus défavorisées, les premières
difficultés dans la vie quotidienne se font bien souvent sentir
avant.
Aujourd'hui, nous pouvons dire qu'il existe une vraie
complexité du paysage institutionnel (avec la création des
Maisons Départementales des Personnes Handicapées : MDPH) et
réglementaire (avec le maintien de normes spécifiques et
complexes par public).
Les dispositifs destinés aux personnes
handicapées émanent essentiellement de leur histoire : celle
des accidentés du travail et des invalides de guerre. Les associations
ont joué un rôle primordial dans la création et la gestion
de ces dispositifs. Cependant, en fonction des types de handicap, la situation
apparaît contrastée, la cause des handicaps sensoriels et
physiques étant mieux défendue que celles des handicaps
psychiques (le handicap psychique fut reconnu comme tel avec la loi de 2005,
soit depuis environ huit ans).
En outre, en termes de politique managériale, l'un des
enjeux majeurs des départements vis-à-vis des MDPH serait de
parvenir à stabiliser leurs personnels, afin de pouvoir
développer un véritable esprit d'équipe. La
multiplicité des statuts au sein du personnel représente, en
effet, une source de complexité.
De plus, face à ces exigences, le déficit des
formations qualifiantes, notamment pour les professionnels aidantspeu
diplômés, est assez flagrant. La Cour des comptes estime à
seulement 18% le pourcentage des aides à domicile ayant une
qualification sanctionnée par un diplôme professionnel. Ceci tient
au fait que le secteur de l'aide à domicile constitue souvent un point
d'entrée sur le marché du travail pour des personnes non
diplômées.
En 1999, la proportion des titulaires du Certificat d'Aptitude
aux Fonctions d'Aide à Domicile (CAFAD) était de 9% dans les
structures associatives et de 11 % dans les Centres Communaux d'Action Sociale
(CCAS), 48% des aides à domicile n'ayant aucune formation. Aucune
qualification n'étant exigée, la formation initiale dans ce
secteur est donc peu développée.
En outre, les auxiliaires de vie gèrent des publics
divers : enfants handicapés, adultes handicapés, personnes
âgées présentant des pathologies différentes... et
donc des prises en charge à adapter.
Enfin, l'offre de qualification reste, d'une manière
globale, peu lisible dans la mesure où elle se compose de
différents diplômes aux finalités qui, même si elles
sont proches, relèvent de divers ministères.
Malgré les efforts des pouvoirs publics et les acteurs
de la personne âgée eux-mêmes pour valoriser l'approche
gérontologique et apporter des financements complémentaires pour
l'amélioration de la prise en charge, nous constatons que l'objectif de
structuration de la filière gérontologique n'est pas encore
atteint, et que de nombreux freins subsistent pour permettre cette coordination
des acteurs sanitaires, médico-sociaux et sociaux.
Pourtant, tous oeuvrent au maintien à domicile des
personnes dans de bonnes conditions de vie. Cette méconnaissance aurait
certainement un lien avec les formations initiales ou continues
inadaptées, mais également avec l'inexistence de lieux de
rencontre et d'information, ainsi que l'absence d'une habitude de travailler en
réseau coordonné.
La logique de cloisonnement des secteurs sanitaires,
médico-sociaux, et sociaux conduit à
créer des mondes clos sans communication, alors même que la
personne circule d'un monde à l'autre et a besoin d'une prise en charge
qui s'inscrive dans la continuité.
Même si les réseaux gérontologiques et
autres se sont largement développés au cours des dernières
années, ils sont encore loin de mailler l'ensemble du territoire
français et restent assez fragiles.
Au-delà de la difficulté à objectiver les
besoins des individus, les efforts des autorités de tutelle portent
avant tout sur l'analyse des structures, et notamment sur la qualité et
la sécurité de la prise en charge.
Or, d'après Florence WEBER, si ce souci
d'amélioration constant de la qualité participe à
l'amélioration de la prise en charge des personnes âgées,
il conduit cependant à oublier que la structure sanitaire ou
médico-sociale ne sont qu'un élément de la filière
gérontologique qui, elle, répond dans sa globalité aux
besoins de la personne âgée.
L'invention de la « dépendance »
crée alors un type de besoin, ce dernier n'étant ni totalement
sanitaire, ni totalement social et dont les acteurs de la prise en charge
(Etat, collectivités, soins médicaux...) ne sont pas clairement
définis.
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