1.2. Le souvenir des événements de 1989 est
encore présent :
Dès le lendemain des indépendances les relations
entre les communautés négro-africaines de la Mauritanie et les
Beïdanes furent secouées par plusieurs tensions. En effet, cette
population noire demande une plus grande responsabilité au sein des
instances dirigeantes. L'application de la nouvelle loi sur le domaine national
en Mauritanie visait à redistribuer les terres fertiles de la
vallée en faveur des Beïdane au détriment de la population
noire. L'Etat mauritanien procède ensuite à des
répressions et des expulsions de la population noires. En Mars 1988 les
tensions latentes entre sénégalais et mauritaniens
s'accélèrent dans la vallée du fleuve
Sénégal. C'est ainsi qu'a commencé ce qui allait mener
quelques mois plus tard à la plus grave crise dans les relations entre
le Sénégal et la Mauritanie.
Le barrage de Manantali venait d'être
réceptionné alors que celui de Diama était mis en service
deux ans auparavant. Des expulsions d'agro-pasteurs de part et d'autre des deux
pays débouchèrent très vite sur l'exhumation d'un vieux
litige relatif au tracé de la frontière entre les deux pays. La
tension éclata en Avril 1989 à la suite des incidents survenus
à
34 Fall(P.D) : Etat-nation et migrations en Afrique de l'Ouest :
le défi de la mondialisation, UNESCO 2004
35 Sy(S.H),2002 idem
UCAD - Département de géographie, Mémoire de
maîtrise de Géographie présenté par M. Barka BA 2010
50
« Les relations transfrontalières entre deux
villes jumelles du fleuve Sénégal : Matam Réo et Matam
Sénégal »
Diawara dans le département de Bakel entre pasteurs
peuls et garde frontière de la Mauritanie. Après des tueries et
prises d'otages localisées, la tension ne tarda pas à gagner tout
le long du fleuve et les principales villes des deux pays. Entre le 10 et le 15
Avril quelques boutiques mauritaniennes furent pillées à Bakel. A
Matam la crise dégénéra quand un cultivateur matamois
revenant de son champ fut battu à mort par des mauritaniens. La
révolte s'avéra violente. Les populations matamoises, elles aussi
tuèrent un mauritanien qui tentait de regagner son pays et elles
procèdent au saccage des boutiques maures. A Dakar, on enregistre des
pillages des boutiques tenues par les Beïdane, les 22 et 23 Avril. Ces
nouvelles, arrivées à Nouakchott, passablement
exagérées, produisent le 24 Avril, une riposte très
violente au marché de la capitale et dans les quartiers des
5éme et 6ème
arrondissements36.
Les chiffres sont contestés mais le bilan du conflit
est lourd. Outre des centaines de morts, près de 75.000
sénégalais et 150.000 mauritaniens durent être
rapatriés au courant du premier semestre de 1989 (Magistro, 1993 ;
Horowitz, 1989 ; Parker, 1989). Des milliers de noirs se réclamant de la
nationalité mauritanienne furent déportés au
Sénégal. On a même noté des échanges de tirs
d'artillerie lourde entre les armées des deux pays
déployées de part et d'autre du fleuve (Magistro, 1993, Parker,
1989). Après le rapatriement des mauritaniens et des
sénégalais, le président de la République Islamique
de la Mauritanie, MAOUYA OULD SID'AHMED TAYA lance un appel à `'
l'unité nationale et à la concorde». «... dans son
discours (énoncé pour la première fois en français
puis traduit en arabe), il rejette `'la responsabilité pour
l'histoire» des événements sur le Sénégal et
affirme que `' désormais, toute tentative de trouble sera
considérée comme une haute trahison à la Patrie et
traitée comme telle» »37. Ainsi commence des
rapatriements vers le Sénégal c'est-à-dire l'expulsion des
mauritaniens qui pour le gouvernement sont d'origine
sénégalaise.
En juillet le président sénégalais ABDOU
DIOUF réagit à Paris où il se trouvait en affirmant que `'
la déportation de citoyens mauritaniens d'origine
négro-africaine est un scandale.»(Libération du 16
juillet 1989 citée par SY, 2002). Le 27 juillet 1989, Nouakchott accuse
Dakar de préparer une offensive militaire38 après
avoir annoncé que `'l'unité nationale
36 Sy(S.H),2002 idem
37 Sy(S.H),2002 idem.
38 Le Monde du 28 Juillet 1989.
UCAD - Département de géographie, Mémoire de
maîtrise de Géographie présenté par M. Barka BA 2010
51
« Les relations transfrontalières entre deux
villes jumelles du fleuve Sénégal : Matam Réo et Matam
Sénégal »
et l'intégrité de la Mauritanie ne sont pas
négociables''39. Une période d'instabilité
généralisée gagne la frontière avec des accrochages
militaires périodiques entre les armées et les civils des deux
pays. Ces Etats rompirent leurs relations diplomatiques d'Août 1989
jusqu'en Avril 1992 à la suite d'une annonce de réconciliation.
Malgré le rétablissement en 1992 des relations diplomatiques
entre les deux pays, rompues trois ans auparavant les blessures
occasionnées par la crise prennent encore du temps pour se cicatriser.
Depuis lors, « l'épaississement de la frontière»
persiste et a radicalement changé le statut et le rôle du fleuve
aux yeux des milliers d'agriculteurs transfrontaliers vivant de part et d'autre
du fleuve. Les Sénégalais qui cultivaient en territoire
mauritanien se replient sur la rive gauche.
L'intégration entre les populations de Matam Réo
et de Matam Sénégal est limitée par un facteur naturel
constitué par le fleuve. En saison des pluies, le fleuve se remplit
d'eaux et son débit augmente. Cette situation restreint les
déplacements car la liaison entre les deux localités est
principalement assurée par des pirogues à pagaie. Pendant cette
période, les transporteurs éprouvent d'énormes
difficultés pour relier les deux rives
|