L'avocat et la protection des droits de l'homme au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Charles Marcel DONGMO GUIMFAK Université catholique d'Afrique Centrale/ institut catholique de Yaoundé - Master 2 en droit de l'homme et action humanitaire 2009 |
Section II : Les actions menées par le barreau du CamerounDans la dimension collective de la protection des droits de l'homme au Cameroun, des actions sont menées soit à l'initiative du Barreau (paragraphe 1), ou alors en partenariat avec les autres associations ou organismes soucieux de la promotion et la protection des droits de l'homme (paragraphe 2). Paragraphe I : Les actions menées à l'initiative du BarreauPour mieux rendre compte de ces actions, il convient tout d'abord d'analyser quelques cas historiques ayant suscité l'action du Barreau (A), de l'action à travers les centres de secours judiciaires (B), et de la commission des droits de l'homme du Barreau (C). A - L'action du Barreau dans quelques cas historiquesDe façon chronologique et sans être exhaustif, il s'agira d'une part de l'affaire Yondo (1), de l'état d'urgence de 1992 (2), de l'affaire Nekuie (3) et des évènements de février 2008 (4). 1 - L'affaire Yondo de 1990 En début 1990 La crise économique suscitait le mécontentement de tout le pays. Avec le vent démocratique, d'éminents camerounais dont Anicet Ekané, Henriette Ekwe et Yondo Mandengue Black ont pensé qu'il est temps pour le pays de s'ouvrir au multipartisme. Ils ont, à cet effet, tenu des réunions à Douala. C'était là un affront au pouvoir en place dont la réaction ne s'était pas faite attendre. Aussi, accusés de complot contre la sûreté de l'Etat, Anicet Ekané, Henriette Ekwe, Yondo Mandengue et bien d'autres personnes ont été arrêtés le 19 février 1990,117(*) et traduits devant le tribunal militaire de Yaoundé. Ce qui a donné lieu à ce qu'on a alors appelé l'affaire Yondo, ce dernier étant past Bâtonnier de l'Ordre des avocats au Barreau du Cameroun. En réaction à ces arrestations le Barreau tient une assemblée générale à Douala au cours de laquelle Bernard Muna annonce la création du SDF dont le dossier de légalisation a été déposé au MINAT. Le Barreau organise également une marche de protestation le 28 mars 1990.118(*) A l'occasion de ce procès, plus de 200 avocats119(*), soit pratiquement tout le Barreau se mobilisent et assistent en tenue au procès120(*). A la suite des plaidoiries des 10 avocats choisis pour intervenir sept des dix accusés sont acquittés. Les autres sont condamnés à des peines d'emprisonnement, soit de 2 ans à Yondo Mandengue (pour subversion), 3 ans à Anicet Ekané (pour subversion et outrage au Président de la République), et 5 ans à Jean Michel Tekam condamné par contumace. Ce verdict mobilise des journalistes, des étudiants et des avocats contre le régime. Les dénonciations du Barreau ont été reprises par les radios internationales qui se sont saisies de l'affaire Yondo, et des Barreaux amis ont même délégué des représentants pour défendre les accusés. Le Gouvernement a ainsi été ébranlé par la contestation d'avocats qui dénoncent la répression prévalant dans les prisons121(*). Le 18 août 1990 le Président Paul Biya a décidé de faire libérer les condamnés de l'affaire Yondo. La forte mobilisation des avocats à l'occasion de l'affaire Yondo a donné du courage à beaucoup de camerounais qui ont compris que plus rien ne sera comme avant. Cette mobilisation fait penser à celles similaires devenues récurrentes au Pakistan où depuis 2007, l'on observe souvent « des centaines de manifestants, en robe noire », parcourir « les principales villes du pays à l'appel de l'association du Barreau de la Cour suprême ».122(*) Ainsi, de même que les avocats pakistanais ont, en 2007 soutenu le juge Chaudry et dénoncé les violations des droits de l'homme par une grève générale de plusieurs jours123(*), de la même manière les avocats camerounais ont soutenu Maître Yondo en 1990. Ici, les avocats avaient agi non pas pour défendre les intérêts de leur corporation, mais pour prendre position pour les accusés et rappeler que la création d'un parti politique n'est pas interdite par la constitution. Ils défendaient alors les libertés politiques de tous les camerounais. La mobilisation des avocats en 1990 a contribué au cours de cette année, à la suppression de l'ordonnance de 1962 portant répression de la subversion, et à l'adoption par l'Assemblée Nationale de plusieurs lois protectrices des droits de l'homme, ainsi qu'à la création du Comité des droits de l'homme124(*). 2 - L'état d'urgence de 1992 La première élection présidentielle pluraliste a été organisée le 11 Octobre 1992 et aboutit à la réélection, de Paul Biya à la présidence du pays. La validité de cette élection a été contestée et des émeutes ont éclaté dans le Nord-Ouest où l'état d'urgence a été proclamé et des leaders de l'opposition radicale ont arrêtés ou mis en résidence surveillée. Tel fut par exemple le cas de John Fru Ndi du SDF. Le Barreau a vivement dénoncé cette situation, entendant ne fois de plus faire respecter les libertés politiques, notamment le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis, le droit de voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret assurant l'expression libre de la volonté des électeurs. Ces libertés politiques sont consacrées par le PIDC. Le Barreau entendait aussi défendre les libertés relationnelles. Cet état d'urgence a duré d'octobre à décembre 1992125(*). 3 - Les affaires Nekuie et Bout Bikoko de 2004 En date du 30 novembre 2004, Maître Nekuie Barnabé, avocat exerçant à Douala, alors qu'il s'était rendu dans les locaux de la police judiciaire du Littoral à l'occasion de ses activités professionnelles, a été victime de violences physiques de la part du commissaire divisionnaire Assogo François. Face à ces faits d'une exceptionnelle gravité, les avocats du Barreau du Cameroun ont exprimé leur indignation et leur courroux par un mémorandum adopté le 02 décembre 2004, et adressé au Chef de l'Etat par l'intermédiaire de Monsieur le Gouverneur du Littoral et au Garde des sceaux par l'intermédiaire du président de la Cour d'Appel du Littoral. Différents mouvements de protestation ont été initiés par les avocats, notamment la marche en tenue de la Cour d'Appel aux services du Gouverneur du Littoral et celle du palais de justice du centre administratif de Yaoundé aux services du Premier Ministre. Alors que l'affaire Nekuie n'était pas encore achevée, une information judiciaire ayant été ouverte à l'encontre du commissaire divisionnaire Assogo sur prescription du Garde des sceaux, l'adjoint au commandant de compagnie de gendarmerie de Kumba a procédé, avec violences, à l'arrestation de Maître Bout Bikoko Oscar, avocat exerçant à Muntenguene, ainsi qu'à celle de l'huissier de justice par lui requis, puis les a placés en garde à vue. A la suite de ces deux cas, les avocats ont décidé de la suspension du port de la robe sur l'ensemble du territoire national les jeudi 30 et vendredi 31 décembre 2004. Le Barreau a dénoncé et condamné sans réserve « l'ensemble des violences, brutalités, agressions, voies de fait et autres traitements humiliants et dégradants perpétrés à l'encontre des citoyens en général et des avocats en particulier. »126(*) Ces deux affaires ont servi de levier à la revendication par le Barreau, du respect des principes protecteurs de l'intégrité physique du citoyen d'une part et du libre exercice professionnel d'autre part. L'ensemble des démarches entreprises par le Bâtonnier de l'Ordre et es collaborateurs auprès des pouvoirs publics a surtout permis la sortie de l'avant projet du code de procédure pénale qui était gardé dans les tiroirs depuis des lustres, puis à l'adoption du code de procédure pénale. L'adoption de ce code qui est une avancée significative dans la protection des droits de l'homme au Cameroun, a encore vu la contribution du Barreau à travers les propositions de modification de certains articles du projet. Les pouvoirs publics ont d'ailleurs félicité le Barreau pour sa contribution à l'adoption du CPP.127(*) 4 - Les évènements de février 2008 A la suite des évènements de février 2008, de nombreux prévenus ont été jugés dans l'urgence, sans la présence d'avocats pour assurer leur défense. Le Barreau a alors dénoncé « une justice expéditive »,128(*) les violations de plusieurs dispositions pertinentes du code de procédure pénale camerounais, ainsi que celles des conventions régionales et internationales, qui garantissent les droits de la défense, les principes du débat contradictoire et la présomption d'innocence. Il s'agissait notamment, de l'absence d'informations données aux prévenus sur leurs droits de se faire assister par un avocat ou de garder silence lors des auditions, ce qui va à l'encontre des dispositions de l'article 116 alinéa 3 du CPP129(*) ; du non-respect du droit des prévenus de préparer leur dossier judiciaire. En effet, les prévenus n'ont pas eu le temps de préparer leur défense comme le prévoit l'article 300 du code de procédure pénale.130(*) Les juges n'ont pas tenu compte de cette disposition de la loi. Car, presque tous les prévenus ont été jugés à la première audience et ont vu leurs affaires mises en délibéré. Le Barreau, craignant que « les tribunaux de droit commun ne soient transformées en tribunaux d'exception »131(*), s'est mobilisé et a constitué à Douala et Yaoundé, « des pools de défense » pour assister gratuitement les prévenus, afin de faire prévaloir le bon droit et la justice, malgré des pressions externes. En effet le représentant du Bâtonnier pour le Centre, l'Est et le Sud a affirmé au cours de l'entretien en vue de la présente étude, avoir été interpellé par le Garde des sceaux sur cette action du Barreau. Il dit avoir répondu au Ministre de la Justice « que la justice pénale c'est la poursuite, le juge et la défense » et que « si la justice était amputée de la défense, il n'y avait pas de justice ». Le Barreau a donc à travers ces dénonciations et défenses gratuites, fait respecter les droits de la défense. * 117 http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1542 (consulté le 18 juin 2009). * 118 Idem. * 119 Ibid. * 120 Il faut noter que le Barreau du Cameroun alors ne compte pas plus de 250 avocats inscrits. Cf Tableau de l'Ordre de 1996. * 121 http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1542 (consulté le 03/01/2010). * 122 http://www.rfi.fr/contenu/2010025-avocat-pakistanais-sont-greve (consulté le 05 mai 2010). * 123 http://www.europe-solidaire.org/spip/php?article6317, (consulté le 05 mai 2010). * 124 Créé par décret du 08 Novembre 1990, il est devenu la Commission Nationale des Droits de l'Homme et des Libertés la loi N° 2004/016 du 22 juillet 2004. * 125 http://www.bbc.co.uk/french/specials/1137_cameroonfmday/index.shtml (consulté le 03 janvier 2010) * 126 Résolution n°1 relative aux violences faites aux avocats dans l'exercice professionnel, prise par le Conseil de l'Ordre des avocats en sa session extraordinaire du 28 décembre 2004, bulletin du Bâtonnier, septembre 2004 - mai 2005, pp 38 et 39 * 127 Note de lecture du Barreau avec ses propositions à l'attention des Honorables membres de l'Assemblée Nationale, in bulletin du Bâtonnier, juin - décembre 2005, pp 11 à 14. * 128 http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:_Z_b6qzJFFUJ:berthoalain.zordpress.com/2008/04/05/cameroun-fevrier2008/+les+avocats+camerounais+et+les+%C3%A9meutes+f%A9vrier+2008&cd=6&hl=fr&ct=clnk&gl=fr (consulté le 10 avril 2010). * 129 Art.116 du CPP. * 130 Art. 300 al. 1 du CPP : « Lorsqu'il comparait à la première audience des flagrants délits, le prévenu est informé par le président qu'il a le droit de demander un délai de trois (3) jours pour préparer sa défense ». * 131 http://webcache.googleusercontent.com/searche?q=cache:M2_NzOAVQJsJ:www.ambafrance-cm.org/france_cameroun/spip.php%3Farticle844+le+barreau+du+Cameroun+et+la+d%C3%A9fense+des+%C3%A9meutiers+de+f%C3%A9vrier+2008&cd=2&hl=fr&ct=clnk&gl=cm (consulté le 10 avril 2010). |
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