Etude comparative sur les pratiques de coopération décentralisée de la ville de Porto- Novo( Télécharger le fichier original )par Sebastian Peà±a Marin Université de Poitiers - Master II migrations internationales: conception de projets en coopération pour le développement 2011 |
2.4. Les rapports d'évaluation : un reflet de l'ethnocentrisme françaisDes trois partenariats qu'entretient la ville de Porto-Novo, deux, celui de la Communauté d'Agglomération de Cergy-Pontoise et celui du Grand Lyon ont déjà fait l'objet de rapports d'évaluation. L'accord signé entre Porto-Novo et la ville de Buchelay est trop récent pour justifier un rapport. 20 Fweley Diangitukwa « Migration internationales, codéveloppement et coopération décentralisée », Ed L'Harmattan, 2008, pag. 105-106 Etude comparative sur les pratiques de coopération
décentralisée de la ville de Porto-Novo Sur les deux rapports d'évaluation qui font l'objet de notre examen, le premier a été réalisé par le CIEDEL de Lyon (Centre international d'étude pour le développement local), il s'agit d'une évaluation provisoire sur la dynamique de la coopération décentralisée entre Porto-Novo et la Communauté d'Agglomération de Cergy-Pontoise. Le deuxième rapport concerne la coopération entre Porto-Novo et le Grand Lyon et a été fait par l'ONG consultant en développement F3E (Fonds pour la promotion des Etudes préalables, des Etudes transversales et des Evaluations) basé à Paris. Tout d'abord, ces deux rapports sont très complets au niveau de la qualité et de la quantité d'information collectée. En effet, ils représentent une source d'information très riche et dressent un portrait général de la coopération en abordant son contexte historique et institutionnel, ses orientations, ses facteurs explicatifs, ses acteurs, etc. En revanche, nous avons pu constater des erreurs épistémologiques graves avec une démarche ethnocentrique omniprésente. En effet, des formulations figurant dans ce rapport se veulent factuelles avec un ton politiquement correct qui n'arrive pas à cacher son contenu eurocentré voire méprisant à l'égard de la réalité béninoise. C'est d'autant plus étonnant sachant qu'il s'agit de deux rapports d'évaluation produits par des organismes qui oeuvrent dans le secteur du développement, et qui sont censés maîtriser les principes de base de l'approche interculturelle, mais apparemment ils n'ont pas su faire preuve d'altérité. Or, selon Gervais, l'ethnocentrisme est « la tendance à juger les autre en fonction de [sa culture] érigée en modèle de référence 21». Ces rapports sont un véritable défilé de propos ethnocentriques et qui finissent par démontrer à quel point les autorités et les cadres de la Mairie de Porto-Novo ne savent pas faire les choses aussi bien que leurs chers homologues français. 21 Gervais dans Auraux 1990, citation extraite de : Françoise Dufour, "Des rhétoriques coloniales à celles du développement : archéologie discursive d'une dominance", Recueil Alexandries, Collections Etudes, avril 2007, Thèse de Doctorat, Université Paul Valéry - Montpellier III, Paul Siblot (Dir.) url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article728.html. Etude comparative sur les pratiques de coopération
décentralisée de la ville de Porto-Novo Au niveau des facteurs explicatifs et des raisons des dysfonctionnements des dispositifs de gestion des projets, sur les deux rapports qui font en tout plus de cent pages, toutes les raisons de ces dysfonctionnements sont imputés systématiquement à la gestion béninoise : il n'y a absolument aucun facteur explicatif qui relève de la responsabilité des partenaires du Nord. En effet, nous avons pu recenser dix huit facteurs explicatifs des dysfonctionnements figurant dans le rapport dont dix huit sont imputés à la gestion de la Mairie de Porto-Novo, c'est-à-dire la totalité. Les rapports d'évaluation sur la gestion de projets de coopération décentralisée soulèvent des problèmes de gestion, de qualification du personnel, de réponse aux engagements financiers, de délais excessifs dans la mise en place des activités, etc... ces rapports parlent de « maux », de « problèmes », d'« anomalies » liés au fait qu'« il n'y a pas assez de réunions organisées », « absence de mobilisation et suivi des processus », « information sur les projets non diffusée », « lenteur dans le traitement de dossier », « faible appropriation des acteurs », « excès de centralisation dans la prise de décision », « léthargie dans l'exécution du programme », « position hégémonique de la Direction de coopération signifie un frein à la coopération », « mauvaise circulation de l'information », « mauvais fonctionnement de l'intercommunalité », « blocages politiques », « faiblesse de moyens d'intervention », « faiblesse de moyens humains, techniques et financiers », « dimension opérationnelle chaotique », « circuits financiers confus », « peu d'instance de concertation entre les deux partenaire », etc. Nous avons choisi un extrait assez représentatif afin de mieux illustrer nos propos et appuyer notre réflexion. « La coopération décentralisée a souffert au Bénin de plusieurs maux qui ont empêché son épanouissement. L'absence d'un cadre institutionnel qui fédère les acteurs de la coopération décentralisée autour d'une politique nationale en la matière, le manque de personnel qualifié pour gérer le partenariat au niveau des circonscriptions administratives et surtout la très forte mobilité des acteurs ont longtemps constitué un frein à ce type de partenariat 22». 22 « Etude d'évaluation portant sur le partenariat de coopération Porto-Novo/Grand Lyon ». Rapport général du f3e. Novembre 2009. Pag. N° 8. Etude comparative sur les pratiques de coopération
décentralisée de la ville de Porto-Novo Il est flagrant de constater que dans ces rapports il y a une absence totale d'autocritique ou de clarté d'esprit pour établir une approche critique sur les facteurs qui affectent le bon déroulement de la gestion de projets et qui sont liés aux méthodologies de travail du Nord. Cette situation frôle véritablement la dérision quand il s'agit de citer les dysfonctionnements susceptibles d'être imputés à la gestion du Nord, systématiquement les erreurs commises au Nord sont nécessairement forcées ou induites par une action du Sud. Voici un extrait qui illustre bien ce cheminement dialectique : « Au Nord, si les acteurs mobilisés sont globalement au courant de la dynamique de coopération (information par la DRI), ils sont très souvent handicapés par l'absence de feed-back sur ce qui se passe sur le terrain et ont donc parfois du mal à suivre l'évolution des actions engagées ». Nous avons trouvé quatre argumentations de ce type et avec la même logique. En dehors de ces deux rapports, nous avons pu constater que cette démarche n'est pas une exclusivité de ces deux évaluations. Nous avons trouvé la même rhétorique ethnocentrique dans d'autres documents relatifs à l'aide au développement, des documents destinés à servir d'appui pour contribuer à la réflexion sur l'aide au développement dans les zones rurales en Afrique notamment. L'extrait suivant est assez édifiant et reflète bien cette problématique « Les villes africaines ont des capacités réduites pour assurer les nouvelles compétences liées à la décentralisation. Elles manquent de moyens humains (personnel compétent), matériels et financiers (capacité d'investissement et de fonctionnement). Les structures municipales manquent de personnel (cadre technique) et d'élus suffisamment formés et expérimentés pour mettre en oeuvre de véritables politiques de la ville » 23 Ce texte aurait pu être écrit au milieu du XIX siècle, il est imprégné d'une prétention de vérité sur le développement et se place dans la déplaisante position de « donneur de leçons ». Ce discours méprisant dont les auteurs ne sauraient peut-être même pas dire en quoi il est méprisant, alors qu'il s'agit des acteurs de la coopération pour le développement, a été extrait d'une publication dont le coordinateur d'ouvrage est chef du Service de la coopération décentralisée du Grand Lyon, partenaire privilégié de Porto-Novo. 23 Serge Allou, Philipe Di Loreto (coordinateurs) « Coopération décentralisée au développement local urbain en Afrique. Pratique en débat », Volume 1. Ed Gret Etude comparative sur les pratiques de coopération
décentralisée de la ville de Porto-Novo En marge de toutes ces affirmations débordantes de complexe ethnocentrique, nous voudrions soulever une autre incohérence. Les conclusions des évaluations sur les causes des dysfonctionnements et des problèmes que rencontre la coopération décentralisée à Porto-Novo reflètent le paradigme peut-être le plus extraordinaire de la coopération francobéninoise. Car si la ville de Porto-Novo disposait des dispositifs opérationnels à la hauteur des besoins, de personnel qualifié, d'un équipe municipale suffisamment nombreuse, d'un respect infaillible des délais, des moyens économiques, techniques et logistiques conséquents, alors Porto-Novo n'aurait pas besoin d'aide au développement, ni d'appui institutionnel et nous ne serions pas en train de parler de formation pour les élus ni d'assainissement d'eau, nous serions probablement en train de parler de coopération dans le domaine du nucléaire, et en ce cas, le partenaire ne serait pas l'AFD mais AREVA. A titre d'analogie, les conclusions de ces rapports équivalent à dire que le problème de l'aide au développement c'est que les pays ne sont pas développés, ou que le problème de la lutte contre la pauvreté c'est que le gens pauvres n'ont pas d'argent. Par ailleurs, le rapport d'évaluation de la coopération entre Cergy-Pontoise et Porto-Novo a été réalisé de la façon suivante : une première phase de cadrage en Octobre, une phase d'entretiens en France du 8 au 24 novembre (soit 16 jours) et une phase d'entretiens au Bénin du 29 au 11 décembre (soit 11jours). Autrement-dit, les évaluateurs en 11 jours ont réussi à appréhender suffisamment bien tous les enjeux et la réalité du terrain pour parler avec autant de certitude sur « ce qui ne va pas à Porto-Novo ». Nous avons pu soulever un autre élément qui jette un voile de soupçons sur l'honnêteté intellectuelle des ces rapport. Ils entretiennent une relation bilatérale avec ses commanditaires : les collectivités françaises. En effet, le choix de ces deux évaluateurs a été fait au Nord, par le Nord et apparemment pour le Nord aussi. L'un des objectifs ultime de tout rapport d'évaluation est d'éclaircir les sources et les raisons des problèmes au niveau systémique, mais si un rapport travestit l'origine d'un problème alors le rapport en question ne devient pas uniquement stérile mais en plus contreproductif. Le discours contenu dans les rapports d'évaluation et que nous avons dégagé ne fait que contribuer à la persistance de stéréotypes sur le peuple africain et à l'idée que le Nord est Etude comparative sur les pratiques de coopération
décentralisée de la ville de Porto-Novo bienveillant et sans faille, que les sommes allouées sont bien investies et que s'il y a des problèmes c'est à cause des béninois. Ils s'inscrivent dans un discours dépassé, odieux et même dangereux, ils pérennisent l'idée d'une sorte d'inefficacité inhérente aux africains. De plus, cela participe, entre autre, à renforcer le sentiment chez les africains qu'« ils ne savent pas faire bien les choses ». Nous sommes conscients que les rédacteurs de ces rapports n'ont eu nullement l'intention d'afficher une démarche ethnocentrique, ni de s'inscrire dans un discours dégradant, cependant, venant de la part de professionnels du développement cela paraît, pour le moins, inadmissible. |
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