2.3. Des méthodologies de travail divergentes
La rencontre de deux territoires dans le cadre d'une
coopération décentralisée Nord-Sud implique une
confrontation entre deux systèmes de pensée et en
conséquence de deux façons différentes de concevoir
l'exercice de la gestion. Chaque territoire a développé des
pratiques gestionnaires propres aux exigences et aux particularités de
chaque réalité locale avec plus au moins d'efficacité.
Le cas de Porto-Novo avec les collectivités de
Cergy-Pontoise, du Grand Lyon et de Buchelay ne fait pas exception. En effet,
les nombreuses différences dans la gestion de projets communs ne se
résument pas aux clivages économiques ou institutionnels. Les
équipes municipales des collectivités françaises ont des
dispositifs de gestion plus techniques que leurs homologues béninois
mais également plus rigides et plus procéduriers. Cela
entraîne des dysfonctionnements dans la gestion de projets ainsi qu'au
niveau de l'harmonisation des façons de travailler.
L'omniprésence de l'approche technocratique et
rationnalisante, centrée sur la planification par objectifs et par
résultats, qui s'opère à travers les outils de gestion de
cycle de projet est une logique empruntée au monde des entreprises et
des investissements, reconvertie depuis les années 1970 en outil de
gestion publique pour le développement. De Sardan remarque que
« tout instrument d'action publique est porteur de significations plus
au moins explicites ou latentes, en termes de vision politique, d'une part, et
de modèles cognitifs, d'autre part. Autrement dit, il incorpore,
au-delà de sa structure technique, une certaine configuration
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idéologique et une certaine configuration
épistémologique ». Et il continue, « c'est une
technique de rationalisation [...] Elle privilégie une perspective
purement gestionnaire centrée sur les facteurs quantifiables, la
légitimation de l'intervention et une vision linéaire et
mécanique de la causalité...19 »
Cette sorte de fondamentalisme de la vision technocratique
envahit toutes les instances et les dispositifs de la coopération et
s'avère relativement inadaptée à être
intégrée par les homologues béninois car les
méthodologies de gestion sont un reflet d'un système de
pensée. En effet, les facteurs humains par exemple sont largement
ignorés dans cette méthodologie de travail alors que la culture
béninoise laisse une place beaucoup plus importante à la
qualité des rapports sociaux. Pour les béninois, les rapports et
le contact humain sont aussi importants que les compétences techniques
en elles-mêmes. L'extrême sociabilité du caractère
béninois doit trouver sa place dans les logiques de pilotage. De
même pour la notion de long ou de court terme : ces notions ne sont pas
figées, elles varient et sont conditionnées par l'environnement
social ainsi que par les mécanismes et les logiques internes d'une
société. La pertinence d'une démarche à long ou
court terme doit être examinée en accord avec le contexte
culturel.
Toutefois, les facteurs explicatifs des dysfonctionnements que
connaît la gestion de projets entre Porto-Novo et ses partenaires
français sont autant liés aux méthodologies de travail
divergentes qu'à la prétention de croire, de la part du Nord, que
ces méthodes ont une validité universelle et que la technique est
capable de dépasser les clivages culturels.
Nous avons pu constater que les délégations
françaises, au moment de se rendre à Porto-Novo amènent
avec elles une idée déjà fixe de « ce qu'il faut
faire et comment il faut le faire » car elles ont la conviction qu'elles
savent le faire mieux que le béninois. Cette attitude n'est pas
uniquement fâcheuse mais en plus fausse, ou en tous les cas relative.
Fweley Diangitukwa remarque dans son ouvrage que pour que les actions de la
coopération décentralisée aboutissent sans trop de
difficultés « les collectivité territoriales du Nord
ne
19 Giovalucchi Français et Olivier de Sardan
Jean-Pierre, « Planification, gestion et politique dans l'aide au
développement : Le cadre logique, outil et miroir des
développeurs », Revue Tiers Monde, 2009/2 n°198, p.383-406.DOI
: 10.3917/rtm.198.0383
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doivent pas imposer leur méthodes de travail en
prétextant qu'elles ont une longue expérience en matière
de coopération décentralisée20 »
Ensuite, un autre clivage mérite d'être
soulevé concernant les expertises. En effet, du côté
béninois, les acteurs du développement ont le sentiment que les
partenaires français « aiment bien » cumuler les
études retardant le passage à l'exécution des actions.
Egalement, il y a le sentiment que les moyens destinés à ces
expertises, qui ne sont pas négligeables, pourraient être
destinés à des besoins plus urgents.
Pendant la réalisation de ce travail au Bénin,
nous avons eu non seulement la chance mais aussi le plaisir d'accompagner
l'arrivée d'une délégation brésilienne dans le but
de concrétiser un projet dans le secteur du patrimoine en partenariat
avec le Grand Lyon. Les différents cadres administratifs de Porto-Novo
ainsi que d'autres acteurs du développement local ont exprimé
leur quasi-fascination pour la méthodologie de travail
brésilienne jugée peu bureaucratique et plus dynamique, avec une
notion plus pratique que technique de la gestion ainsi que plus ouverte et
disposée à intégrer au projet la vision
béninoise.
Nous venons donc d'aborder quelques éléments qui
interagissent dans l'exercice de la gestion de projet entre les deux
territoires. L'extrême rationalisation des procédés et
l'approche technocratique ainsi que la transposition de modèles
préfabriqués d'organisation et de gestion est à prendre
avec précaution.
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