C. L'Etat et l'université
Après l'indépendance, le nouveau gouvernement
congolais portait un grand intérêt à ces institutions
universitaires dont proviendraient les cadres qui aideraient à
construire et à créer le Congo nouveau. Nombre d'entre les
dirigeants pensaient que le développement de l'éducation serait
la clé du développement68. Le nouvel Etat n'avait
cependant pas les moyens de s'occuper pleinement de ce secteur qui était
en pleine expansion69. Certes, elle honorait ses engagements, mais
l'Etat au prise avec de nombreuses difficultés, n'avait pas les moyens
de soutenir les universités dans la même mesure où la
métropole belge le faisait. Dès le début juillet 1960,
soit un mois après l'indépendance, la machine administrative et
financière congolaise connaissait
65 CURTIN, P.D., « Tendances récentes des recherches
historiques africaines et contribution à l'histoire en
générale » dans Histoire générale de
l'Afrique I dirigé par Joseph Ki-Zerbo, Paris, UNESCO, 1980, p.
88
66 VERHAEGEN, B., Op. Cit., p. 28
67 GILLON, L. (Mgr), Op. Cit., p. 178:
Parfois des esprits qui se disaient éclairés reprochaient
à Lovanium de ne pas tenir compte du fait même de
l'indépendance du pays et de rester la copie conforme d'une
université européenne... Mais en réalité, ces bons
esprits confondaient deux choses : le maintient d'un niveau universitaire
international, que j'entendais fermement protéger, et la propension
à « copier » les universités européennes, que je
ne pouvais approuver. Il fallait africaniser toujours davantage Lovanium, j'en
étais convaincu, mais pas au prix d'une baisse de niveau.
68 BONGELI, E., Op. Cit., p. 94
69 GILLON, L. (Mgr), Op. Cit., p. 183 : En
effet le nombre de ceux qui voulaient s'inscrire, étaient de plus en
plus élevé
quelques déboires dus à une mauvaise gestion
politique du dossier politico-financier lors de la table ronde
économique, qui eut lieu en Belgique du 26 avril au 26 mai 1960. Le
nouvel Etat avait été spolié de certains de ses
avoirs70. Par ailleurs, le gouvernement de la République du
Congo se trouva au prise avec de nombreux problèmes politiques: la
mutinerie de la Force publique le 5 juillet 1960, la sécession
katangaise qui fut proclamée le 11 juillet 1960, celle du sud Kasaï
qui fut proclamée le 8 août de la même année ; les
problèmes de leadership entre le président Joseph KasaVubu et le
premier ministre Patrice Emery Lumumba.
A ce niveau même si le gouvernement congolais
s'intéresse beaucoup aux universités elle préférait
laisser une certaine liberté à ces
établissements71.
Pour garder une qualité de fonctionnement acceptable, les
différentes universités en
présence, surtout celle non publiques72,
devaient trouver de nouveaux moyens de
subsistance pour ne pas avoir à compter uniquement sur
l'aide gouvernementale.
- Pour Lovanium, cela ne se fit pas sans difficultés.
Pour arriver à assurer le commencement de l'année
académique 1960-1961, Monseigneur Luc Gillon alla aux Etats-Unis pour
solliciter l'aide de la Rockefeller Foundation et de la Ford Foundation qui lui
octroyèrent 250 mille dollars américains chacun. Grâce
à cette subvention, Lovanium put assurer la reprise des cours le 25
octobre de l'année 1960 et la survie de l'université pendant 6
mois73. Cela n'était qu'une solution intermédiaire. Le
recteur tenta aussi de négocier avec les gouvernements congolais et
belge pour obtenir une aide plus substantielle et plus permanente. Suite
à ces tractations, en avril 1962, la « Fondation Université
Lovanium » fut créée. Elle avait le statut d'institution de
droit belge et était situé à Louvain. Elle procurait au
personnel étranger, en plus du salaire qu'il recevait de l'Etat
congolais, une prime d'assistance technique et l'ouverture d'un fond de pension
en Belgique74.
70NDAYWELL, I., Histoire du Congo. Des origines
à nos jours, Bruxelles-Kinshasa, Le Cri édition-Afrique
Editions, 2010, p.178 : durant la conférence belgo congolaise,
économique, financière et sociale, qui eu lieu en Belgique
après la table ronde politique, les responsables congolais
étaient absent, parce que occupée à préparés
leurs campagnes électorales. La métropole s'était donc
trouvé à la fois juge et partie dans la répartition des
biens entre le Congo et la Belgique. Et en profita pour dépouiller le
plus possible le Congo des avantages qui lui revenaient.
71 BONGELI, E., Op. Cit., p.95 : Le
gouvernement ne s'opposa pas à la création de cette
université mais il ne s'engagea pas (...) à y intervenir (...)
sous forme de contrôle.
72 Pour l'UOC la situation était
différente, d'abord sous la session katangaise et ensuite dans la
République du Congo elle reçu les subsides de l'Etat qui la
mettait dans de bonnes conditions. Dibwe & Ngandu pp. 148-149
73 GILLON, L. (Mgr), Op. Cit., p.165
74 Idem, p180
- La nouvelle université de Kisangani, quant à
elle, reçut de l'Etat au moment de sa création, des dons en
nature, immeubles et bâtiment. Les frais qui servirent à sa
fondation et à la rémunération du personnel enseignant
provenaient, pour l'essentiel, de l'étranger75, même si
au fil des ans l'Etat continua à participer financièrement et de
façon de plus en plus élevée à son budget de
fonctionnement.
Les universités ne dépendaient donc pas en
majorité de l'Etat pour assurer leur survie. Elles pouvaient, de par ce
fait, avoir une plus grande liberté de manoeuvre dans leur
fonctionnement. Mais même quand c'était le cas, l'Etat congolais
préférait laisser les pleins pouvoirs aux autorités
académiques. Il y avait toujours des représentants du
gouvernement dans les différents conseils d'administration, mais la
situation était assez ambigüe, la majorité du corps
enseignant venant de l'extérieur, l'université était
gérée par eux.
Bernadette Lacroix rapporte le cas de l'U.L. Elle nous donne un
aperçu de sa gestion après l'indépendance.
Le 10 juin 1960, le siège du conseil d'administration
de l'Université Lovanium est transféré à
Léopoldville au Congo et le 25 juin les nouveaux statuts de
l'Université sont publiés. L'article 4 de ces statuts stipule que
l'Université Lovanium serait administrée par un conseil
d'administration et que désormais cet organe serait assisté par
un conseil académique supérieur. Les pouvoirs de ce conseil
étaient extrêmement étendus. Le conseil d'administration
devait obligatoirement consulter le conseil académique supérieur
pour toutes les questions qui touchaient à l'enseignement et la
recherche à l'université. C'est lui qui proposait au conseil
d'administration la nomination du recteur, du vice recteur, du personnel
enseignant et scientifique. On avait besoin de son accord pour établir
le règlement général de l'Université. Selon
l'article 6 « tout amendement au statut devait recevoir l'approbation
du conseil académique supérieur » 76.
Ce Conseil Académique Supérieur (C.A.S.)
était composé du recteur de Lovanium, Mgr Gillon, du recteur de
Louvain Mgr Waeyenbergh et d'au moins un représentant de chacune des
facultés de Louvain qui correspondait aux facultés se trouvant
à Lovanium.
En outre, le conseil d'administration était
composé en plus de six évêques du Congo, du
président du Sénat Joseph Iléo et de monsieur Albert
Ndele, gouverneur de la banque nationale. Il était composé aussi
du recteur de Lovanium ainsi que de celui de Louvain qui faisaient aussi parti
du C.A.S. et qui pouvaient donc proposer des textes et
75 HULL, G., Université et Etat : l'UNAZA-
Kisangani, Bruxelles, Cahiers du CEDAF, n°1-2, 1976, p. 9
76 LACROIX, B., Op. Cit., p. 48
les voter. Comme on peut le voir, le pouvoir des
représentants de l'Etat est quasi inexistant, ce sont les
décideurs de Louvain qui gèrent Lovanium.
L'ordonnance loi n ° 277 du 27 novembre 1963, donne plus
de pouvoir au conseil d'administration et réduit par la même
occasion les prérogatives du C.A.S77. Malgré cela, la
même loi prévoit que le conseil d'administration de Lovanium soit
tenu de faire tous les ans un rapport de ses activités au conseil
d'administration de Louvain.
L'université Libre du Congo, nouvellement
créée, se retrouve presque dans la même situation. Elle
s'engageait à servir loyalement le gouvernement établi autant que
ce dernier lui accordait une pleine liberté de foi, de pensée et
d'expression, elle voulait bien accepter l'aide que l'Etat pourrait lui
fournir, mais elle assurait qu'elle n'accepterait pas pour autant son
ingérence dans ses affaires internes78.
Cette autonomie était vraie même pour
l'université de Lubumbashi. En effet, sous la sécession
katangaise, elle devint l'Université d'Etat d'Elisabethville. Comme
l'Etat katangais tenait à lui préserver une qualité
scientifique et pédagogique, il fallait non seulement lui donner les
moyens de poursuivre et d'intensifier ses activités scientifiques, mais
aussi de la faire connaître dans le monde entier79. Pour cela,
elle a accepté de se faire parrainer par les Universités d'Etat
de Gand et de Liège. Le conseil supérieur de l'Université
du Katanga tel que désigné par le président Moïse
Tshombe était composé de douze membres, dix d'entre eux
étaient des Belges qui provenaient de ces deux universités et les
deux autres membres étaient le ministre katangais de l'éducation
nationale, Mathieu Kalenda, et le représentant du président du
Katanga, Jean Paulus. L'Université d'Etat, bien que subventionnée
par le gouvernement katangais, est laissée libre. Même si c'est
l'Etat qui nomme le personnel académique, scientifique et technique pour
s'assurer de leur loyauté.
Après la sécession katangaise lorsque
l'Université d'Etat d'Elisabethville est redevenue l'UOC., cette
liberté a été respectée. En 1968, la politique
scientifique de l'université était définie par un Conseil
Académique Supérieur, cet organe était
présidé par le recteur et était composé
essentiellement des professeurs, deux de chaque faculté.
77 Idem, p. 47 : Son accord n'était plus
exigé pour la modification des statuts. Le conseil d'administration,
après deux délibérations successives pouvait le faire ;
désormais c'était le conseil d'administration qui nommait les
membres du CAS exception faites des professeurs Waeyenbergh, Malengreau et
Schueren.
78 HULL, G., Op. Cit, p. 9
79 DIBWE, D. - NGANDU, M., « De
l'université officielle du Congo belge et du Ruanda-Urundi à
l'Université de Lubumbashi : la mémoire d'un peuple » dans
L'Université dans le devenir de l'Afrique. Un demi siècle de
présence au Congo-Zaïre, Bruxelles-Paris, CUD - L'Harmattan,
2007, p149
Le Conseil d'Administration, où se retrouvait les
représentants de l'Etat, s'occupait de définir la politique
générale de l'université, à savoir :
- Contrôler la gestion financière de
l'Université ;
- Arrêter le règlement organique ;
- Nommer le personnel scientifique et proposer les candidatures
du personnel enseignant auprès des différents
ministres80.
Durant la période qui va de 1960 à 1971, le
milieu universitaire fut un oasis scientifique totalement indépendant
d'une quelconque influence de l'Etat. Les universités
définissaient elles-mêmes leurs orientations scientifiques et
leurs programmes. C'est d'ailleurs cette autonomie et cette liberté qui
lui ont été reprochées par les étudiants dans la
suite.
A ce stade de l'évolution du climat du pays et des
universités, l'on pourrait se poser la question de savoir qu'en est-il
de la place donnée à l'africanisation par les dirigeants des
universités congolaises? A vrai dire, cette problématique
n'était plus vraiment d'actualité pour les trois
universités du Congo.
Nous avons déjà vu que le personnel
académique et scientifique, c'est- à- dire, les professeurs, les
assistants et les chargés de cours, étaient composés en
très grande majorité d'étrangers, européens et
belges surtout. Après l'indépendance de la colonie belge en juin
1960, nombre d'entre eux qui avaient peur pour leur avenir, ont
préféré retourner en Belgique.
A Lovanium, beaucoup de professeurs, pour pouvoir continuer
à assurer leurs cours, voulaient avoir la garantie que si au Congo
l'horizon s'assombrissait pour eux, ils pourraient avoir la possibilité
de retourner dans leur pays pour y travailler. Pour les garder à
Lovanium, le recteur Mgr Gillon avait négocié une entente avec
l'Université catholique de Louvain. Elle stipulait qu'un professeur
ordinaire qui aurait passées à Lovanium dix années
académiques ou qui seraient expulsés du Congo pour cas de force
majeure seraient repris à l'Université de
Louvain81.
On peut donc comprendre qu'à Lovanium durant cette
période où le recyclage pour la Belgique était une
finalité en soi pour les enseignants, la reforme de l'enseignement
universitaire au Congo pour africaniser les cours n'était plus
d'actualité. Plus que jamais, il fallait s'en tenir à l'exemple
de Louvain.
80 BILONDA, M., « L'université de
Lubumbashi : de 1956 à nos jours » dans L'Université
dans le devenir de l'Afrique. Un demi siècle de présence au
Congo-Zaïre, Bruxelles-Paris, CUD - L'Harmattan, 2007, p52 : On
retrouvait dans le conseil d'administration le ministre de l'enseignement
supérieur, celui de la jeunesse et des sports ainsi que le directeur de
l'enseignement supérieur au ministère de l'éducation
nationale
81 GILLON, L. (Mgr), Op. Cit., p. 176
Notons toutefois que l'africanisation des cadres se faisait
petit à petit. Dans la faculté de théologie plus
rapidement qu'ailleurs. Vers les années 1967, les premiers professeurs
formés à Lovanium revinrent de l'étranger où ils
étaient allés se spécialiser. Ils commencent à
s'insérer petit à petit dans le décor académique.
Même s'ils sont accueillis avec une certaine méfiance de la part
de leurs collègues européens82.
Les concepteurs de l'Université Libre du Congo,
pensaient pour leur part, que même si la façon d'enseigner et les
matières enseignées devaient tenir compte des milieux culturel,
économique, social et académique africains, le savoir, lui,
était universel. Il n'existait pas de méthode africaine, pour
enseigner les mathématiques ou les sciences83. A cause de
cela, même si on constate qu'il y a beaucoup plus d'Africains dans son
administration que dans les autres universités, les programmes sont
d'inspiration étrangère, américaine surtout car l'on
retrouve de nombreux professeurs américains. C'est cela qui fera dire au
recteur Mollet, ce qui suit : « Les universités congolaises ne
pourront réellement jouer (de) rôle essentiel que dans la mesure
où elles jouiront, dans le domaine intellectuel qui leur est propre,
d'une grande autonomie et de la possibilité d'adapter, de modifier, de
moderniser et d'africaniser des programmes qui pour la plupart, datent d'avant
l'indépendance. »84
Pour l'U.O.C, comme nous l'avons vu plus haut, l'orientation
de l'enseignement ne change pas. Pour ce qui est de l'africanisation des cadres
pourtant, elle se fait progressivement et le premier recteur congolais, le
professeur Ferdinand Ngoma, est nommé en 1970.
|