D. La rupture
Le 25 novembre 1965 eut lieu le coup d'Etat du
général Joseph Mobutu. Les débuts du nouveau régime
furent prometteurs. Le nouveau régime eut droit à
82 GAMBEMBO, D., « De Lovanium à
l'Université de Kinshasa » dans L'Université dans le
devenir de l'Afrique. Un demi siècle de présence au
Congo-Zaïre, Bruxelles-Paris, CUD - L'Harmattan, 2007, p. 68 : Au
delà du salaire qui n'était pas le même pour les
ressortissants congolais et ceux étrangers. Il parle d'une certaine
discrimination à son égard « Bien que je sois issu d'une
université catholique, celle de Fribourg en Suisse, il me fut
imposé un
stage de six mois à Louvain(...). Alors que nous
étions trois venus de l'Université de Fribourg, avec le
même titre de docteur, mes collègues furent nommés au grade
de Professeur associé et moi à celui d'assistant de
première classe ! (...) en outre , le doyen de la faculté
reçut la mission de faire un rapport semestriel sur ma moralité,
condition pour un engagement définitif. J'étais le seul à
être soumis à ce régime ! Je connus même
l'éloignement de la faculté pour un bureau dans un chantier
(l'actuel bâtiment de Droit, à l'époque en
construction) ».
83 HULL, G., Op. Cit., p.6
84 HULL, G., Op. Cit., p.58
l'adhésion populaire, ainsi qu'au soutien des
étudiants.85 La politique du nouveau gouvernement,
n'était au départ pas très différente de celle de
l'ancien dans le domaine scolaire. Et le leadership des anciens colonisateurs
dans les milieux universitaires, commençait à faire des
mécontents au sein de la population estudiantine, surtout à
Lovanium.
Les étudiants reprochaient à l'université
son caractère trop colonial. Ils lui reprochaient d'être un «
Etat dans un Etat, une survivance insupportable du colonialisme sous sa
forme la plus originale... » 86. Les étudiants de
Lovanium se plaignaient de l'esprit colonialiste qui inspirait toute la
politique de Lovanium et en faisait une université belge, un
dédoublement de Louvain totalement indépendant des
autorités congolaises87. Au-delà de leurs autres
revendications pour de meilleures conditions de travail et de vie, ils
voulaient une plus grande transparence dans la gestion de l'université
ainsi qu'une implication plus active des étudiants dans le gouvernement
de l'Université à travers la cogestion.
Pour faire entendre leurs voix, les étudiants qui
étaient réunis dans des groupements d'étudiants
organisèrent de nombreuses grèves. Les frictions entre les
étudiants d'une part et les autorités académiques
étaient de plus en plus, perceptibles. Pour tenter de trouver une
solution à cette crise, un « colloque national sur l'enseignement
» fut convoqué à Goma en février 1969. Il
réunissait tous les acteurs de l'enseignement
universitaire88.
Ce colloque tenta d'apaiser les étudiants en
adhérant à une partie de leurs revendications. La charte de Goma
propose aux étudiants, dans son premier article, la
coresponsabilité qu'elle définit comme le fait de participer
effectivement à la gestion et de participer avec voix
délibérative aux organes de décisions. Les
étudiants sont définis dans l'article III comme un groupe de
participation au même titre que les autorités académiques,
le personnel enseignant et scientifique national et étranger. Leurs
représentants élus peuvent participer aux conseils des
facultés ou des sections d'études, au conseil rectoral, au
conseil pédagogique, conseil de discipline, conseil de résidence,
et tous les conseils restreints. Ils ne sont exclus que du conseil
d'administration89.
85 BONGELI, E., Op. Cit., p.70 les
étudiants de l'AGEL surtout
86 Idem, p.62
87 Ibidem
88 Initié par le ministre Kithima
89 EKWA, M., « La coresponsabilité dans
l'enseignement supérieur. Le colloque de Goma (15-20 février
1969) » dans Congo-Afrique, p.174
Cette charte sera trouvée trop progressiste par les
autorités du pays qui la qualifieront d'inacceptable90et la
rejetteront. Ce refus de l'Etat de donner suite à leurs revendications
fut à la base d'une mobilisation massive des étudiants de
Kinshasa pour la marche de protestation du 04 juin 1969. C'était une
marche pacifique organisée par les étudiants réunis au
sein du C.E.K91. Ils souhaitaient se rendre au ministère de
l'éducation nationale d'abord, puis jusqu'à la demeure du Chef de
l'Etat pour lui remettre leurs revendications. Cette marche n'avait pas
été autorisée par le gouvernement, mais les
étudiants passèrent outre.
Les militaires ouvrirent le feu sur les étudiants et cette
manifestation se solda par une dizaine de morts92.
Pour expliquer la réaction du pouvoir qui semble
démesurée face à la contestation - ouvrir le feu contre
des étudiants qui revendiquent pour une amélioration du
système estudiantin-, il faut prendre en compte le fait qu'entre le
pouvoir en place et les étudiants il existait des points de friction.
Les milieux estudiantins étaient de tendance marxiste
léniniste93. Ils reprochaient aux autorités du pays
une politique trop néocolonialiste, et outre leur revendication pour une
réforme de l'enseignement supérieur, les universitaires, qui
s'étaient toujours impliqués dans la politique et qui ne
craignaient pas de prendre position94, devenaient des contestataires
du régime dictatorial du Président Mobutu.
Ils organisèrent une marche pour protester contre le
refus de l'accord de Goma mais aussi contre le recul de la démocratie au
Congo. Ils entendaient protester contre le néocolonialisme et
l'impérialisme qui sévissaient en République
Démocratique du Congo. La veille du 4 juin 1969 l'un des tracts qui
circulaient sur le campus était ainsi
90 Ils furent influencés par une note
officieuse des autorités académiques leurs expliquant la nature
inspiratrice que pouvaient avoir une telle réforme ;
91BONGELI, E., Op. Cit., p. 83 : ce
comité réunissait des étudiants de toutes les institutions
d'enseignement supérieurs installées à Kinshasa.
92 DEMUNTER, P., Analyse de la contestation
estudiantine au Congo-Kinshasa (juin 1969) et de ses séquelles,
Bruxelles, Etudes africaines du CRISP, 1971 : Le nombre exact n'a pas pu
être établi. Entre les autorités qui parlent de moins de
dix morts et ceux qui parlent de plus d'une vingtaine de morts. Ce
dénombrement-ci est celui de l'auteur qui pense que les
témoignages les plus dignes de foi sont ceux qui attestent d'à
peux près une vingtaine de morts.
93BONGELI, E., Op. Cit., p. 77 : L'UGEC au
cours de son troisième congrès en octobre 1966 adopta une
idéologie et une méthode d'explication
marxiste-léniniste.
94 Il s'insurgèrent contre la
sécession katangaise, ils s'opposèrent en 1964 à la
commission constitutionnelle crée par le président Kasa Vubu, ils
protestèrent aussi contre la venue au Congo en 1968 du vice
président américain Humphrey pour protester contre le néo
colonialisme.
formulé « En tant qu'étudiant, il est
clair que nous sommes au premier chef sensibilisés par le
problème crucial de l'enseignement au Congo. Mais il n'y a pas l'ombre
d'un doute que c'est tout le problème du développement
général du pays qui est posé et, par voie de
conséquence, la politique globale du gouvernement. C'est pourquoi les
étudiants réitèrent leur conviction d'une nouvelle
conception du développement. Par delà les problèmes de
l'enseignement et de la bourse d'études, les étudiants posent le
nécessaire problème de libération nationale au seul profit
des masses paysannes et ouvrières du Congo Kinshasa
»95.
La marche du 4 juin 1969 et sa répression brutale
marque un tournant du changement de la politique de l'Etat vis-à-vis de
l'enseignement supérieur. Elle marque les débuts de la fin de
l'autonomie des établissements universitaires. La fin de cette autonomie
fut totalement consommée avec la réforme de 1971.
Mais avant cela quelques changements eurent lieu dans les
milieux universitaires. Face à cette contestation et à sa
gestion, il y a eu des sanctions temporaires, car ces mesures ont
été levées par le Président Mobutu, le 14 octobre
1969, jour de son 39éme anniversaire. Ces mesures ont conduit
à :
- La fermeture de certains établissements d'enseignement
supérieur : l'université Lovanium, l'IPN et l'IEM notamment ;
- La condamnation de certains étudiants, 19, jugés
et condamnés à des peines de prison qui allaient de 2 à 20
ans de prison ferme96 ;
- Le renvoi de certains étudiants avec
impossibilité pour eux de s'inscrire dans d'autres
établissements.
D'autres mesures définitives ont été
prises. C'est avec ces mesures que la rupture avec le passé intervient,
que s'instituent les débuts de la mainmise de l'Etat sur l'enseignement
supérieur aboutissant à la création de l'UNAZA en 1971.
Pour les étudiants, l'une des conséquences
directes est l'interdiction de toutes les organisations ou associations
estudiantines autres que la JMPR, à partir du 12 juin 1969. Ainsi, la
JMPR devient le seul syndicat légal des étudiants. En outre,
l'étude du Manifeste de la N'sele devient obligatoire dans touts les
établissements scolaires du pays97.
95 DEMUNTER, P., Op. Cit., p. 14
96 Ils furent jugés sur les accusations de pour
complots contre la sureté de l'Etat, organisations. Pour excitation
à la révolte...
97 DEMUNTER, P., Op. Cit., p 19
Le gouvernement décide, lors du conseil des ministres
du 13 juin 1969, qu'une restructuration de l'enseignement supérieur va
être menée avec comme finalité un renforcement du
contrôle de l'Etat sur les instituts d'enseignement supérieur.
Pour éviter que ne se répète les évènements
du 4 juin, les conditions d'admission à l'université deviennent
plus strictes, la création des facultés, instituts ou
écoles est soumise à l'accord préalable du gouvernement.
Les colloques et les dialogues avec les étudiants sont remplacés
par une participation active de leurs délégués dans les
différents conseils consultatifs qui siégeaient auprès du
ministère de l'éducation nationale.
Législativement, six lois consacrent cette nouvelle
politique. Il s'agit de :
- La loi n° 69/034 du 1er août 1969 qui
stipulait que désormais tous les établissements d'enseignement
supérieur dépendaient du ministère de l'éducation
nationale ;98
- La loi n°69/035 du 1er août 1969 qui
donne le droit au Président de la République de nommer le recteur
et le vice-recteur99 ; les professeurs ordinaires, les professeurs,
les professeurs associés, le personnel scientifique à temps plein
et le personnel académique des cadres supérieurs, quant à
eux, étaient nommés par le ministre de l'éducation
nationale, et cela même dans les universités
privées.100
Les quatre autres lois concernaient aussi l'enseignement
supérieur non universitaire ;
- La loi n°69/153 du 4 août 1969 portant
création du conseil national de l'enseignement supérieur non
universitaire. Ce conseil était constitué des membres de droit et
des membres nommés par le ministre de l'éducation nationale. Il
était appelé à :
- Donner son avis sur la représentation des enseignements
à dispenser dans les établissements ;
- La détermination du niveau académique
d'engagement du personnel enseignant et scientifique ;
- Déterminer la politique de formation des cadres
enseignants, les conditions d'inscription des étudiants, la politique
générale des bourses et prêts aux étudiants, les
programmes ainsi que le problème de l'emploi des
diplômés.101
98 Moniteur congolais, Kinshasa, n°16, 15
août 1969, p. 659.
99 Sur une proposition du conseil d'administration.
100 Moniteur congolais, Kinshasa, n°24, 15 décembre
1969, pp.959-961.
101 Moniteur congolais, Kinshasa, n°16, 15 août 1969,
pp. 661-663
- La loi n°69/154 du 4 août 1969 relative à
la création du conseil national de l'éducation, constitué
de la même manière comme celui de l'enseignement supérieur
non universitaire. Il a un rôle consultatif auprès du ministre de
l'éducation nationale et est appelé à donner son avis sur
toutes les questions relatives à la politique générale en
matières d'éducation et d'enseignement que le ministère
lui soumet ;102
- La loi n°69/155 du 4 août 1969 qui modifie la
composition de la commission interuniversitaire consultative tel que
défini dans la loi n°57 du 5 mars 1969 ; 103
- La loi n°69/156 du 4 août 1969 : elle
créait une commission consultative de l'enseignement supérieur
non universitaire chargé de donner son avis sur les programmes et la
durée des études. Elles pouvaient proposer des modifications des
textes légaux relatifs à l'enseignement supérieur et non
universitaires ainsi que toutes mesures pouvant contribuer au
développement et à l'harmonisation de ce
secteur.104
Pour survivre, les universités durent s'adapter et les
trois universités en présence modifièrent leurs structures
pour être en accord avec la vision du gouvernement. Les étudiants,
pour leur part, continuèrent à s'insurger contre le
système et à protester en coulisse. Deux ans plus tard, ils
l'exprimèrent par un coup d'éclat: en tentant une
commémoration en l'honneur de tous ceux qui étaient tombés
le 4 juin 1969. Le pouvoir considéra ces cérémonies comme
une provocation et réagit en envoyant les forces armées. La
violence de la réaction des étudiants face à cette
intrusion entraîna des décisions graves de conséquences
pour les étudiants de Lovanium d'abord et pour toutes les
universités du Congo ensuite. Le pouvoir décida de la fermeture
de l'UL pour une durée indéterminée et de
l'enrôlement de tous les étudiants de Lovanium ainsi que de
quelques étudiants de Lubumbashi dans l'armée. Après cela,
il s'en suivit une vaste réforme de tout le système de
l'enseignement universitaire et supérieur sur toute l'étendue de
la République avec comme point d'orgue, la création de
l'UNAZA.
102Moniteur congolais, Kinshasa, n°16, 15
août 1969, pp. 663-665 103Moniteur congolais, Kinshasa,
n°16, 15 août 1969, p. 665
104 Moniteur congolais, Kinshasa, n°16, 15 août 1969,
pp. 665-666
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