CHAPITRE III : La politique de
l'enseignement universitaire au Congo. (1971 - 1993)
A partir de 1969, des mesures ont été prises par
l'État pour réduire l'autonomie des universités. Le
discours officiel par rapport à ce durcissement est que vue les
sacrifices immenses consentis par l'État pour le secteur de
l'éducation d'abord et universitaire et supérieur ensuite, il est
parfaitement naturel, qu'il y ait un droit d'ingérence.
Ce droit d'ingérence, l'État congolais
l'applique pleinement surtout à travers les deux réformes de 1971
et 1981. « L'enseignement [étant] un moyen et un instrument
efficace au service de l'idéal et des aspirations de la
nation. il fallait une
parfaite harmonie entre la finalité et les méthodes
d'enseignement d'une part, et le système politique d'autre part ».
En vertu de cela le pouvoir se donna la toute puissance sur le secteur de
l'éducation universitaire afin que « l'enseignement soit
imprégnés de la philosophie du système politique
»105.
I. Les premières grandes réformes
(1971-1981)
Les évènements qui entourèrent la marche
du 4 juin 1969 avaient déjà permis une plus grande intrusion du
gouvernement dans les affaires de l'Université. En effet, des lois
avaient été promulguées et les Universités avaient
décidé de les respecter. Les étudiants qui militaient pour
une plus grande transparence dans leur milieu, se virent privés de leurs
organes d'expression propres, avec la suppression de tous les syndicats
d'étudiants. On leur imposa un organe d'expression conforme à
l'optique gouvernementale : la JMPR. Elle devint le seul organe d'expression
étudiant autorisé par le bureau politique du MPR à partir
du 12 juin 1969.
En plus d'être le seul organe habilité à
parler au nom des étudiants, il avait aussi un caractère
obligatoire. Tous les étudiants faisaient obligatoirement partie du
JMPR. Pour accentuer cet aspect obligatoire et incontournable, chacune des
universités fut désormais définie comme une section de la
JMPR dirigée par le chef d'établissement. Les facultés
étaient des sous sections, et les promotions des cellules. Pour
être sûr que les étudiants ne dérogeraient pas
à cette règle, des astuces sont trouvées par les
officiels. En effet, le 9 août 1969, il est décidé que
désormais toute personne voulant intégrer un établissement
universitaire devait être régulièrement inscrit à la
JMPR et
105BONGELI, E., L'université contre le
développement au Congo Kinshasa, Paris, l'Harmattan RDC, 2009, p.
91
avoir sa carte de membre. Pour pouvoir bénéficier
d'une bourse d'étude, il fallait être inscrit dans une section de
la JMPR106.
Malgré toutes ces précautions visant à
faire taire les voix discordantes provenant de l'Université, certaines
blessures restent ouvertes et le 4 juin 1971, le calme apparent est
brisé.
Les évènements du 4 juin 1969 avaient
laissé un certain flou. Il existait une grande différence entre
la version officielle et la version officieuse, sur les raisons de cette
tragédie qui avait causé la mort de certains étudiants
à propos du nombre de mort même des chiffres contradictoires
circulaient. Qui pis est, il n'a pas été permis aux
étudiants et aux familles de pleurer leurs morts et un silence
assourdissant de la part des de la communauté extérieure a suivi
cette journée107. Les milieux universitaires ont gardé
de ce jour un certain ressentiment contre le pouvoir et aussi contre les
autorités académiques accusées de jouer le jeu du
gouvernement.
Deux ans après cet événement, les
étudiants de Lovanium ont voulu commémorer ce jour de deuil et
cela malgré l'interdiction des autorités de l'université.
Ils organisent une veillée mortuaire dans la nuit du 3 au 4 juin et le
matin du 4 juin, un cercueil vide est enterré symboliquement en face du
bâtiment administratif. Après quoi une messe est dite en
mémoire de tous ceux qui étaient tombés108. Le
pouvoir, qui était déjà très méfiant
vis-à-vis des universitaires qu'il soupçonnait de subir une
grande influence des pays communistes109, y vit une révolte.
Le lendemain de ce coup de tête des étudiants, le conseil des
ministres décida de fermer l'université et d'enrôler les
étudiants dans l'armée110.
Pour gérer la crise, le 6 juin le bureau politique du
MPR sous l'inspiration du président Mobutu décide de créer
une « commission de réforme de l'enseignement supérieur au
Congo » qui a pour mission de :
- Définir une nouvelle conception de l'enseignement
supérieur du pays.
- Prévoir les moyens d'encadrement des étudiants
pour leur assigner l'optique du parti et de la JMPR.
106 DEMUNTER, P., Analyse de la contestation estudiantine au
Congo-Kinshasa (juin1969) et de ses séquelles, Bruxelles, Etudes
africaines du CRISP, 1971, pp.19-20
107 GABEMBO, D., « De Lovanium à l'Université
de Kinshasa » dans L'Université dans le devenir de l'Afrique.
Un demi siècle de présence au Congo-Zaïre,
Bruxelles-Paris, CUD - L'Harmattan, 2007, p 70.
108 Idem, pp.71-72
109 On était en pleine guerre froide, et le Congo
était dans le camp des capitalistes.
110 BONGELI, E, Op. Cit., p.88.
- Réfléchir sur l'enseignement à donner
surtout dans le domaine des sciences humaines.
Cette commission de réforme a été
composée uniquement de membres du Bureau Politique du MPR. Ce sont les
résolutions prises par les participants qui ont été
discutées lors du premier « congrès des professeurs
nationaux de l'enseignement supérieur » réuni à la
N'sele111, qui ont abouti à la réforme de 1971.
A. Réforme de 1971
Cette réforme implique des grands changements dans les
milieux universitaires, notamment :
- Les 3 universités en présence Lovanium,
l'U.O.C et l'U.L.C sont nationalisées et sont réunies dans une
seule Université : l'Université Nationale du Zaïre
(UNAZA).
Cette dernière disposait d'un conseil d'administration
unique qui définissait, dans tous les domaines, la politique des
universités et des instituts d'enseignement supérieur non
universitaire.
Chacune des trois universités devint un campus
universitaire, avec une spécialisation particulière et des
facultés bien distinctes.
· Le Campus universitaire de Kinshasa comprenait:
· La Faculté de Droit ;
· La Faculté de Médecine et Pharmacie ;
· La Faculté Polytechnique;
· La Faculté des Sciences [(Maths + chimie +
Physique)] ;
· La Faculté des Sciences Économiques ;
· La Faculté de Théologie.
· Le Campus universitaire de Lubumbashi comprenait :
· La Faculté des Lettres ;
· La Faculté de Médecine
vétérinaire ;
· La Faculté Polytechnique (Mines +
Métallurgie + Chimie industrielle) ;
· La Faculté des Sciences (Géologie +
Géographie + Minéralogie) ;
· La Faculté des Sciences sociales administratives
et politiques.
· Le Campus universitaire de Kisangani regroupait :
· La Faculté des Sciences (Biologie + Botanique +
Zoologie),
· La Faculté des Sciences Agronomiques,
· La Faculté des Sciences de l'Éducation.
111 Idem, p. 89
- Tous les instituts supérieurs existants sont
intégrés dans l'UNAZA, et pour optimiser les cours et les
uniformiser, une échelle unique de diplômes et de grade est
instituée pour toute l'UNAZA. Désormais il devient plus facile
pour un étudiant de passer d'un institut à une université.
Ses cycles sont répartis de la manière suivante :
· Un premier cycle de graduat ;
· Un deuxième cycle de licence, d'ingénieur,
de pharmacien ou de doctorat ;
· Un troisième cycle de doctorat.
La finalité de cette réforme était de
mettre sur pied une « Université zaïroise étant en
état d'assurer l'ensemble des services nécessaires à la
société moderne et de s'adapter constamment aux besoins de
celle-ci »112. Il fallait rejeter l'ancien système
qui dispensait un savoir trop encyclopédique, pour que l'enseignement
universitaire devienne plus concret.
L'État expliqua qu'elle voulait éliminer toute
les idéologies centrifuges des universités (catholique,
protestante, libre), mettre un terme aux distinctions des universités et
rationaliser la gestion administrative en centralisant le
système113. Toutefois nombre d'observateurs extérieurs
et intérieurs sont d'accord sur le fait que cette réforme visait
beaucoup plus à contrôler d'avantages les milieux universitaires
et à instrumentaliser l'université.
Officiellement, cette réforme était essentielle,
car il fallait rentabiliser l'enseignement universitaire : l'État
estimait qu'elle dépensait beaucoup d'argent pour ce secteur mais qu'en
contrepartie, les étudiants formés n'étaient pas
utilisables directement. Il fallait donc une réorganisation rationnelle
de toute la structure114 pour empêcher le développement
anarchique qui sévissait dans ce domaine. L'enseignement au Congo devait
être désoccidentalisé pour détruire l'image de
« jeunes formés en occident » que donnaient les universitaires
congolais115.
En outre, depuis quelques années, des voix se levaient
dans le pays pour critiquer le système universitaire et demander sa
réforme.
Les étudiants congolais, à travers leurs
nombreuses grèves, demandaient entre autres choses des réformes
pour sortir du carcan de l'occidentalisation que lui imposait son corps
professoral.
112UNAZA, 1973-1974, 1974-1975, Kinshasa,
Presses universitaires du Zaïre, , ... p. 16
113 GAMBEMBO, D., Art. Cit., p 72
114 Idem, p 91
115 BONGELI, E., Op. Cit., p. 89
Pour Mgr Luc Gillon, il était clair qu'il fallait
changer des choses dans le système. En 1967, il rédigea une note
sur la nécessité de « la réorganisation de
l'Enseignement universitaire au Congo » dans laquelle il proposait de
créer une Université Nationale qui serait un établissement
public chargé de la programmation générale, de la
coordination du développement et de la haute gestion de l'enseignement
universitaire116. Deux ans plus tard, en Belgique, lors d'un
séminaire sur la formation des cadres de l'enseignement universitaire,
cette idée resurgit. L'on proposa même de créer un
regroupement de ces universités pour permettre une plus grande
concertation entre les universités en présence117.
A coté de ces autres revendications, une autre revenait
: l'inadéquation entre la formation donnée et les besoins
réels de la société, le professeur Verhaegen reprocha
à l'université de créer des «
diplômés parasites »118.
Ces exemples montrent qu'une réforme de l'enseignement
était inévitable et demandée de toute part pour permettre
une meilleure utilisation de l'université dans le processus du
développement du pays. Les différents acteurs étaient
d'accord sur le fait que le milieu universitaire avait de sérieuses
lacunes, et qu'il était essentiel de trouver des moyens pour y
remédier et l'améliorer.
A ce stade des revendications, la réforme de 1971
pourrait être considérée comme une étape importante
pour le développement et le relèvement de l'enseignement
supérieur au Congo. Quand en est-il au juste ?
La réforme, à ses débuts, se fixa des
objectifs très élevés. En effet, elle devait permettre de
former un nouveau type d'homme congolais, « un patriote convaincu,
intègre, engagé, qui enracine sa personnalité dans les
valeurs africaines de solidarité, de respect des anciens et des
autorités. Un congolais ouvert, apte à l'intégration
harmonieuse des valeurs de modernité, préparé à la
réalisation d'un Congo moderne et en continuel développement,
tout en conservant sa personnalité et son authenticité
»119. Elle devait inciter les universités à
s'africaniser ; en se fixant comme objectif de « dispenser un
enseignement qui décolonise les esprits, c'est-à-dire un
enseignement dont le contenu sera basé non seulement sur des valeurs
universelles, mais aussi sur les valeurs africaines et surtout [zaïroise]
». Et leur permettre participer
116 TSHIBANGU, T. (Mgr), Op. Cit., p 25
117 BONGELI, E., Op. Cit., p89
118VERHAEGEN, B., L'enseignement Universitaire au
Zaïre de Lovanium à l'UNAZA, Paris-Bruxelles-Kisangani,
L'Harmattan-CRIDE-CEDAF, 1978, p 122
119 TSHIBANGU, T. (Mgr), Op. Cit., p. 102
activement au processus de développement du pays en
fournissant avec une économie maximum de temps et d'argent tous les
cadres dont le pays avait besoin120.
Force est pourtant de constater que ce ne fut pas le cas. La
réforme de 1971 conduit plutôt à une politisation de
l'Université qui s'opéra souvent aux dépens de celle-ci.
C'est cela qui fait dire que le but réel de cette réforme
n'était pas une amélioration quelconque du système, mais
plutôt une main mise effective du pouvoir afin de réduire à
néant ces lieux de contestation qu'étaient les universités
et les instituts.
Désormais c'est au gouvernement et au parti unique, le
MPR, que revient le contrôle de l'UNAZA. Les nouvelles lois sont claires.
Seul le Président de la République est habilité à
faire le choix du recteur, du pro-recteur121 ainsi que du
vice-recteur122. Un autre exemple de la toute puissance du
gouvernement, dans le nouveau système, se retrouve dans la composition
même du conseil d'administration qui est, selon les nouvelles
règles en vigueur, l'organe supérieur assurant la direction de
l'UNAZA au fil du temps, ce contrôle se faisant d'ailleurs de plus en
plus sentir. L'on peut le constater à travers l'évolution de la
loi.
C'est le Conseil d'Administration qui définit la
politique et les objectifs de l'université ; c'est lui qui crée
les instituts supérieurs, les facultés dans les campus, les
départements et les enseignements nouveaux ainsi que les sections dans
les instituts ; et c'est encore le Conseil d'Administration qui arrête,
sous réserve de l'article 48123, le statut du personnel de
l'Université124.
Lorsque l'ordonnance- loi portant n° 71-075 portant
création de l'Université Nationale du Congo fut
promulguée, elle définissait ainsi les membres composant le
Conseil d'administration dans ses articles 5 et 6 :
« Article 5.
120 KUYIYA, Makiona, L'UNAZA face au devenir socio
professionnel de l'étudiant, Mémoire de licence en SPA,
UNILU, 1979-1980, p. 2O.
121UNAZA, Op. Cit., p.24 : Article 10 : le
recteur et le pro-recteur de l'Université Nationale sont nommés
par le Président de la République sur proposition du Ministre de
l'Education Nationale et après avis du Conseil d'Administration de
l'Université Nationale...
122 Idem, p.26 Article19 : le vice-recteur est nommé par
le président de la République, sur proposition du Ministre de
l'Education Nationale et après avis du Conseil d'Administration de
l'Université Nationale...
123Idem, p.23 : Chapitre VII. Statut du Personnel
Administratif, Académique et Scientifique.
Article 48 : Le président de la République fixe par
voie d'ordonnance le statut du personnel académique, scientifique et
administratif du cadre supérieur de l'Université nationale.
124Idem, p.23 : Article 7.
L'Université nationale du Congo est administrée
par un conseil d'administration comprenant :
- Le Ministre de l'Education Nationale
- Le Recteur
- Les Vice-recteurs des campus universitaires
- Le Président du Conseil général des
Instituts supérieurs pédagogiques - Le Président
du Conseil général des Instituts supérieurs
techniques
- Le président de l'Office Nationale de la Recherche
scientifique
Deux délégués du parti
désignés par le bureau politique pour chaque session du
conseil.
Le président de la République peut, sur
proposition du Ministre de l'éducation Nationale, nommer cinq autres
membres au maximum.
Article 6.
Les fonctions de Président et de Vice-président
du Conseil d'administration sont remplies respectivement par le Ministre de
l'éducation Nationale et par le Recteur.125
L'ordonnance loi n° 72-002 du 1é janvier 1972
modifia cette composition. Dans son article 2.
« Le Conseil d'administration comprend :
1) Le Recteur
2) Le Pro-Recteur de l'Université Nationale
3) Le Secrétaire Générale de
l'Education Nationale
4) Les Vice-recteurs des Campus Universitaires
5) Le Président du Conseil général des
Instituts Supérieurs pédagogiques
6) Le Président du Conseil général des
Instituts Supérieurs techniques
7) Le Président de l'Office National de la Recherche
et du Développement
8) Deux délégués du Parti
désignés par le bureau politique
125 Moniteur congolais n° 20 du 15-10-1971, p. 929
9) Eventuellement des membres « étrangers
» nommés par le Président de la République, sur
proposition du ministre de l'Education Nationale, pour un terme de cinq ans
renouvelable.
Le nombre de ces membres ne peut excéder cinq.
Les fonctions de Président et de
vice-président du Conseil d'administration sont remplies respectivement
par le Recteur et le Pro-Recteur. Si le ministre de l'Education Nationale
assiste aux séances du Conseil d'administration il en est de plein droit
le Président.126
Après une autre modification par l'ordonnance loi
74-022 du 12 janvier 1974, la présidence du Conseil d'administration
n'était plus l'apanage du recteur, qui perdit de son pouvoir, au profit
des membres du MPR :
« Article 6.
Le conseil d'administration comprend :
1) Trois délégués du MPR nominés
par le Président de la République par voie d'ordonnance.
2) Le Recteur et le Pro-Recteur de l'UNAZA.
3) Le Directeur Générale de l'Education
nationale.
4) Les présidents du Conseil Générale
des campus, des Instituts supérieurs pédagogiques et des
Instituts supérieurs techniques.
5) Le Directeur Générale de l'Office nationale
de la Recherche et du Développement.
6) Eventuellement, des membres nommés par le
Président de la République sur proposition du commissaire d'Etat
à l'Education nationale, pour un terme de cinq ans, renouvelable ; le
nombre de ces membres ne peut excéder 9.
Les fonctions de Président et de vice-président
du Conseil d'administration sont remplies par deux
délégués du MPR.127
L'on assiste ainsi à une baisse des critères de
sélection des autorités académiques car désormais
le choix du Président prime sur les compétences. Il faut savoir
que le pouvoir du président est grand dans le conseil d'administration,
car la loi stipule que « Les décisions sont prises à la
majorité absolue des voix des membres présents. En
126 Journal officiel n° 3 du 1-2-1972, p. 69.
127 UNAZA, Op. Cit., p.22 : Article 6.
cas de partage des voix, celle du président de
séance est prépondérante »128.
Même au niveau des campus dés le départ, il y a ce laxisme
profond, pour exemple, la fonction de vice-recteur à l'UNAZA qui pouvait
être exercé par toute personne ayant un « diplôme
d'un niveau au moins égal à la licence » pourvu qu'il
ait été nommé par le Président de la
République129. Il n'était pas nécessaire
d'être un professeur pour devenir vice-recteur. Or le rôle de vice
recteur était extrêmement important dans les campus, car c'est eux
qui dirigeaient les comités directeurs des campus130; ils
assuraient également la direction générale de
l'université, convoquaient et présidaient avec voix
délibérative les conseils de faculté et enfin assistaient,
avec voix délibérative, aux jurys d'examen131.
A coté de cela, la réalisation des grands
objectifs affichés de la réforme se heurtait au manque de
financement adéquat ; Mgr Tshibangu, recteur de l'UNAZA, parlant des
écueils rencontrés par la réforme, cite le budget
constamment insuffisant qui était « toujours inférieur
aux prévisions soumises au Législateur » et «
l'irrégularité dans son octroi, [qui] rendait impossible une
gestion rigoureuse ». A cela s'ajoutait une place totalement
insuffisante pour les subventions scientifiques « 80% du budget
allaient à la rémunération et à la
restauration »132. Les laboratoires et les
bibliothèques ne fonctionnaient pour une bonne part que grâce aux
accords de coopération.
Un autre problème de taille était la «
lourdeur [...] et [la] lenteur [...] administrative [...] compte tenu de
l'éloignement de nombreux établissements de l'UNAZA
disséminés à travers tout le pays
»133. Cela conduisait au blocage des initiatives locales. Dans
ce système, les propositions de ceux qui travaillaient sur le terrain et
qui auraient pu mieux cerner les difficultés rencontrées
étaient rejetées pour privilégier les
128 Moniteur congolais n° 20 du 15-10-1971, p. 930
129Idem, p. 931 : Article 19.
130Le comité directeur était l'organe
principal des campus universitaires. Il avait comme attributions, selon
l'article 14 : 1°. Il arrête le règlement d'ordre
intérieur du campus universitaire... ; 2°. Il détermine,
après avis des facultés ou départements
intéressés, le nombre d'heures de cours que comporte
l'enseignement de chaque matière ; 3°. Il fixe, après avis
de l'intéressé, le nombre d'heures de cours qu'un membre du
personnel enseignant à temps plein peut assurer au-delà de la
durée minimum légale du service des membres de ce personnel ;
4°. Il établit le calendrier de l'année académique
et, après avis des facultés ou des départements, selon le,
l'horaire des cours et le calendrier des examens et des
délibérations ; 5°. Il décide, dans la limite des
crédits budgétaires, des travaux d'entretien des bâtiments
du campus universitaires.
131UNAZA, Op. Cit., p. 26 : Article 20.
132TSHIBANGU, T. (Mgr), Op. Cit., pp. 31-32.
L'exemple qu'il nous donne est édifiant : En 1979-1980 :
90.000.000.00 Zaïres sont prévus pour la restauration, contre
500.000.00 Zaïres pour les bibliothèques de l'ensemble de
l'UNAZA.
133Idem p.31.
décisions des responsables qui se trouvaient à
des milieux de kilomètres de distance et n'avaient peut- être pas
un aperçu global des réalités du terrain134. Le
président de la République lui-même admet qu'une certaine
« lourdeur de gestion au niveau du rectorat a parfois paralysé
bien des choses »135.
Pour finir, l'un des problèmes le plus important
était un conflit d'autorité et de compétence entre le
rectorat, les instances du MPR et le Ministère de tutelle ou le
président du conseil d'administration. Certaines décisions
importantes pouvaient être prises, puis annulées parce que ne
correspondant pas à la volonté de certains décideurs
politiques haut placés136.
Du point de vue des infrastructures, à cause du «
non établissement d'un grand projet d'ensemble [...] d'extension et
de développement de l'Université »137,
l'université qui n'avait pas appliqué de politique d'expansion
des bâtiments dut remettre en cause sa capacité d'accueil, qui
devenait insuffisante face à l'afflux toujours plus nombreux
d'étudiants et cela dans les trois campus.
Cette réforme, comme l'on peut le voir n'a pas atteint
ses objectifs, c'est même plutôt le contraire qui s'est produit.
Les universités qui, en 1965, au-delà de tout ce qu'elles
pouvaient rencontrer comme difficultés, avaient des politiques
d'expansion pour une meilleure capacité d'accueil138, se
trouvèrent, confrontées à une stagnation qui a
entraîné une incapacité à contenir tous les
étudiants et à les faire étudier dans des conditions
acceptables. Le président Mobutu le reconnaît en affirmant que
« l'insuffisance des structures d'accueil risque de compromettre la
qualité de l'enseignement »139.
134NGUB'SIM, R., Pour la refondation de
l'université de Kinshasa et du Congo : Faut-il recréer Lovanium
?, Paris, L'Harmattan, 2010, p. 190 : La masse de circulaire
émanant du rectorat et du ministère allant jusqu'aux
détails de la gestion quotidienne, témoignait justement de cette
illusion bureaucratique, avec le double danger d'une standardisation
artificielle du fonctionnement de tous les établissements pour les
besoins de l'administration centrale et d'un penchant à donner des
solutions formelles et stéréotypées au détriment
des solutions spécifiques, fruit de l'imagination créatrice des
acteurs de terrain.
135MOBUTU Sese Seko, Discours, allocutions et
messages : 1976-1981, tome 2 (1979-1981), Kinshasa, Bureau du
président, p. 154.
136 Idem, p.191: ...les évaluations de
sélection de février, qui permettaient de se débarrasser
des étudiants faibles, instaurées par le Rectorat, ont...
finalement [été] supprimés sur ordre du conseil
révolutionnaire.
137TSHIBANGU, T. (Mgr), Op. Cit., p. 32
138NGUB'USIM, R., Op. Cit., p.191 : des
constructions qui avaient cours à l'ULC et qui prévoyaient 12
homes et divers complexes avec piscine universitaire, ainsi que la construction
d'un restaurant universitaire à l'UOC, et des constructions
prévue à Lovanium (construction d'une faculté de
pharmacie, d'un home 40) furent arrêtés avec l'arrivée de
l'UNAZA.
139TSHIBANGU, T. (Mgr), Op. Cit., p. 153
La trop grande centralisation a également
empêché l'Université de fonctionner de manière
réellement efficace. Face à cette crise, une autre réforme
s'imposait pour corriger le tir. Elle intervint en 1981, soit dix ans
après la première grande réforme de l'enseignement
universitaire.
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