CHAPITRE II : La politique de
l'enseignement universitaire au Congo (1954-1971)
Si à ses débuts l'Etat belge exerçait un
très grand contrôle sur ce secteur, après
l'indépendance cela changea et c'est la grande autonomie des
universités qui permit à la marque coloniale de continuer
à s'exercer à l'université jusque vers l'année1969.
Voilà pourquoi nous avons divisé ce chapitre en deux sections :
la première traite de la période coloniale et la deuxième
de la période postcoloniale.
Nous avons vu dans le premier chapitre toutes les attentes
qu'avait engendrées l'instauration du degré universitaire et
supérieur. Durant cette première période qui va des
débuts de l'indépendance à la première
réforme, l'accent est mis sur la formation d'une élite pour le
pays. Mais pour les besoins de la colonisation cela se fait sous le
contrôle de la métropole. Après l'indépendance, le
manque de cadres congolais se fait sentir, car à ce moment de son
histoire, le départ des Européens créa une sorte
de vide. Le pays manquait de techniciens formés, il
fallait donc combler ce vide. D'oüla création de nombreux instituts
supérieurs durant les années qui suivent
l'indépendance.
I. L'Université avant l'indépendance
(1954 - 1960)
Dans le premier chapitre, nous avons donné un
aperçu de la politique scolaire qui régnait au Congo belge.
Après l'avènement du C.U.L., la peur de créer une classe
de contestataires était toujours présente dans le milieu
colonial. Pour l'éviter, l'Etat exerça un contrôle
très strict sur les universités naissantes, cela est vrai autant
pour l'Université Officielle du Congo Belge et du Ruanda-Urundi qui
était une université officielle que pour le C.U.L. qui
était une université catholique.
Il ressort des grands débats qui ont eu lieu au
début de la création des premières universités, que
l'une des raisons pour laquelle la construction d'universités au Congo a
été privilégiée au détriment du
développement du système de bourses vers des universités
européennes, était de permettre aux nouveaux
établissements de rayonner sur le pays et de former des universitaires
qui ne soient pas des hybrides culturels. Pour ses concepteurs au Congo
« l'Université se devait de devenir un foyer de rayonnement
culturel pour l'ensemble du Pays, un pôle de développement
intellectuel ainsi qu'un centre de recherche scientifique et d'adaptation du
savoir aux particularités locales. Elle ne devait pas se contenter de
délivrer des diplômes, mais
devait étendre progressivement son influence sur
toutes les couches de la population »39.
Ces objectifs étaient extrêmement difficiles
à atteindre car ils se heurtaient à la réalité de
la colonie, qui se caractérisait par un paternalisme extrêmement
prononcé. Pour répondre aux objectifs qu'elle s'était
assignés, à savoir : devenir une université africaine
d'où naîtrait, petit à petit, une culture
autochtone40, il était important d'avoir une culture
universitaire en symbiose avec la culture locale. Cela ne pouvait se faire que
par l'aide d'un programme universitaire qui devait tenir compte des
réalités congolaises.
Cela ne se fit pourtant pas, les programmes de
l'U.L41 et de l'U.O.C n'étant que des transpositions
parfaites de ceux des universités métropolitaines dont elles
étaient issues. Les universités congolaises, créées
durant la période coloniale, pouvaient être assimilées
à des universités belges construites sur le sol
africain42.
A notre avis, deux facteurs étaient susceptibles
d'expliquer une telle situation. D'une part il y avait la question de la
légitimité des programmes qui expliquait qu'il soit conforme
à celui de la métropole, et d'autre part celle de
l'ingérence de l'Etat dans la création des programmes.
L'ouverture d'une université au Congo Belge
était une expérience nouvelle pour la métropole tant dans
le milieu catholique que public. Car jusqu'alors le domaine de
l'éducation s'était cantonné aux niveaux inférieurs
et professionnels. Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, les
promoteurs avaient eu beaucoup de mal à faire accepter ce projet d'abord
et à réussir à le concrétiser ensuite. Il ne
voulait pas courir le risque de voir leurs projets compromis par une
expérimentation dont ils doutaient de l'issue. Ils ne voulaient pas
« tenter une expérience dont l'échec retarderait (...)
l'essor de l'université »43. Ils ne voulaient pas
tenter d'expérimentation hasardeuse. Les étudiants congolais ne
devaient pas servir de cobaye. Ils voulaient mettre le plus de chance de leur
côté pour la réussite de leurs projets en se maintenant sur
un terrain qui ne leur était pas inconnu : l'université de
Louvain ainsi que les universités qui parrainaient l'UOC avaient,
derrière elles, des siècles de tradition universitaire. Il
était
39 Chapitre I, pp. 25-26
40 LACROIX, B., Pouvoirs et structures de
l'Université Lovanium, Bruxelles, Cahiers de CEDAF n°2-3,
1972, p 47.
41 MALENGREAU, G., L'université Lovanium.
Des origines lointaines à 1960, Kinshasa, Editions universitaires
africaines, 2008, p. 180 : Le C.U.L était devenu l'Université
Lovanium grâce à l'arrêté royal du 3 février
1956.
42 LACROIX, B., Op. Cit., p. 49 : Même
si Lovanium délivrait des diplômes congolais, le programme
était totalement belge.
43 MALENGREAU, G., Op. Cit., p. 48
donc préférable de jouer la carte de la
sécurité plutôt que celle de l'innovation. Pareille option
s'expliquait par le fait qu'afin de prouver la qualité de l'enseignement
donné en son sein, l'université devait pouvoir accueillir, en
plus des étudiants africains, des étudiants européens.
La conformité du diplôme de la colonie avec celui
de la métropole était un moyen de les attirer, car, cela
était avantageux pour les fils des coloniaux qui n'étaient plus
obligés de retourner en Belgique pour parfaire leurs études. Ils
pouvaient les faire au Congo belge et avoir la reconnaissance de leurs
diplômes en Belgique. Par la même occasion, l'on pouvait attirer
des professeurs et des chercheurs européens dans les universités
congolaises.
Il faut dire que cette situation44 n'était
pas nouvelle dans la colonie belge. Déjà pour l'enseignement
secondaire au niveau des humanités, le programme des cours était
recopié sur celui des humanités belges. Pour les concepteurs, il
était entendu que ce serait aux Africains de donner une touche
totalement africaine à tout cela45.
Un autre élément à prendre en compte est
la crédibilité des étudiants. En effet, dans un univers
aussi européocentrique que celui de la colonie belge, le programme ne
devait pas être trop différent de celui de la métropole
pour la valeur du diplôme en lui-même. Il ne faut pas oublier que
la société coloniale belge était paternaliste et à
tendance raciste. Les détracteurs auraient pu voir dans ces changements,
une manière de rabaisser l'enseignement pour le ramener au niveau des
Noirs. Les étudiants euxmêmes avaient conscience de cela et pour
éviter que la valeur de leurs diplômes ne soit mise en cause, ils
n'étaient pas d'accord avec des changements trop rigoureux. Le
professeur Guy Malengreau explique que « si les programmes de
l'Université Lovanium devaient être fort différents de ceux
des universités belges, les Congolais (...), auraient accusé les
organisateurs de l'enseignement universitaire au Congo de vouloir abaisser le
niveau de cet enseignement, pour légitimer ensuite une discrimination de
statut juridique et social séparé et différent entre les
universitaires européens et les universitaires africains ».
44La transposition d'un programme métropolitain
dans la colonie.
45 MALENGREAU, G., Op. Cit., p. 47 : il tire
une citation d'une brochure paru en 1954 qui traitait de l'université
Lovanium : Nous sommes incapables de donner aux africains une culture qui
leur soit propre. Aussi longtemps que le Belgique aura en mains les
destinées du Congo, il est assez normal qu'elle pratique à son
égard une certaine politique d'intégration... s'il nous
appartient d'apporter aux africains notre patrimoine culturel, son insertion
dans leur milieu ne peut se faire que par eux. La culture universitaire de
Lovanium ne pourra informer vraiment la mentalité, les moeurs et la vie
congolaise que le jour où une partie au moins de ses professeurs et de
ses savants seront eux mêmes des africains issues de la souche
bantoue
Qui plus est, y aurait- il eu la moindre
velléité de changement dans les universités, un autre
problème de taille se serait posé ; Le contrôle
exercé par l'Etat sur les programmes.
Pour ce qui est de l'ingérence de l'Etat dans la
création des programmes, il convient de dire que pour l'U.O.C, il allait
de soi qu'en tant qu'université officielle, l'Etat avait un droit de
regard sur ses programmes de cours. Dans l'exposé des motifs
précédent l'arrêté royal, le Ministre des Colonies,
Auguste Buisseret, explique que pour son fonctionnement effectif, le nouvel
institut universitaire devait être un établissement public
décentralisé qui jouirait de la personnalité civile, cela
afin qu'elle puisse avoir une grande liberté et une très large
autonomie qui lui permettrait de mener à bien ses diverses
tâches.
Toutefois, selon l'article 8 du chapitre I et l'article 16 du
chapitre II du titre II de l'arrêté du 26 octobre 1955 portant
« création et organisation d'une université officielle
» à Elisabethville, c'est au Roi que revenait la nomination de tous
les membres du conseil d'administration ainsi que celle du recteur.
Pour veiller à la bonne exécution des
décrets et règlements sur l'enseignement, le ministre des
colonies nommait un délégué permanent du gouvernement en
Afrique et le roi nommait un commissaire du gouvernement auprès du
conseil d'administration. Les deux pouvaient faire opposition à toute
décision qu'ils estimaient contraire aux décrets et
règlements de l'université. C'est le conseil d'administration qui
décidait de toute question académique et administrative. Le
ministre de la colonie avait toutefois le droit d'émettre son
véto s'il n'était pas d'accord avec une proposition prise par le
conseil d'administration.
En tant qu'établissement public, sa principale source
financière était l'Etat. Le titre IV de l'arrêté
portant sur les « ressources financières, le budget, l'inventaire
des comptes et le bilan » dans son article 43 stipulait que pour que
l'université accepte des libéralités offertes par un
tiers, elle devait avoir l'approbation du ministère des colonies. Le
budget et les comptes de l'Université étaient soumis à
l'approbation du ministère des colonies
L'U.L était une université catholique depuis
195746. Elle avait été créée sous le
parrainage de l'université belge de Louvain. Toutefois, à ses
débuts, les promoteurs se retrouvèrent face à un
problème de taille : le financement du nouvel établissement. Il
fallait construire des bâtiments, acheter des équipements et payer
les enseignants ainsi que le personnel administratif. L'université de
Louvain n'avait pas les moyens de
46 GILLON, L (Mgr), Servir en actes et en
vérité, Kinshasa, CRP, 1995, p. 123 : Lorsqu'une
faculté de théologie fut crée à Lovanium en 1957,
en même temps que la reconnaissance de cette faculté par le Saint
siège qui était obligatoire, un décret romain
conféra à Lovanium le statut d'Université Catholique le 25
avril 1957.
fournir tous les fonds nécessaires et les dons des
particuliers ne pouvaient permettre de mener à terme une entreprise
d'une telle envergure47. Ils se tournèrent donc vers l'Etat,
qui avait toujours financé le système scolaire catholique. Et
même là l'Etat accorda son aide.
Le 11 mars 1950, un accord fut conclut entre le conseil
d'administration de Lovanium et le gouvernement du Congo-belge. Selon cette
convention, l'Etat s'engageait à rétribuer à 100 % tout le
personnel laïc et des 2/3 celui des missionnaires. Il interviendrait dans
les frais de fonctionnement du nouvel établissement à raison de
50% pour l'entretien et le renouvellement de l'équipement didactique et
de 75 % pour les dépenses socio- culturelles des étudiants. Tous
les congés vers l'Europe des professeurs ainsi que les
déplacements des étudiants jusqu'à l'université
était pris en charge par l'Etat. Pour l'investissement des
débuts, il supportait 70 % des dépenses agréées de
construction d'immeubles, de fabrication ou d'achats de mobilier et
d'équipement, tant pour le logement du personnel enseignant que pour les
homes résidentiels des étudiants et pour les bâtiments
facultaires48. En contrepartie, l'U.L devait soumettre tous ses
programmes à l'agrégation du gouvernement qui pouvait en cas de
désaccord opposer son véto49.
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