CHAPITRE I : Les débuts de l'enseignement
universitaire au Congo
La question de la pertinence et de l'importance de la
création d'un enseignement universitaire au Congo s'est posée de
nombreuses années avant l'ouverture de la première
université en 1954. Durant la deuxième guerre mondiale de
1940-1945 déjà, cette question se posait avec insistance pour les
fils de colons qui ne pouvaient pas partir continuer leurs études dans
la métropole : la communication entre la colonie et la métropole
avait été interrompue pour cause de guerre. Afin de palier
à cette carence, une ébauche d'université fut
créée à Lubumbashi en octobre 1944.
Pour ce premier essai, trois facultés furent
créées : une faculté de philosophie et lettres, une
faculté des sciences naturelles et médicales, ainsi qu'une
faculté de physique et de mathématique1. Au total
treize étudiants y furent inscrits : quatre en philosophie et lettres,
trois en sciences naturelles et médicales et six en physique et
mathématique. Cette expérience fut éphémère
puisqu'en juillet 1946 déjà, soit un an après la fin de la
guerre, elle prit fin et que les étudiants furent envoyés en
Belgique pour continuer leurs études.
Il est intéressant de noter que cette courte
expérience n'a concerné que l'enseignement universitaire pour les
jeunes européens, car, pour les autochtones du Congo Belge, la question
de l'enseignement se posait différemment dans la métropole belge.
La politique scolaire coloniale belge était à tendance
paternaliste. Elle ne cherchait pas à favoriser l'émergence d'une
élite noire au Congo. L'effort du Ministère des colonies en
matière d'enseignement se concentrait essentiellement sur l'enseignement
de base avec l'alphabétisation de la population, l'apprentissage des
notions de base et celle d'un métier. On résume souvent ce
système par une formule extrêmement simple : « pas
d'élites, pas d'ennuis ». Et il suffit de retourner en
arrière pour se rendre compte de la pertinence de cette assertion. En
effet jusqu'à la réforme de 1948, il n'existait pas
d'études secondaires générales pour indigènes au
Congo belge alors que la première colonie scolaire fut
créée en 1890 à Boma soit 58 ans plus tôt.
1 DE SAINT MOULIN, L., « L'université
au Congo, hier, aujourd'hui et demain » dans L'Université dans
le devenir de l'Afrique : Un demi-siècle de présence au
Congo-Zaïre sous la direction de Isidore NDAYWEL E NZIEM, Paris,
l'Harmattan, 2007, p. 29.
I. Le système scolaire au Congo Belge
Un des éléments, qui ressort de la colonisation,
est qu'une poignée d'hommes expatriés a réussi à
dominer une population nombreuse sur son propre sol. S'il existe quelques
éléments qui pourraient expliquer cet état de
chose2, on peut classer le « prestige du colonisateur blanc
» parmi les causes les plus probantes. Au Congo belge, surtout, les colons
entourèrent tout ce qui touchait à la métropole ou aux
Européens d'une sorte d'aura mystificatrice, d'un cocon qui les
protégeaient et les faisaient paraître dans l'imaginaire populaire
congolais comme des surhommes. Pour préserver cette image, ils se
devaient en toutes choses d'éviter tout comportement qui pouvait les
rendre ridicules ou mettre en question ce prestige. Tout excès de
familiarité avec les indigènes était proscrit. Même
l'immigration d'Européens vers la colonie était soumise à
des règles très strictes. En effet, seuls des personnes pouvant
justifier des moyens d'existence honnêtes et suffisants pouvaient faire
le voyage3. C'est cet idéal qui a prévalu dans le
système colonial de l'époque où tout était
agencé pour que le colonisateur blanc soit toujours
considéré comme supérieur. Pour ne citer qu'un exemple,
dans la Force publique, le grade le plus élevé pour un noir
était sergent major, celui-ci était directement inférieur
au grade d'adjoint militaire qui était le plus bas grade pour un soldat
européen4.
Cette hiérarchisation de la société
à tendance paternaliste a dicté l'évolution de la
politique de l'enseignement au Congo belge et l'a emmené à se
centrer principalement sur l'enseignement de base et sur l'enseignement
pratique. Après des études primaires organisées
grâce à l'Eglise catholique surtout, les élèves
continuaient avec le secondaire spécialisé et étaient
finalement orientés vers des instituts de formation. Après des
débuts difficiles, cet enseignement pour enfants noirs est allé
en s'améliorant. De nombreux changements tant sur le plan national que
mondial ont fait sentir le besoin d'une meilleure prise en charge de la
population sur le plan de l'éducation. C'est cette évolution qui
explique la création d'universités pour Noirs au Congo belge.
2 La supériorité technologique de la
civilisation européenne occidentale - surtout en matière
d'armement - notamment lui a permis t de dominer les autres civilisations pas
seulement africaines mais aussi asiatiques, américaines et même
océaniennes.
3 MUTAMBA, J-M., Du Congo Belge au Congo
indépendant 1940-1960 : Emergence des « évolués
» et genèse du nationalisme, Kinshasa, I.F.E.P, 1998, p.
137.
4 Cours d'Histoire des institutions du Congo par le
professeur SIKITELE GIZE A SUMBULA Charles.
A. Pas d'élites pas d'ennuis
L'un des prétextes de la colonisation, celui qui
d'ailleurs était le plus mis en avant au début de la
conquête des territoires par tous ceux qui sont venus en Afrique au
XIXème siècle, était l'apport du « flambeau de la
civilisation aux populations africaines ». Par « civilisation »,
les Européens entendaient le mode de vie, la culture occidentale qu'il
fallait transférer aux Africains. Cela ne pouvait se faire - et ne s'est
fait d'ailleurs - que par l'entremise de l'évangélisation et de
la scolarisation des Congolais.
Au Congo Belge, la tâche d'évangéliser et
de donner une instruction aux autochtones a été menée
à bien par l'Eglise catholique5 qui avait reçu cette
prérogative du gouvernement de la colonie grâce au concordat du 26
mai 1906 entre l'Etat indépendant du Congo et le Saint Siège
d'abord et à la convention de 19266 ensuite. L'Etat colonial
s'est appuyé ainsi sur l'église pour deux raisons principales
:
- D'abord parce que les missions étaient
installées effectivement sur le terrain depuis un certains temps
déjà et avaient des assises dans les régions. qu'ils se
contentèrent de consolider ;
- Ensuite donner aux Congolais une éducation
chrétienne présentait un certain avantage pour les colons. Le
ministre libéral des colonies Franck dit à ce sujet : «
Seule la religion chrétienne catholique, basée sur
l'autorité, peut être capable de changer la mentalité
indigène, de donner à nos Noirs une conscience nette et intime de
leurs devoirs, de leur inspirer le respect de l'autorité et l'esprit de
loyalisme à l'égard de la Belgique. » 7. Ce
monopole était tellement grand que les divisions territoriales
catholiques, à savoir : les vicariats et les préfectures
apostoliques déterminaient aussi les divisions territoriales de
l'enseignement.
L'implantation des écoles dans la colonie belge
s'était heurtée à ses débuts à
de nombreuses difficultés tant matérielles que
culturelles8. Malgré cela et grâce surtout
5 Une préférence était
accordée aux congrégations belges.
6 EKWA, M., L'école trahie, Kinshasa,
éditions Cadicec, 2004, p. 143-144 : l'E.I.C avait signé un
accord avec le saint siège où en échanges de terrains les
missions catholiques s'engageaient à s'occuper de l'enseignement de la
population, et en 1925-1926 le gouvernement conclut une convention avec les
missions chrétiennes qui s'occupaient de l'enseignement en
échange de subside de l'Etat.
7 LACROIX, B., Pouvoirs et structures de
l'Université Lovanium, Bruxelles, cahiers du CEDAF n° 2-3,
1972, p. 10.
8 EKWA, M., Op. Cit., pp.25-29 : Les
premiers colonisateurs ont eu à vaincre la méfiance des
populations à l'égard de cette école venue d'Occident.
Certains la voyaient comme une nouvelle forme d'esclavage. Il y avait aussi
d'autres difficultés telles que, l'absence d'infrastructures de
transport qui rendait difficile la création de succursales
organisées, le manque de personnel enseignant, la barrière de la
langue due à la diversité ethnique qui posait la question de la
langue de l'enseignement et aussi celle de la langue des manuels scolaires.
aux subsides que le pouvoir colonial leur versait, les
missions catholiques purent étendre leurs actions9. Cette
coopération entre les missions catholiques et l'administration fit qu'en
matière d'accès des autochtones à l'enseignement de base,
le Congo belge prit une avance considérable sur les colonies voisines et
il est communément admis que, de la fin des années 40 jusqu'au
début des années 50, une grande majorité des enfants
congolais était scolarisée10. Mais même si ce
que nous avons dit plus haut est vrai, avant la réforme de
l'enseignement de 1948, cette scolarisation se concentrait essentiellement sur
l'enseignement de base, à savoir : le niveau primaire et ensuite sur
l'apprentissage d'un métier.
La situation se présentait de la même
manière pour tous les enfants congolais scolarisés. En effet,
après avoir fini le cycle primaire, l'élève pouvait
continuer son cursus en faisant un niveau post-primaire. Il pouvait ainsi
commencer l'apprentissage du métier de son choix. Avant la
réforme de 1948, la formation de l'élite noire était quasi
inexistante. Les Noirs les plus instruits étaient ceux qui avaient
fréquenté des séminaires. Pour les autres, les
études supérieures existaient, c'est vrai, mais faute de cycle
secondaire général, elles avaient le statut d'école
professionnelle.
On pourrait tenter une ébauche d'analyse en se basant
sur l'aspect de l'enseignement durant cette période. Il ressort
clairement que les colonisateurs évitaient, autant que possible, de
pousser trop loin l'enseignement des autochtones. Cela principalement pour deux
raisons que nous allons effleurer ici mais sur lesquelles nous nous
étendrons plus loin :
- La première raison est que pour certains
Européens, les Africains avaient une intelligence infantile ; pour leur
bien, ils préconisaient de ne pas les pousser trop en avant dans des
enseignements trop compliqués qui risquaient de n'avoir aucun sens et
aucune utilité pour eux ;
- La deuxième raison est que les coloniaux avaient peur
qu'un excès de connaissance soit susceptible de pousser les Congolais
à causer des ennuis dans la colonie car
9 MUTAMBA, J-M., Op. Cit., pp. 143-144 :
Les écoles officielles congréganistes étaient
administrées par des congrégations religieuses et recevaient
leurs fonds des pouvoirs publics ; les écoles libres subsidiées
aussi percevaient des subventions de l'Etat qui les contrôlaient. Seules
les écoles libres non subsidiées (séminaires,
établissements créés par des sociétés
privées) qui ne recevaient pas d'aides n'étaient soumises
à aucun contrôle.
10 Mgr GILLON, L., Servir en actes et en
vérité, Kinshasa, C.R.P, 1995, p. 69 : En 1946 (...)
1.150.000 enfants alphabétisés, ce qui représentait 42% de
la population scolarisable, alors qu'à la même époque, la
scolarisation n'atteignait que 7% au Nigéria, 5% en Afrique
équatoriale française, 12% en Gold Coast (Ghana) et 17% au Kenya
; MUTAMBA J-M., Op. Cit., p.145 : le taux de scolarisation
plaça (la colonie belge) en tête de peloton des pays alors
colonisés. En 1955 50% des enfants entre 6 et 12 ans étaient
scolarisés.
Il faut noter que sur la valeur de cette formation, les avis
divergent. Le professeur Delacroix [Op. cit., p. 9], explique que lors
du recensement de 1956 on constata un écart important entre le nombre de
scolarisés et celui d'enfants sachant lire et écrire ; Le
professeur Mutamba [Op. cit., p. 145], constate quant à lui,
que ce pourcentage élevé d'élève s'estompait avec
le temps, en effet sur six élèves, un seul obtenait sons
certificat.
pour certains « la vanité [était
un] des défauts dominants du caractère du Noir. [Et que]
dès qu'il [avait] un vernis de civilisation, il se
[croyait] volontiers l'égal de l'européen...
» 11. Leur donner une formation plus avancée aurait
irrémédiablement conduit à une poussée de
revendications. C'est pour cette raison qu'ils ne voulaient pas former ceux qui
risqueraient plus tard de les chasser.
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