C. La formation durant cette période.
Dès le départ, les législateurs sont
clairs, sur le fait qu'il faut discipliner les étudiants qui n'ont
« pas conscience de leur rôle vis-à-vis de la Nation
[...] [et] se considèrent uniquement comme des ayant-droits et des
techniciens devant voir les choses de haut et se cantonner dans la critique
destructive et stérile alors qu'il doivent être des militants
»145. Pour les autorités, c'est cette inconscience qui
explique les grèves, les marches et les protestations qui ont, depuis un
certain temps, ponctué la vie universitaire. En même temps, il
faut revoir l'enseignement qui leur est dispensé car c'est un «
enseignement étranger ».
Pour arriver donc à conscientiser les étudiants,
un accent particulier est mis sur la formation idéologique à
l'UNAZA. L'enseignement est utilisé comme instrument pour promouvoir
l'idéologie nationale. Cet extrait tiré du rapport du
congrès des professeurs de juillet 1971 qui concrétisa les points
marquant de la réforme, pourra étayer nos propos :
« Dans le but de cultiver le sens civique des
étudiants congolais, il est à recommander d'organiser un cours
obligatoire sur le Manifeste de la N'sele à partir de la
1ère année du Cycle d'enseignement supérieur ou
universitaire ; toutefois, dans le but de prévenir des
interprétations déviationnistes et tendancieuses du Manifeste de
la N'sele, il est demandé que le Bureau Politique du Parti mette sur
pied une Commission d'experts chargée de concevoir ce cours.
Le contenu de ce cours porterait sur la philosophie du
Nationalisme congolais authentique dont parmi les éléments
essentiels il conviendrait de citer :
a. L'exaltation des valeurs et de l'entité nationales
;
b. Le maintien de l'intégrité territoriale et
de sa souveraineté nationale ;
c. L'affirmation de la grandeur de l'Etat et de la politique
nationale ;
d. La maitrise et le contrôle des moyens
matériels et humains du développement économique et social
de la Nation ;
e. L'incorporation des diversités régionales
dans l'entité nationale ;
f. La place du Congo dans l'Afrique et dans le
monde.
Dans le cadre de cette analyse du Nationalisme congolais
authentique contenu dans le Manifeste de la N'sele, il serait fort
indiqué de faire mieux connaître aux étudiants les
145Idem, p. 101
nombreuses réalisations à mettre au compte de
cet effort de développement par le nationalisme (Bilan du Régime
Mobutu 1965-1970).» 146
Ainsi, il fallait inculquer une culture civique forte aux
étudiants. Un cours de « civisme et développement » fut
programmé dans toutes les facultés. Dés 1973, ce cours,
défini et contrôlé par le Bureau politique du parti unique,
fut consacré à l'étude du mobutisme afin d'obtenir
l'adhésion des étudiants aux idéaux du
MPR147.
Au-delà de cette formation idéologique de plus
en plus présente, ces réformes ne contribuèrent nullement,
dans le milieu universitaire, au renouveau de l'enseignement qu'elles avaient
promis et dont les universités avaient tant besoin. L'africanisation
dont nous avons parlé au chapitre deux, ne devint qu'à
moitié effective dans le nouveau système.
A moitié, car pour ce qui est des autorités
académiques et du corps professoral, une africanisation eut
réellement lieu au fur et à mesure. Des efforts ont
été effectivement réalisés pour permettre
d'augmenter le nombre des chercheurs et des professeurs nationaux, avec la
création du BEPUZA. Cet organe offrait aux assistants et aux chefs de
travaux, la possibilité d'avoir des bourses locales, pour pouvoir
poursuivre leurs cursus académiques148.
Pour ce qui est du deuxième volet de l'africanisation
par contre, force est de constater que malgré le fait que l'objectif
principal de cette reforme de l'enseignement fût de renforcer cette prise
en compte des besoins de la société149, cet objectif
ne fut jamais atteint. Nous disions au deuxième chapitre que pour parler
d'africanisation des cours, il fallait revisiter en profondeur tous les
programmes de l'université en cherchant, en même temps, à
identifier les besoins de la société. Ces recherches et ces
restructurations demandent énormément d'implications de la part
de tous les acteurs de l'université, mais aussi des moyens
considérables, alors que ni l'UNAZA d'abord, puis ni les
universités officielles congolaises ensuite, ne remplissaient les
critères permettant une telle avancée.
Toutefois, on note une certaine volonté d'aller de
l'avant. Car une certaine poussée a été donnée aux
recherches avec la création, des PUZ en 1976150, pour
146 Idem, pp. 109--110
147 TSHUND'OLELA, G., Art. Cit., p.113.
148 NGUB'USIM, R., Op. Cit., p. 186
149 TSHIBANGU, T. (Mgr), Op. Cit., p. 104 : «
Il faut un lien constant entre l'enseignement d'une part et les structures
et les besoins réels et profond de la société congolaise
d'autre part. Ainsi l'Université doit s'associer à
l'élaboration des programmes de développement du pays de
façon qu'elle soit un instrument efficace de progrès.
»
permettre la publication d'ouvrages scientifiques. D'autres
centres de recherches universitaires ont été aussi
créés en grand nombre : le CIEDOP, l'IRES, le CERP, le CERDAC, le
CELTA, le CERUKI, le CCFPE, le CANDIP, le CEDAR, le CRIDE, le CEPAC, le CERPHA,
le CECOMAS, le CEZEA, le CREM, le CRIDHAC. Un service de pédagogie
universitaire est même créé. Il publiera un bulletin
universitaire très apprécié dans les milieux
académiques qui fournira de la documentation sur la pédagogie
universitaire151.
Pourtant, toutes ces initiatives ne sont pas allées
bien loin et n'ont pas rempli leurs fonctions correctement car le principal
bailleur de fond, à savoir l'Etat, ne donnait pas les moyens aux
universités pour appliquer des politiques de développement. Le
budget accordé par l'Etat était constamment inférieur
à celui proposé par les dirigeants de l'UNAZA pour sa
croissance152. A ce niveau, l'université devait tenter de
survivre et avait à faire face à une préoccupation
beaucoup plus importante que celle de son africanisation : la baisse de son
niveau d'enseignement.
Quand nous avons parlé de l'africanisation de
l'enseignement, nous avons fustigé l'inadéquation qui existait
durant la période coloniale, la première République et le
début de la deuxième République, entre les études
universitaires et leur finalité dans l'établissement
universitaire qui était restée coloniale malgré
l'indépendance. Force est toutefois de constater qu'au-delà de
tous les reproches que l'on peut faire à l'université congolaise
dans ses débuts, la majorité des acteurs, qui ont
participé à sa création, ou aux différentes
mutations qu'elle a subies, avaient à coeur de lui conserver un niveau
universitaire respectable.
Nous l'avons dit au deuxième chapitre, si au
début de Lovanium, on n'a pas voulu trop changer les programmes et si on
les a gardés les plus semblables possible à ceux de la
métropole, c'est parce qu'il ne fallait pas que les détracteurs
accusent les dirigeants de vouloir baisser le niveau de l'enseignement. Plus
tard, après
l'indépendance, le recteur Mgr Gillon explique que
« pour conserver la qualitéacadémique de
Lovanium, je veillais à maintenir, dans chaque programme, des
cours pour lesquels nous faisions appel à des professeurs visiteurs
venus d'Europe, surtout
150 NGUB'USIM, R., Op. Cit., p.186
151 TSHIBANGU, T. (Mgr), Op. Cit., p.29
152 NGUB'USIM, R., Op. Cit., p. 197 : Les
dépenses de l'enseignement pour l'ESU tombèrent de 25% en 1970
à 7,38% en 1980.
des universités belges. Leur présence dans les
jurys me donnait l'assurance du respect des exigences qui avaient valu à
l'université sa bonne réputation ».153
Il en est de même de l'UOC, comme exemple, nous pouvons
citer cet extrait de la note du Ministre de l`Education nationale et des
affaires culturelles du Katanga lors de la sécession Mr Joseph Kiwele:
« le but du gouvernement [...] fut de lui donner [à
l'université] un caractère authentiquement africain [...]. Mais
il fut aussi de lui préserver sa haute qualité scientifique et
pédagogique, de lui donner les moyens non seulement de poursuivre ses
activités, mais aussi de les intensifier et de les faire connaître
dans les milieux scientifiques du monde entier »154. Comme
on le voit, tout était mis en oeuvre tant par les autorités
académiques que par les autorités gouvernementales
compétentes pour préserver un certain niveau que l'on estimait
devoir garder aux universités.
Avec les nouvelles réformes universitaires, l'on
remarque que cet élitisme disparait peu à peu de
l'Université, car cette dernière se trouve placée devant
un défi qu'elle n'arrive pas à résoudre : réussir
à garder un niveau suffisant avec des moyens tant matériels que
financiers de plus en plus réduits.
A l'UNAZA d'abord puis dans les trois universités
nationales ensuite, on assiste à une lente baisse du niveau
universitaire.
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