3.2.2 La pudeur
La particularité la plus marquante résultant de
l'enquête vient compléter mon pôle théorique. En
effet, je n'avais pas d'élément sur la pudeur. Une pudeur
atténuée semble commune à beaucoup de patients
schizophrènes. Les cinq infirmiers ont en effet constaté que les
patients ne montraient aucune gêne à baisser leur pantalon lors de
l'injection, mais de plus qu'ils restaient « volontiers »
avec le pantalon baissé, plusieurs minutes avant le soin. Fait que j'ai
également constaté récemment lors d'un stage en Service de
Soins de Suite et Réadaptation. Cette impudeur, une infirmière de
CMP l'explique très simplement : « Pas d'affect, pas de
pudeur ». Elle fait ici allusion à l'un des symptômes du
syndrome autistique : l'émoussement affectif. De même, les
soignants ont évoqué
« l'excentricité » du schizophrène. Il me
semble qu'en fait ces patients ne semblent pas autant préoccupés
que nous par les normes sociales. A ce propos, un infirmier d'hôpital de
jour a ajouté que lors des ateliers théâtres, ces patients
ne semblaient troublés ni par le trac, ni par certains costumes dont ils
étaient parfois « affublés » et que les
soignants eux-mêmes rechignaient à porter !
Par contre, à deux reprises, c'est l'infirmier
lui-même qui a exprimé une gêne face à cette
impudeur. Ce qui, je dois bien l'avouer est mon cas aussi. Nous restons
professionnels lorsque nous arrivons à passer au-delà de cette
gêne pour assurer le soin.
3.2.3 Le rôle des vêtements
Une autre des caractéristiques du patient atteint de
schizophrénie est la superposition de couches de vêtements,
souvent en inadéquation avec le climat ou la température :
blouson et bonnet en été, superposition de plusieurs T-shirts...
Les soignants l'expliquent par un besoin de contenance ; comme si les
vêtements servaient à contenir physiquement ce corps souvent
morcelé. Le morcellement, l'absence de « limites »
corporelles et le signe du miroir (signe de dépersonnalisation) ont
d'ailleurs été cités par la moitié des personnes
interrogées. La superposition de vêtements serait-elle une sorte
« d'auto thérapie » ? Cela nous renvoie
à la fonction contenante de la peau de Didier Anzieu, elle contient les
organes, elle contient également le psychisme lorsque cette fonction
n'est pas « défectueuse » (le
« Moi-peau »p. 9). Elle a également pour fonction de
protéger de ce qui est « mauvais » et qui vient de
l'extérieur. Trois soignants dont deux de services hospitaliers ont
noté à ce sujet une grande difficulté pour ces patients
à se dévêtir ; ceci est apparemment d'autant plus
prégnant en service de soins intensifs psychiatriques. Un soignant n'a
pas hésité à ce sujet à parler de
« deuil » des vêtements ; un autre
avait noté l'importance que certains patients donnaient à leurs
propres odeurs corporelles ; il évoquait la possibilité que
la personne avait du mal à quitter ces vêtements
imprégnés de son odeur (l'odeur serait-elle elle-même
contenante ?). Le vêtement comme une autre peau en quelques
sortes.
C'est dans ce rapport aux vêtements que ce situerait
une particularité de pratiquer une injection intramusculaire chez un
patient atteint de schizophrénie. Parfois l'infirmier(e) va être
attentif(ve) à ne pas trop dévoiler la partie du corps
nécessaire à l'injection et la pratiquer
« rapidement ».
Nous constatons ici quelque chose qui peut sembler
paradoxal : impudeur et difficulté à se
dévêtir. J'émets l'hypothèse que les vêtements
n'ont pas la même signification que pour nous ; ils semblent plus
être contenants que des attributs servant à cacher certaines
parties du corps. Une fois ce besoin de contenance atténué (par
la confiance soignant-soigné, par la stabilisation de la pathologie et
des signes associés), les vêtements perdent une grosse partie de
leur fonction (régie par les normes sociales).
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